Marie Amiguet, biologiste et cinéaste, s’est mise à l’affût de Vincent Munier et Sylvain Tesson, eux mêmes à l’affût du prédateur mythique pour un film grandiose.
par Marc Giraud
Grimpant les pentes arides de l’Himalaya, deux hommes emmitouflés nous offrent leur talent, de très haut niveau, dans un hymne grandiose à la beauté du monde. Le héros principal du film en est la nature la plus sauvage, le roc brut, les paysages immenses, la neige et le vent, les bêtes primitives et le monde vivant avec lequel, pour Sylvain Tesson, le dialogue est rompu. Sans doute en cherche-t-il le contact à travers le regard du naturaliste Vincent Munier, sa quête du prédateur mythique, son instinct sur le terrain, sa patience : pour ces longs affûts tout seul dans le brouillard, sans assurance de voir quoi que ce soit, « il faut une bonne vie intérieure » nous glisse l’écrivain. Avec beaucoup d’humilité, Tesson prend conscience de la vie animale qu’il n’avait pas su regarder lors de ses précédents voyages mais qui, elle, savait le détecter : « J’ai beaucoup circulé, j’ai été regardé, et je n’en savais rien ». Son autodérision entraîne parfois les deux hommes vers des répliques de duo comique. Arrivé dans une caverne, Vincent repère des crottes et des traces d’ours. Sylvain : « C’est la première lecture. En fait c’est le plus vieux métier du monde… Tu n’es pas très évolué ». « Et j’en suis fier » réplique Vincent, qui se sent si près de l’animal sauvage depuis toujours. Cependant, les commentaires en voix off de Sylvain Tesson nous soufflent par leur justesse lumineuse, leur profondeur et leur poésie.
Si les mots bénéficient de la virtuosité d’écriture de Tesson, les images sont imprégnées de l’esthétique élégante et forte de Munier, ses contre-jours finement dorés sortis de l’obscur, ses cadrages magiques où les animaux semblent avoir posé pour lui, afin de lui offrir la meilleure des compositions. Il faut voir ce film sur grand écran pour plonger réellement dans les paysages, s’apercevoir de la présence lointaine et minuscule de yacks ou de bharals ponctuant le chaos minéral, puis affronter le yack en pleine face, énorme mufle fumant dans le froid, cornes pointées comme des armes. La préhistoire et le primordial ne sont jamais loin.
On découvre aussi l’étrange antilope chiru aux cornes infinies, la drôle de tronche du renard du Tibet ou du chat manul, grosse peluche comique au regard glacé et aux gestes mécaniques. Les séquences purement animalières sont sublimées par la musique minimaliste, grave et inspirée de Warren Ellis et par le chant de Nick Cave. Tous ces talents puissants convergent dans une célébration sensible, vibrante et magique de la nature et du monde vivant. Un hymne qui a des accents de requiem, rappellera Tesson lors d’une projection, car cette nature est saccagée partout, par nos soins. Le félin tacheté est mal barré…
L’irruption d’enfants tibétains pendant un affût ajoute soudain une vie pétillante et joyeuse, une complicité touchante avec les deux explorateurs, dont on partage (un peu) la vie quotidienne, les gamelles et les réflexions pleines de sagesse. De l’autre côté de la caméra, Marie Amiguet, biologiste et diplômée de l’IFFCAM http://iffcam.net, invisible mais si importante, déjà réalisatrice, entre autres, du film « Avec les loups ». Et la panthère ? Allez voir, c’est un vrai conseil d’ami…
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Paprika films et Kobalann Productions, 92 minutes, hors compétition au Festival de Cannes.
En salles le 15 décembre 2021.
Pour aller plus loin :
➥ Interview de Marie Amiguet par Catherine Levesque (JNE) pour la newsletter du festival de Ménigoute
➥ La panthère des neiges, un film pour retrouver notre place dans ce « grand dehors » qui fait partie de nous par Anne-Sophie Novel (JNE), le blog d’Anne-Sophie Novel
➥ à lire absolument : La panthère des neiges, Sylvain Tesson, Gallimard 2019 (prix Renaudot 2019), Folio 2021.
Contact presse : Pablo Garcia-Fons – pablo@ricci-arnoux.fr – www.hautetcourt.com
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