Le bruit reste un facteur majeur du malaise urbain en Algérie. La pollution sonore dérange la tranquillité dans les espaces publics : places, jardins, squares… et sur les terrasses des cafés, et même sur les balcons des habitations.
par M’hamed Rebah
Travaux sur la voie publique, utilisation abusive du klaxon ou du poste radio par les automobilistes, véhicules et motos en circulation avec des dispositifs d’échappement silencieux supprimés ou modifiés, explosions de pétards et feux d’artifices, activités de loisirs ou de publicité commerciale avec hauts parleurs … Le bruit est partout.
Un confrère a cité, en décembre 2017, des experts algériens qui ont affirmé qu’« un cinquième de la population souffre de troubles auditifs ». En cause, les nuisances sonores dont les effets sur la santé sont sous-estimés, d’où la complaisance observée à l’égard des fauteurs de bruit. Il est établi que la pollution sonore comporte le risque de troubles de l’audition, en plus des troubles du sommeil (allant des réveils intempestifs à l’insomnie), troubles psychologiques ou encore les troubles de l’apprentissage chez les enfants. Selon les spécialistes, une exposition chronique à un niveau sonore trop élevé peut, en outre, entraîner des maladies cardiovasculaires.
Les études sur la pollution sonore en Algérie sont rares et peu connues. L’Observatoire national de l’environnement et du développement durable (ONEDD), qui relève du ministère de l’Environnement, a publié sur son site, en janvier 2012, le compte rendu du rapport de stage d’un ingénieur, sur la « caractérisation et mesure du bruit en milieu urbain ». Les résultats de l’enquête menée à Alger-centre, indiquaient, à l’aide de figures et de graphes, que « les niveaux sonores enregistrés à la station de bus de la Place Maurice Audin, celle de la Place du 1er Mai, et la station de Tafourah franchissent largement la valeur limite diurne (70 décibels, dB) fixée par l’article 2 du décret exécutif 93-184 ». Ce décret, qui remonte à 1993 et que l’on doit à Belaid Abdesselam, chef du gouvernement à l’époque, est toujours en vigueur. Quant aux niveaux sonores journaliers donnés par les mesures effectuées au niveau du Centre hospitalo-universitaire Mustapha Bacha, « ils franchissent largement la barre de 45 dB, fixée par l’article 3 du décret, qui est le maximum admis au voisinage immédiat des établissements hospitaliers en période diurne (6 heures à 22 heures) ».
Depuis, la situation n’a pas changé, aucune mesure n’ayant été prise contre les nuisances sonores. Au contraire, le phénomène semble s’aggraver. Ainsi, provoquer un bruit assourdissant avec sa moto (tuyau d’échappement libre et klaxon) ou à partir de son véhicule (klaxon et poste radio, et parfois tuyau d’échappement libre), est devenu une forme banale, et impunie, d’incivisme, voire d’atteinte à l’ordre public, ambiance propice à toutes les dérives. C’est une caractéristique des capitales des pays sous-développés, à la différence des capitales et villes des pays développés où tout est fait pour assurer la tranquillité aux habitants.
La loi du 19 juillet 2003 relative à la protection de l’environnement dans le cadre du développement durable contient des prescriptions de protection contre les nuisances acoustiques (Titre IV, chapitre 2) qui ont pour objet, de « prévenir, supprimer ou limiter l’émission ou la propagation des bruits ou des vibrations de nature à présenter des dangers nuisibles à la santé des personnes, à leur causer un trouble excessif ou à porter atteinte à l’environnement ». La loi soumet les activités bruyantes, de quelque nature qu’elles soient, au régime très strict des installations classées, ce qui correspond à une reconnaissance du droit au silence.
