Lors des Assises internationales du journalisme de Tours, les JNE ont rencontré un étudiant à l’Ecole de Journalisme de Cannes (EJC) qui nous adressé le texte suivant.
par Noé Girard-Blanc
Du 29 septembre au 1er octobre se déroulaient les Assises internationales du journalisme à Tours. Véritable grand-messe de la profession, l’évènement était placé sous le thème de l’urgence climatique. Une occasion de se rappeler que les journalistes ne sont pas que des observateurs du monde, mais participent aussi à le façonner selon leurs convictions.
Sur scène, face à une foule déjà convaincue de journalistes, d’étudiants et de Tourangeaux, Hugo Clément, reporter engagé pour la cause environnementale, défend sa vision du journalisme. Il souligne avec aplomb que « les effets du changement climatique sont déjà visibles autour de nous ».
Ces dernières années, les sujets environnementaux s’imposent de plus en plus dans le paysage médiatique. Depuis 2008, le quotidien national de référence le Monde a ajouté une section « Planète » à ses colonnes. Loin des débuts balbutiants, les angles environnementaux se sont aujourd’hui généralisés. Hanna Lundquiest, journaliste suédoise et spécialiste des médias à Journalisten, rappelle lors d’une table-ronde, qu’« en 2019, la couverture médiatique des sujets climatiques a augmenté de 100 % ». La Suédoise Greta Thunberg n’y est pas pour rien. Par ses Skolstrejk för klimatet — grèves pour le climat —, elle a initié un mouvement de protestation mondial. Et par la même, offert aux médias une incarnation à la cause environnementale.
En première ligne face au flux d’informations et de contre-informations, les journalistes, à l’instar d’Hugo Clément, journaliste, mais aussi écrivain, végétarien assumé, s’engagent de plus en plus pour la cause environnementale. Alors même que la profession se veut neutre et objective, les journalistes, compte tenu de leur force de frappe médiatique, ne seraient-ils pas devenus des influenceurs de l’opinion publique sur les sujets environnementaux ?
Les climatosceptiques éradiqués
Si les climatosceptiques avaient encore la part belle dans les colonnes des journaux et les plateaux des émissions télé jusqu’à peu, le consensus scientifique autour du changement climatique les a écartés des débats en France. Ne plus les inviter, c’est, selon Cédric Ringenbach, fondateur de La fresque du climat, « préparer une immunité collective » contre eux. Le virus climatosceptique est éradiqué grâce au vaccin de l’oubli médiatique.
Pour enfoncer le clou, la rédaction du Guardian a opté en 2019 pour une évolution lexicale afin de « transmettre l’urgence au lecteur », explique Jon Henley, correspondant Europe du quotidien britannique. Les climatosceptiques sont taxés de climatonégationnistes, le changement climatique devient la crise climatique et le réchauffement climatique devient plus agressif (de global warming à global heating).
Les climatosceptiques ne disparaissent pas pour autant. Le lobbying des grandes entreprises écocidaires (qui détruisent les écosystèmes) freine les intentions politiques d’endiguer la spirale polluante de la société de consommation. Face à la masse d’influence du débat public à coups de reconnaissance du crime d’écocide d’un côté et de contre-influence à base de rappel de la réalité économique, les journalistes tentent tant bien que mal d’informer sur la vérité des faits.
Militantisme ou engagement ?
Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du GIEC, assène, lors d’une table-ronde, que « nous avons besoin de connaissances solides » sur les sujets environnementaux. Dans un monde où les fake news ont la part belle, le fact checking est de plus en plus sollicité. Lisa Beaujour, journaliste de l’émission Vrai ou fake sur France info, explique son métier aux petits Tourangeaux venus l’écouter : « Quand une rumeur circule, on ne se dit pas qu’elle et vraie ou fausse, on se dit qu’il faut qu’on la vérifie. » L’idéal de neutralité des journalistes plane donc toujours sur la profession.
Mais la fact checkeuse le reconnaît, cet idéal est biaisé parce que « nous avons tous notre sensibilité ». Sur les sujets climatiques, où se confondent information et engagement, il devient compliqué pour les journalistes de ne pas se positionner et de ne pas se laisser aller au militantisme.
