A défaut de stratégie, la transition énergétique en Algérie dispose d’une feuille de route sur quelques années, orientée vers l’économie d’énergie, le développement des énergies renouvelables et l’émergence d’un nouveau modèle énergétique.
par M’hamed Rebah
Parmi les objectifs : une économie d’énergie de 10 % par an dans les secteurs de l’habitat, du transport et de l’industrie. La réduction visée était de 9 % dans le programme national de développement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique (lancé en février 2011, actualisé en mai 2015 et, semble-t-il, révisé, voire abandonné). L’APRUE (Agence pour la promotion et la rationalisation de l’utilisation de l’énergie), principal instrument des pouvoirs publics en matière d’économie d’énergie, depuis sa création en 1985, maintenant placée sous la tutelle du ministère de la Transition énergétique et des Energies renouvelables, est appelée à être renforcée par son redéploiement en quatre structures régionales (est, ouest, sud, centre).
Pour les énergies renouvelables, l’accent est mis sur la production d’électricité. C’est la mission d’une nouvelle entreprise publique appelée SHAEMS, créée par les groupes Sonatrach (50 %) et Sonelgaz (50 %). Dans l’immédiat, avant la fin 2021, un appel d’offres pour la réalisation d’un ensemble de centrales électriques photovoltaïques d’une puissance totale de 1.000 MW, est prévu. A terme, en 2035, ce sont 15.000 MW qui seront installés.
Fait nouveau : le gouvernement affiche son intention d’encourager la production des énergies renouvelables pour l’autoconsommation. Il promet de lever les contraintes réglementaires qui entravent cette démarche et prévoit de prendre des mesures incitatives et de procéder à l’homologation des kits solaires individuels. Il est prévu « la production des énergies renouvelables pour des usages autonomes (hors-réseau), notamment dans les zones d’ombres; systèmes solaires autonomes, kits solaires individuels, systèmes de pompage de l’eau par énergie solaire… »
Peut-on imaginer des terrasses de bâtiments dédiées aux panneaux solaires ? Elles sont occupées actuellement par les citernes d’eau et les paraboles, et parfois même par des habitations. Des experts en bâtiment réunis en décembre 2015, pour une conférence arabe sur l’engineering de la construction, tenue à l’université Saâd Dahleb de Blida, y ont pensé pour réduire la facture d’électricité. Ils ont appelé les architectes à affecter, lors de la conception des plans des bâtiments, un espace sur les terrasses des immeubles aux panneaux solaires qui serviront pour le chauffage et la climatisation des appartements.
Cette proposition est revenue tout récemment, avancée par le Dr Hocine Bensaad, expert en énergies renouvelables et membre du Conseil national économique, sociale et environnementale (CNESE), qui intervenait sur la chaîne 3 de la radio algérienne, jeudi 29 septembre 2021. Il recommande de mettre des panneaux solaires sur les habitations pour produire de l’électricité, et des chauffe-eau solaires pour l’eau chaude. Dans les établissements d’enseignement, les installations solaires seraient suivies par les enseignants de physique-chimie. Les centres hospitaliers également devraient, selon le Dr Hocine Bensaad, être alimentés en énergie solaire.
Le Dr Hocine Bensaad a rappelé qu’en 1975, déjà, à la création de l’Office national de la recherche scientifique (ONRS), les spécialistes algériens avaient la conviction que le pétrole et le gaz n’étant pas renouvelables, il fallait, dans un pays plein de soleil, commencer à aller vers les énergies renouvelables pour produire de l’électricité et vers des bâtiments qui puissent utiliser ces énergies. Il se souvient qu’à l’Université de Constantine, au sein du Centre universitaire de recherche, d’études et de réalisations (CURER, créé en février 1974, dissous plus tard), il y avait la volonté d’intégrer les compétences algériennes de diverses institutions, autour d’objectifs liés aux énergies renouvelables, dont la construction, pour les paysans, d’habitations qui pourraient être alimentés en énergie solaire. Il a également rappelé qu’entre 1975 et 1982, un grand nombre de diplômes d’études approfondies (DEA) et de doctorats de 3e cycle, avaient été soutenus dans différentes universités sur des thèmes liés aux énergies renouvelables. Il y avait déjà, fait remarquer le Dr Hocine Bensaad, le besoin de qualification de la ressource humaine pour gérer et développer le programme des énergies renouvelables.
C’était le temps du développement national. Après 1982, au lieu de continuer à avancer, un virage a été amorcé, qui nous a conduits au retard constaté aujourd’hui. Depuis quelques années, quand on parle des énergies renouvelables, la même lamentation est répétée systématiquement : « L’Algérie est dotée (pourtant) de potentiels remarquables avec un gisement solaire parmi les plus élevés au monde, des réserves incommensurables de minerai de silice et d’autres matériaux, et d’un vivier de compétences pluridisciplinaires ». Qu’est-ce qui bloque ?
En février 2015, au cours d’un débat sur les énergies renouvelables au Forum du journal Liberté, une enseignante en architecture bioclimatique à la retraite, a expliqué que « le problème de l’Algérie est qu’on commence et on ne finit jamais ! » Elle en donne la preuve : « En 1979, nous avions réalisé avec l’Onu et l’ex-Office de recherche scientifique (ONRS) un village solaire intégré à Boussaâda. Nous étions pionniers dans l’énergie solaire. Seulement, le talon d’Achille de l’Algérie est que dès qu’un directeur change, le projet tombe à l’eau. »
La question des changements climatiques est-elle intégrée dans les politiques publiques ? La réglementation thermique prévue dans le bâtiment est-elle appliquée ? Cela devrait être une des priorités de la transition énergétique. Les élus locaux, qui ont pour vocation de veiller à la mise en œuvre d’une politique de développement durable, ne semblent pas se sentir concernés par cette démarche.