Lorsque les activités sont susceptibles, par le bruit qu’elles provoquent, de présenter les dangers ou causer des troubles à la santé ou à l’environnement, elles sont soumises à autorisation. La délivrance de cette autorisation dépend de la réalisation de l’étude d’impact et de la consultation du public. La loi vise évidemment les travaux d’utilité publique (réparation de canalisations d’eau ou réfection d’une chaussée, par exemple) et non pas les activités de loisirs ou de publicité commerciale qui doivent faire l’objet d’une isolation phonique ou être éloignées des habitations. L’article 108 prévoit des sanctions contre les fauteurs de bruit : deux ans d’emprisonnement et 200.000 DA (près de 1300 euros) d’amende.
La loi du 19 juillet 2003 aura bientôt vingt ans. Il a fallu beaucoup de travail aux experts du ministère chargé de l’Environnement pour préparer le texte initial de l’avant-projet de loi afin de le soumettre aux autres ministères pour avis. L’avant-projet a été adopté en Conseil des ministres et envoyé comme projet de loi à l’Assemblée populaire nationale (APN) qui l’a examiné et voté. L’acte final est la promulgation de la loi au Journal officiel avec la signature du président de la République. Toute cette procédure, dans quel le but ? Prévenir et lutter contre toute forme de pollution et nuisance et améliorer le cadre et la qualité de la vie. La loi est-elle appliquée ? Pour certains opérateurs économiques, elle gêne le « climat des affaires » et bloque les investissements, à cause des « autorisations » qu’elle impose. Concernant les dispositions sur le bruit, on peut affirmer qu’elles sont pratiquement ignorées. Le droit à un environnement sain proclamé par la Constitution n’est pas concrétisé dans la réalité quotidienne.
Entre 1999 et février 2019, ce sont les institutions de l’Etat qui ont pris des libertés à l’égard des dispositions sur la lutte contre le bruit contenue dans la loi, et ont autorisé, voire organisé des activités sources de nuisances sonores et même de tapage nocturne sur la voie publique au milieu d’habitations, en milieu urbain, jusqu’au centre de la capitale. Le montage et le démontage des scènes et des gradins qui sont posés sur les trottoirs et sur la chaussée, se font, à coups de marteaux, jusqu’à une heure très tardive de la nuit, comme si les lieux étaient déserts et n’abritaient aucun être humain digne d’un minimum de confort sonore.
Entre avril 1999 et février 2019, le centre d’Alger a vécu pratiquement deux décennies de nuisances sonores et de tapage nocturne, quasiment non-stop, provoqués par des activités bruyantes sur la voie publique, prétendument culturelles et de loisirs, autorisées et organisées, sur ordre, disait-on à l’époque, donné « d’en haut» , au mépris des populations riveraines, dont des personnes malades. Les responsables locaux insistaient sur l’injonction venue « d’en haut ». Les riverains étaient ainsi dissuadés de tenter la moindre plainte. La preuve que l’activité est autorisée d’en haut, ajoutaient-ils, c’est qu’elle se déroule avec la protection des services de police.
Les organisateurs d’événements publicitaires, à caractère commercial, n’oubliaient jamais de louer des haut-parleurs posés sur le sol et de recruter l’équipe chargée de les utiliser pour faire le plus de bruit possible afin d’attirer les gens et de faire connaître leurs marchandises, avec distribution gratuite (sodas, chocolats, détergents…) ou ventes promotionnelles, aux dépens des riverains qui subissaient des nuisances sonores insupportables, y compris tard la nuit. C’est dans cet « enfer sonore» que les examens, dont le bac, étaient préparés au moment où le discours officiel prônait « l’économie de la connaissance ».
Le comble a été atteint avec la journée sans voiture, censée être écologique, sous le slogan « réduisons la pollution, vivons mieux ». Mais, dans les faits, c’était le contraire. L’aspect commercial a imposé sa dimension anti-écologique : pollution sonore créée par les haut-parleurs, loués pour les besoins de concerts bruyants de musique, dont les animateurs sont payés. Le premier équipement posé sur le trottoir et mis en marche, dès 6 h du matin, est le haut-parleur qui lâche des décibels sans aucune retenue ni contrôle. Ceux qui protestaient recevaient généralement la même réponse : « C’est comme ça ! Allez-vous plaindre à qui vous voulez! ». Pourtant, à l’époque, la Constitution comprenait déjà une nouvelle disposition selon laquelle « l’Etat encourage la démocratie participative ».
