En mars 2012, un groupe d’une dizaine d’adhérents des JNE avait fait une « virée » entre Drôme et Ardèche, au cours de laquelle avait eu lieu une rencontre avec Pierre Rabhi. Voici le récit de cet entretien à bâtons rompus.
par Roger Cans
Autour d’une grande table où le thé est servi, Pierre Rabhi décrit son parcours, depuis l’oasis algérienne jusqu’à Oran, dans une famille de pieds noirs, puis à Paris, où il devient OS en usine. Il découvre donc l’entreprise, avec sa hiérarchie pyramidale, et il étouffe. La société industrielle, c’est une vie aliénée, enfermée. On commence par le bahut, puis la caserne et enfin une boîte où l’on se rend avec sa « caisse ». Tout le contraire du Tiers-Monde d’où il vient.
D’où son retour à la terre en 1961, avec femme et enfants. Il débarque en Ardèche en plein exode rural, au moment où tout le monde s’en va ! Il ne connaît rien à l’agriculture, mais il apprend l’agronomie comme ouvrier agricole, de ferme en ferme. Il découvre alors que les paysans ne respectent pas la terre et se mettent à l’empoisonner à forces d’engrais et de pesticides. On fait la guerre à la nature pour manger. Son rêve se brise. Mais il découvre l’anthroposophie et la biodynamie dans un livre écrit par un disciple de Rudolf Steiner. L’espoir renaît.
.Il s’installe alors à Montchamp (Arèche), dans un mas qui domine un superbe panorama (200 m d’altitude). Le Crédit Agricole le prend pour un fou, de vouloir « cultiver des cailloux », au milieu de chênes rabougris, de buis et de genévriers. Mais, pour lui, ce qui compte, « c’est la beauté du lieu ». Pendant treize ans, il n’aura pas l’électricité et seulement 30 m3 d’eau pour l’année. Une sobriété choisie, contre « l’insatiabilité » des autres : « L’autolimitation est la garantie contre l’aliénation ». Son ennemi, c’est « l’argent qui confisque tout ». « En Afrique, on ne vit pas d’argent ».
.Pierre Rabhi se met à militer, tout en se méfiant de la politique qui, pour lui, est du niveau de « la classe maternelle, moins l’innocence ». En 2002, ses amis le poussent à se présenter à l’élection présidentielle. Il préfère appeler à « l’insurrection des consciences ». Il reprend l’image du colibri qui, pour éteindre l’incendie de forêt, dépose quelques gouttes d’eau. Comme l’oiseau, chacun doit apporter sa part.
.Parmi les « converties » de Pierre Rabhi se trouvent les sœurs orthodoxes du monastère de Solan (Gard), qui cultivent aujourd’hui leurs 60 hectares en bio (dont un vin que nous avons goûté aux Amanins). Du coup, on l’appelle en Roumanie où « 200 monastères m’attendent ». Il déplore à ce propos que les religions soient « défaillantes en écologie ». Comme la politique, qui se fait par des « astuces ». Il avoue : « j’ai beaucoup de mal à voter ».
Il se dit adepte de Marc-Aurèle, l’empereur philosophe et approuve la thèse de Teilhard de Chardin, selon lequel chacun doit gravir la même montagne par des chemins différents pour se retrouver au point Oméga. Il condamne « le pouvoir sans éthique ». Il dit son « horreur des frontières et des armements ». Pour lui, « il faut de l’héroïsme, à l’échelle mondiale ».
Longtemps responsable de la rubrique environnement au Monde, Roger Cans, décédé en 2018, était une grande figure des JNE.
Photo du haut : Pierre Rabhi en 2012 © Danièle Boone