Un engagement assumé par Anne Henry-Castelbou, responsable du réseau régional des JNE: « ça fait partie du métier de journaliste de s’engager, de dénoncer tout ce qui peut être à l’origine de la crise climatique, c’est fondamental » . Mais pour elle, « il faut distinguer le militantisme de l’engagement. L’engagement, c’est la capacité à s’emparer de sujets, étudier toutes les composantes, tous les enjeux pour faire comprendre au lecteur ce qu’il se passe et ensuite donner envie d’agir ».
Rien de bien radical donc. « On n’est pas des activistes », se défend Lisa Beaujour. « On reste journaliste avant tout. On ne va pas dire aux gens “réveillez-vous”, on va dire “la situation est grave”. C’est là qu’est la différence. »
Un militantisme détourné pour cette génération de reporters qui tente parfois de lier vie professionnelle et défense de ses valeurs. À l’instar d’Hugo Clément qui a fait de l’environnement son sujet de prédilection. « C’est vrai qu’Hugo Clément a un profil un peu militant », reconnaît Lisa Beaujour. « Mais il reste un journaliste et on ne peut rien lui reprocher parce que rien de ce qu’il dit n’est factuellement faux. Son engagement est plus dans le choix des sujets qu’il propose. »
Le simple fait de privilégier les sujets environnementaux peut être considéré comme un engagement. Sparknews, entreprise sociale fondée en 2012, veut « faire émerger de nouveaux récits pour accélérer la transition écologique et sociale ». Autrement dit, mettre en avant des projets de préservation de l’environnement. Pour Sandra de Bailliencourt, directrice générale de l’entreprise, la première question que les journalistes se posent, c’est « qu’est-ce que je veux donner à montrer dans mon article ? »
Des médias anxiogènes
Sur les sujets environnementaux, l’attraction de la négativité et de l’anxiété n’est jamais très loin. Catherine Nayl, directrice de l’information de France Inter, le reconnaît : « le JT, c’est 30 minutes d’angoisse ». Conscients qu’il faut conjuguer réalité des faits avec niveau d’acceptabilité de l’information, les journalistes écrivent avec une plume plus délicate. « Je ne fais pas ce métier pour déprimer les gens ! », plaisante – à moitié – Sophie Roland.
La journaliste-réalisatrice ne pense pas si bien dire. Sébastien Bohler, journaliste et auteur dans le domaine des neurosciences, explique lors d’une conférence que « les médias procurent de la dopamine », l’hormone du plaisir, au public. Pour éviter l’anxiété, les journalistes se doivent de « maîtriser la dose de dopamine qu’ils envoient ». Pour lui, « privilégier le temps long et l’analyse » aiderait à aller dans ce sens. Plus facile à dire qu’à faire quand on vit dans une société de l’immédiateté, où les réseaux sociaux et les jeunes générations accélèrent la cadence.
Dans cette course à la vitesse quasi-robotique, Jon Henley, journaliste au Guardian, estime qu’« il faut humaniser la problématique », inclure l’information anxiogène dans un récit. C’est ce que propose Valérie Masson-Delmotte : « construire un récit à partir des rapports du GIEC ». À partir d’informations scientifiques brutes, raconter une réalité… apocalyptique ?
Difficile pour les journalistes de contrebalancer l’éco-anxiété entretenue par ces mêmes journalistes. Pour répondre à cette nécessité, certains pionniers défendent un journalisme de solutions.
Le journalisme de solutions, la solution des journalistes
Plus qu’une façon nouvelle de faire du journalisme, c’est un état d’esprit. « Il faut aller plus loin que l’information », dit Sophie Roland, formatrice pour Solutions Journalism Network. Dépasser l’angoisse, c’est aussi l’objectif de Camille Sarazin, journaliste chez EntR, nouveau média présent uniquement sur les réseaux sociaux qui propose des solutions à ses jeunes followers, plus sensibles que leurs aînés aux questions environnementales. Pour elle, « montrer des initiatives, c’est aussi pousser à agir ».