Au lieu de mettre un terme aux activités bruyantes de la journée sans voiture, le ministère de l’Environnement, au contraire, les parrainait, alors que c’était l’occasion de faire connaître le côté « écologique » du Code de la route (ordonnance 09-03 du 22 juillet 2009), qui classe au 3e degré (amende forfaitaire de 2000 DA à 4000 DA, soit environ 13 à 26 euros), la contravention aux dispositions relatives à l’émission de fumées, de gaz toxiques et de bruits (l’utilisation abusive du klaxon ou du poste de radio) au-delà des seuils fixés (article 45 de la loi du 19 août 2001).
Vingt ans de nuisances sonores prolongées très souvent en tapage nocturne, liées à des activités de loisirs, culturelles ou publicitaires, avec écran géant ou une grande scène, et immanquablement le maximum de haut-parleurs parce qu’il fallait faire le plus de bruit possible et être entendu le plus loin, peut-être jusqu’ « en haut », là d’où est parti l’ordre de faire du bruit. Le lieu était toujours préalablement entouré de barrières, et les gens de passage ou les riverains étaient astreints à de longs détours pour juste traverser la rue, et cela pouvait durer des mois, particulièrement en été. Les jeunes savaient que ces « distractions » leur étaient offertes pour leur faire oublier le reste. Les plus âgés faisaient remarquer que tout cet argent mis dans ces activités aurait pu mieux servir, par exemple dans les travaux de réfection de la voirie.
Vendredi 14 janvier 2022, la surprise : pour la première fois depuis 1999, une activité culturelle bruyante sur la voie publique, au milieu d’habitations, à Alger, a été interrompue par les autorités pour cause de pollution sonore. Ce jour-là, à l’occasion de la célébration du nouvel an amazigh (NDLR : ou nouvel an berbère, jour férié en Algérie), tout était prêt, dès le matin, pour une journée de nuisances sonores insupportables pour les riverains de la Grande Poste, au centre d’Alger. Deux hauts parleurs installés dans la rue étaient programmés après la fin de la prière du vendredi pour accompagner, de leurs décibels démentiels, une animation pour enfants, directement sur la chaussée. Mais avant d’être mise en marche, la sono installée a été rapidement remballée, en milieu de journée,… « sur ordre venu d’en haut ». Au grand bonheur des riverains.
Juste à côté, le même jour, une activité liée au nouvel an amazigh, s’est déroulée sans nuisances sonores. Dans l’après-midi, la ministre de la Culture est venue féliciter les personnes qui ont participé à la fête. Sans tapage et sans déranger les riverains. C’est la preuve que les nuisances sonores (interdites par la loi) ne sont ni une fatalité, ni, encore moins, une obligation dans les activités culturelles quand elles ont lieu au milieu d’habitations.
Les spécialistes font savoir qu’« une bonne audition et une bonne compréhension sont des conditions nécessaires à l’acquisition des apprentissages fondamentaux et à l’insertion dans le milieu familial et social ». Ils attirent l’attention sur les conséquences immédiates du bruit sur la santé : irritabilité, dépression, insomnie … Pour minimiser les risques, les scientifiques conseillent de contrôler le niveau de bruit en se servant d’outils spéciaux. Ils appellent également à utiliser les moyens de protection de l’ouïe. Ils suggèrent de « mieux isoler les lieux d’habitation, les lieux de travail et les écoles mais aussi retravailler les projets d’urbanisme notamment en aménageant des zones calmes, isolées et éloignées des axes bruyants ».
Cet article a été publié dans La Nouvelle République (Alger) du dimanche 23 janvier 2022
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