Le chapitre du plan d’action du gouvernement, consacré à la transition énergétique comprend de bonnes intentions, comme la production de l’hydrogène, notamment « vert» , considéré comme un objectif prioritaire. Il y a également une grande ambition: un nouveau modèle énergétique qui doit tendre vers un mix énergétique équilibré à l’échéance 2030, à partir de « l’évaluation fine et cartographiée des potentiels réalisables au titre de chaque filière : solaire, éolien, géothermie, valorisation énergétique des déchets ». La filière nucléaire, en tant que « source vierge de toute empreinte carbone », pourra figurer au mix énergétique à partir de 2035. Les résultats retenus seront ancrés dans le modèle énergétique algérien à 2030 et 2050.
Ces objectifs dépendent de la loi sur la transition énergétique annoncée pour les prochaines semaines. La loi établira « les grands objectifs du nouveau modèle en inscrivant l’Algérie dans les tendances mondiales de révolution électrique et de lutte contre le dérèglement climatique. Elle visera à assurer la sécurité énergétique du pays et à sortir progressivement de la dépendance aux hydrocarbures en favorisant les énergies dites nouvelles et propres ».
Selon le plan d’action du gouvernement, « la dimension relative à la transition énergétique vers les énergies nouvelles et renouvelables dans le cadre du plan de relance économique du gouvernement vise à atteindre la croissance «verte» par le recours aux technologies énergétiques innovantes et digitalisées pour une nouvelle architecture de développement où la rente aux énergies fossiles laisse place à des modèles pérennes qui valorisent le lien social et les emplois durables, tout en favorisant une meilleure qualité de vie et la résilience aux différentes crises et risques majeurs ».
Des mesures d’appui sont envisagés, dont la création d’un l’Institut de la transition énergétique et des énergies renouvelables (ITEER), et le renforcement du Commissariat aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique (CEREFE, créé fin 2019 auprès du Premier ministre, et dirigé par le Professeur Noureddine Yassaa). Le CEREFE et ses unités régionales ont pour mission « l’évaluation de la politique nationale de développement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique, les outils mobilisés pour sa mise en œuvre ainsi que leurs retombées ». La dimension normative, en termes de normes à actualiser, de nouvelles normes à adopter, de moyens de calibration et d’étalonnage à mettre en place, fait partie de ces mesures d’appui qui comprennent également la formation, la recherche et développement, la coopération, ainsi que la communication pour sensibiliser l’opinion, la société civile à la transition énergétique.
Le premier rapport annuel du CEREFE, publié en novembre 2020, a recensé un faible nombre d’usines de fabrication de panneaux solaires photovoltaïques en Algérie. D’après ce rapport, leur capacité de production se résume à l’assemblage de kits importés de l’étranger. Le CEREFE a noté la présence de quelques entreprises d’installation pouvant assurer la fourniture et la pose de systèmes photovoltaïques de faibles puissances pour la génération d’électricité et le pompage solaire. En mai 2021, en marge du 11e Salon international des énergies renouvelables, des énergies propres et du développement durable (ERA), à Oran, le centre de recherche en technologie des semi-conducteurs pour l’énergétique (CRTSE) a annoncé qu’il produira des panneaux solaires.
Au bout de la transition énergétique, se trouve l’ « Algérie d’après » qui sera « à faible empreinte carbone, sobre, rationnelle et efficace dans sa consommation énergétique qui valorise tous ses potentiels «hibernants», notamment dans le domaine de l’énergie, et crée sur une base durable de nouvelles richesses pour la nation ». Une feuille de route suffit-elle à y parvenir ?
Dans son livre L’Algérie post-hirak A la conquête de l’avenir (Editions APIC, Alger, 2021), l’économiste Abdelatif Rebah consacre un chapitre aux enjeux inédits de la transition énergétique qui « n’est pas un choix mais une nécessité », écrit-il. Il définit la transition énergétique comme « le passage d’un système de production et de consommation d’énergie axé sur des énergies non renouvelables (pétrole, gaz, charbon) à un autre mix énergétique plus efficace et plus décarboné en même temps que la transformation d’une économie basée sur une énergie de stock (en déplétion) à une économie basée sur des flux d’énergies renouvelables ».
« Un constat unanimement partagé est que le modèle de pétro-dépendance énergétique et économique n’est plus tenable. Des périls majeurs pointent à l’horizon de ce «modèle» lesté de tant de vulnérabilités structurelles », explique-t-il.
Après avoir cité ses « multiples déclinaisons : économies d’énergie, rationalisation de la consommation énergétique, nouveau mix énergétique qui donne une place aux énergies renouvelables et à la préservation de l’environnement, réduction de la pétro dépendance et diversification de l’économie », l’économiste souligne que « la transition énergétique implique un changement qui ne se réduit pas au remplacement d’une source d’énergie par une autre ou à un mécanisme de réduction de la dépense énergétique. Il semble tout à fait évident qu’il ne peut s’agir que d’une œuvre de longue haleine ».
Pour Abdelatif Rebah, « la transition énergétique relève, par nature, de l’effort endogène d’innovation technique, économique, managériale, institutionnelle, sociale. C’est un effort qualitatif national inscrit dans la durée, qui implique une pluralité d’acteurs, de modes d’intervention, de cultures, une modification des usages par les consommateurs, la transversalité des processus ». Toute une stratégie.
Cet article a été publié dans La Nouvelle République (Alger) du jeudi 7 octobre 2021.
En haut : panneaux solaires en Algérie © Algérie Presse Service