Mais attention aux raccourcis trop alléchants ! Proposer une solution, ce n’est pas donner la solution, le remède miracle auquel il faut adhérer pour sauver la planète. Énoncer un problème pour mettre en évidence la « nécessité » de son offre, c’est le rôle du marketing. Sophie Roland rappelle à plusieurs reprises que « le journalisme de solutions, c’est aussi montrer les limites des solutions ».
Cette forme de journalisme, qui, à en croire ses adeptes, tend à devenir la norme, est loin d’être économiquement naïve. « Le public demande des solutions ! », soutient Sophie Roland. En cela, le journalisme de solutions répond au besoin d’agir du public. Et pour un journal, l’intérêt des lecteurs correspond à l’intérêt économique de la rédaction.
Deux intérêts qui se croisent concrètement lors des campagnes de financement participatif. Splann!, nouveau média associatif de Bretagne, a réussi à récolter 85 000 € de dons pour se lancer cette année. « On a reçu un vrai soutien populaire et médiatique », se réjouit Kristen Falc’hon, membre fondateur de l’association. Un engouement qui montre le poids du public dans la viabilité d’un nouveau média d’intérêt public.
Même son de cloche au Guardian, dont le modèle économique est en partie basé sur les dons. Jon Henley note que « les sujets qui suscitent le plus de dons sont les enquêtes sur l’environnement ».
Sortir de sa zone de confort et se former
Malgré une évidente corrélation entre intérêt des lecteurs et intérêts économiques, les sujets environnementaux ne sont toujours pas au cœur des journaux. Une incohérence qui peut se comprendre par le manque de sensibilité des chefs de rédactions traditionnelles à la crise climatique. Quand le rédacteur en chef du nouveau média écolo Vert, Loup Espargilière, met le journaliste reconnu Patrick Cohen face à ses contradictions, c’est sur des questions climatiques. À la question du jeune rédacteur en chef « Pourquoi n’a-t-on pas entendu parler de l’Affaire du siècle alors que le procès se tenait aujourd’hui ? », Patrick Cohen répond : « Je ne sais pas. De manière générale, je ne suis pas pour mettre en avant des affaires de quelques militants… ». Et quand Loup Espargilière lui rappelle que c’est l’État qui est traduit en justice, suite à une pétition de plus de 2 millions de personnes, Patrick Cohen botte en touche et rit jaune, sans donner plus d’explications : « Je vous donne le point. J’ai été maladroit. »
Le journaliste chevronné reconnaîtra plus tard qu’il est « compliqué de saisir tous les enjeux » de la crise climatique. Les journalistes en place, souvent dépassés et peu formés, peuvent « facilement tomber dans le piège du greenwashing », avance Sandra de Bailliencourt, directrice générale de Sparknews.
Un manque de formation des professionnels de l’information qui empêche les sujets environnementaux d’être le sujet phare des journaux. Ce n’est pourtant pas faute de posséder les ressources éditoriales et économiques. Cédric Ringenbach, fondateur de La fresque du climat ,relève que « la crise du Covid a mis un sujet au centre de toutes les rédactions ». Pourquoi ne pas faire de même avec la crise climatique ?
L’agenda politique pointé du doigt
Pour Jon Henley, la raison et les fautifs sont tout trouvés : « Tant que les politiques ne prendront pas la chose au sérieux, on ne traitera pas massivement la question du climat. » Gilles Van Kote, directeur délégué aux relations avec les lecteurs du groupe le Monde, rappelle le poids de l’agenda politique dans les sujets médiatisés : « Ce ne sont pas les médias qui créent les sujets. Aussi prestigieux soit notre journal, ce n’est pas « le Monde » qui décide de l’agenda politique. »
Et Cédric Ringenbach, de La fresque du climat, de rétorquer : « On peut décider d’en faire un sujet, de ne pas subir l’agenda, mais d’en être acteur. » Si le vieux monde journalistique préfère suivre le mouvement médiatique, de nouveaux acteurs bouleversent les pratiques. Éric Valmir, secrétaire général de l’information de Radio France, se veut plus offensif à l’approche de l’élection présidentielle : « Il ne s’agit pas de dire de voter pour les écolos, mais de faire en sorte que le climat soit mis en avant. » Conscients de leur pouvoir d’influence, les journalistes commencent à s’engager pour le climat.