Inondations mortelles, feux de forêts, dôme de chaleur, goutte froide… Sous nos yeux, le climat change, bousculant nos habitudes.
par Dominique Martin Ferrari
Publié huit ans après le 5e rapport en 2013, le dernier rapport du GIEC, publié lundi 9 août 2021, n’a donc pas surpris. Certains ont même dit : « bof, toujours pareil, le rapport du GIEC nous annonce une nouvelle fois la catastrophe ». Effectivement, cette catastrophe annoncée, nous commençons à faire avec, car peu de choses ont changé au regard des premières prévisions du GIEC qui ont conduit à l’adoption de la Convention climat en 1992 à Rio : simplement, ce n’étaient que des prévisions et aujourd’hui la fiction est devenue plus que réelle.
Tout va même plus vite que prévu, les bouleversements touchent toutes les régions du monde, s’aggravent avec une ampleur sans précédent et les deux volets qui vont suivre cette première parution, sur la vulnérabilité de nos sociétés et sur les solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, qui paraîtront en février et mars 2022, ne contrediront pas cette donnée.
« Alors, à quoi bon ? », diront certains.
A ne pouvoir affirmer quand on dirige un pays : « je ne le savais pas ». Les responsabilités sont confirmées et rendent redevables devant l’histoire. Ainsi les climato-sceptiques sont balayés, mais ils nous ont fait perdre des années précieuses et sur certains points il est désormais impossible de revenir en arrière. D’ailleurs, les 234 chercheurs venus de 66 pays différents ne l’évoquent même plus. Ensemble, ils parlent de l’urgence d’une stabilisation. Et à moins de 100 jours de la COP 26 qui va se tenir à Glasgow, cela signifie qu’il reste fort peu de temps pour faire aboutir le « résumé à l’intention des décideurs » négocié ligne par ligne, mot par mot, par les représentants des 195 pays membres du GIEC, en collaboration avec les auteurs, ce qui lui donne une forte légitimité.
Les engagements de réduction des émissions sont pour l’instant insuffisants pour tenir les objectifs du traité international : limiter le réchauffement climatique « bien en deçà » de 2 °C par rapport à l’ère préindustrielle, et si possible à 1,5 °C. Pour l’instant, seulement la moitié des signataires de l’accord de Paris ont révisé leurs engagements à la hausse. Mais on est plutôt actuellement sur une prévision de 3 °C ou 4 °C supplémentaires. La température à la surface du globe s’est élevée d’environ 1,1 °C sur la dernière décennie comparativement à 1850-1900, avec un réchauffement plus prononcé sur les continents (1,6 °C) que sur les océans (0,9 °C).
Cette dérive est sans retour
Désormais sont atteints les fameux tipping points (points de basculement), signes de l’irréversibilité du processus : le réchauffement des pôles, la fonte de la banquise (le rythme de fonte des calottes du Groenland et de l’Antarctique a été multiplié par quatre entre 1992-1999 et 2010-2019, process inédit depuis 2000 ans), le début de l’élévation des mers (plus rapide en 1990 qu’au cours des 3000 dernières années)….
Or nous ne sommes qu’au début d’un processus inexorable. Normands et Bretons connaissent le Gulf Stream, ce courant qui réchauffe nos côtes, adoucit nos hivers et fait que Saint-Pierre-et-Miquelon, qui est à peu près à la même latitude, peut atteindre des – 20 °C en hiver quand le mimosa fleurit sur l’île de Bréhat. Contrairement à ce que disait la tradition, ce n’est pas un gigantesque fleuve d’eau chaude circulant à l’intérieur de l’Atlantique du Mexique à la Norvège. Les chercheurs l’intègrent désormais comme segment de la gyre océanique de l’Atlantique Nord et les courants d’eau chaude qui rejoignent l’Europe sont aujourd’hui appelés par les climatologues « la circulation de retournement » (en anglais Atlantic meridional overturning circulation, AMOC). Cette circulation est composée d’eaux chaudes originaires du golfe du Mexique qui rejoignent les côtes européennes avant de se refroidir, jouant un rôle régulateur dans les climats d’Europe du nord-ouest. Les modélisations actuelles n’annoncent pas la disparition de la circulation de retournement dans un avenir prévisible, mais elles indiquent qu’elle pourrait connaître des perturbations entraînant des hivers plus froids et des étés plus caniculaires.
L’augmentation globale des températures va perturber le cycle de l’eau et influer sur les cultures. Le manque d’eau est déjà ressenti en Nouvelle Aquitaine et en Occitanie. Près de Perpignan, les vignerons touchés par les gels tardifs et les épisodes de sécheresse remplacent les vignes par des cultures d’aloé vera et de cactus raquette. L’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) nous annonce l’arrivée des cultures d’oranges, le recul du maïs, la progression du sorgho, les modifications de cépages des vignes….
Autres champs de bataille
Jusqu’à présent, seuls les initiés évoquaient avec certitude le rôle du méthane et du protoxyde d’azote. Désormais, ces deux gaz sont médiatiquement, comme le CO2, au banc des accusés, contribuant à ce surplus d’énergie qui bouleverse le système climatique. Le méthane est moins persistant que le CO2 dans l’atmosphère, mais vingt-huit fois plus néfaste. Ce gaz à effet de serre est responsable d’un quart du réchauffement et un tiers provient de la production animale. Comme tous les pays signataires de l’accord de Paris, les quatre plus gros producteurs mondiaux de bovins – l’Inde, la Chine, le Brésil et les États-Unis – ont reçu et approuvé cette base scientifique du GIEC. Sur les 20 pays les plus vulnérables aux effets du changement climatique, 5 se trouvent en Afrique de l’Est (la Somalie en première place), alors qu’ils sont les moins responsables de ce phénomène. L’exemple vient d’être donné par l’Ethiopie : affecté par des sécheresses plus fréquentes, ce pays prend sa part de responsabilité en réduisant ses émissions de gaz à effet de serre, en troquant progressivement la viande de bœuf contre du poulet, indolore pour l’environnement s’il n’est pas élevé dans une usine énergivore… Le gouvernement veut en augmenter la production de 33 000 à 81 000 tonnes. Pour y parvenir, l’Ethiopie a besoin d’aides financières aujourd’hui largement octroyées aux entreprises européennes. Si cet argent ne tenait qu’aux scientifiques du GIEC, le pays africain le recevrait sans délai. Il faudra donc à Glasgow mieux répartir les aides à l’adaptation entre le Nord et le Sud.
Les chercheurs ont établi les constats, réduit les incertitudes. Aux politiques d’agir
Des solutions claires sont renouvelées, comme la fin des énergies fossiles au bénéfice des renouvelables, le financement des politiques d’adaptation et de résilience. Ces solutions agitées depuis maintenant trente ans ont pour ennemi majeur le retard dans la prise de décision. Dans tous les cas de figures, la température va continuer d’augmenter dans les vingt prochaines années. Nos actions actuelles déterminent l’ampleur du dérèglement climatique dans la deuxième moitié du siècle. C’est vrai, les solutions proposées sont difficiles à prendre et remettent tant de choses en question, mais, comme le déclare Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU : « la viabilité de nos sociétés en dépend ». Et Valérie Masson-Delmotte, directrice de recherche au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies (CEA) et coprésidente du groupe 1 du GIEC, d’ajouter : « Sans réduire fortement, rapidement et durablement nos émissions, la limitation du réchauffement à 1,5 °C sera hors de notre portée. En revanche, si nous agissons maintenant, nous verrons des effets d’ici dix à vingt ans. S’il est désormais impossible de revenir en arrière pour certaines composantes du système climatique, la montée du niveau des mers peut être limitée et on peut avoir une stabilisation des événements extrêmes. » (Le Monde, 9 août 2021).
Malheureusement, les Etats ne s’engagent pas suffisamment, les lobbies sont encore trop puissants. Quant à la société civile, elle semble avoir perdu la notion du bien commun. Résultat : plutôt que lutter contre les causes bien identifiées de ces phénomènes, les humains se croient à nouveau capables de dompter la nature et envisagent des solutions qui dépassent en conséquences nos connaissances. Elles sont évoquées dans l’Obs du 5 août 2021 sous le titre « refroidir la planète : les projets fous des sorciers du climat » et seront sans doute apparentes dans le volet 3 de ce rapport, à paraître en mars 2022.
Pour lire le résumé à l’attention des décideurs, cliquez ici.
A lire sur le site de Libération : 2050 : la fiction dépassée par la réalité (réservé aux abonnés)
Quelques extraits du résumé à destination des décideurs
L’élimination du dioxyde de carbone (carbon dioxide removal, CDR) est nécessaire pour atteindre la neutralité carbone dans tous les scénarios, comme indiqué précédemment dans le rapport spécial 1.5 du GIEC. Elle impactera des systèmes essentiels au maintien de la vie tels que la disponibilité en eau, la production alimentaire et la biodiversité. (D1.8, page 40)
L’élimination du dioxyde de carbone recouvre un large éventail de méthodes : boisement, restauration des zones humides, captage et stockage directs du carbone dans l’air (DACCS) et fertilisation des océans. (Chapitre 5, Tableau 5.10)
Remarque : les décisions politiques détermineront si cette influence est positive ou négative, mais cela ne sera pas abordé ici. Le rapport AR6 du groupe de travail III (WGIII) abordera ce point.
L’élimination du carbone n’est pas du «1-pour-1». Lorsqu’une tonne de CO2 est émise dans l’atmosphère, l’effet qu’elle a sur le CO2 atmosphérique est plus important que lorsqu’une tonne de CO2 est éliminée par la méthode CDR, en raison des réactions terrestres et océaniques. Le rapport indique que « la diminution du CO2 atmosphérique résultant des absorptions de CO2 anthropique pourrait être jusqu’à 10 % inférieure à l’augmentation du CO2 atmosphérique résultant d’une quantité égale d’émissions de CO2, en fonction de la quantité totale de carbone éliminée» (D1.5, page 39)
La fourchette d’instabilité climatique s’est réduite depuis le dernier cycle d’évaluation du GIEC. Le rapport AR6 estime que l’augmentation la plus réaliste serait de +3 °C et propose une marge d‘augmentation probable de +2,5 °C à +4 °C, contre une marge de +1,5 °C à +4,5°C dans le rapport AR5, qui ne s’était alors pas prononcé quant à la trajectoire la plus réaliste (A4.4, page 14)