Cet été, un adhérent des JNE a expérimenté deux approches de la forêt diamétralement différentes : la sylvothérapie et un chemin des cimes. Récit.
par Jean-Claude Génot *
Ma femme et moi avons choisi un lundi matin de juillet pour une séance de sylvothérapie d’une durée de deux heures dans les forêts des Vosges du Nord. Pas de chance car il pleut, mais rien ne nous arrête, habitués à marcher en forêt même par mauvais temps. Nous avons rendez-vous avec Manuela, sylvothérapeute, qui vit dans un petit village entouré de forêts. Manuela est sophrologue et, après avoir été professeure de sciences et vie de la terre dans un collège, elle a réorienté entièrement sa vie pour vivre au plus près de la forêt, telle une femme sauvage. Elle parcourt la forêt pieds nus par tous les temps, de nuit comme de jour. Les consignes sont les suivantes : ne pas s’encombrer de sac à dos, de téléphone portable et se chausser de façon légère car il faut pouvoir se mettre pieds nus facilement en gardant ses chaussures à la main. Pour Manuela, le earthing ou grounding (mise à la terre) fait partie intégrante de la thérapie forestière. Cette « mise à la terre » peut s’effectuer également en s’allongeant ou en s’asseyant sur le sol.
Nous voilà partis pour deux heures sous la pluie et sur un sol détrempé, non pas pour randonner mais pour profiter du contact avec la forêt. Au programme : exercice de respiration, marche lente et silencieuse, activation des cinq sens, trajet les yeux bandés guidés par votre binôme et choix d’un arbre à rencontrer, regarder dans les moindres détails, toucher et sentir. Grâce à cette mise en condition, on peut très vite vivre pleinement l’instant présent et ressentir du plaisir à entendre le crépitement de la pluie sur les feuilles, voir les dégradés de vert de la forêt, caresser l’écorce rugueuse d’un chêne, respirer l’odeur de l’humus ou encore goûter les aiguilles d’un sapin. Le véritable bonheur est dans la simplicité. La première surprise est le plaisir enfantin de marcher pieds nus que ce soit sur le sable mouillé des chemins, le sol couvert de feuilles ou encore de graminées trempées par la pluie. Aucune sensation de froid. Marcher pieds nus n’est pas une lubie de gens qui vouent un culte à la Terre mère ! Nos pieds nus sont des récepteurs nerveux qui peuvent avoir des échanges électriques avec la terre. Cette énergie électrique du sol stabilise notre système nerveux et synchronise notre rythme circadien avec celui de la nature. Ces échanges d’électrons permettent, entre autres, de diminuer le stress, le rythme cardiaque et les dérèglements hormonaux, d’améliorer la réponse du système immunitaire en lien avec les traumatismes et les blessures et d’éliminer ou réduire sensiblement douleur et inflammation. Bien entendu, le fait de passer deux heures en forêt même sans marcher pieds nus, est bénéfique en termes de bien être (réduction du stress, des insomnies et de la dépression) selon les Japonais qui nomment cela le bain de forêt (shinrin yoku), base de la sylvothérapie.
Cette approche nouvelle de la forêt attire beaucoup de citadins stressés par les mauvaises conditions de vie et de travail, accentuées depuis la pandémie. En ce qui me concerne, je passe beaucoup de temps en forêt, qu’il s’agisse d’une balade, d’une randonnée plus conséquente ou d’observations naturalistes. Ce n’est donc pas la forêt qui m’a attiré car je n’ai pas besoin de guide, mais la manière avec laquelle Manuela fait ressentir le milieu forestier. La plupart du temps, mes sorties en forêt sont l’occasion de réagir en écologue, soit de m’émerveiller devant un arbre remarquable ou face à l’observation furtive d’un animal sauvage, soit de m’emporter contre une coupe abusive ou un chemin défoncé par un engin de débardage. Mon cerveau est en éveil pour analyser ce que je vois, pour penser à des choses passées ou pour me projeter dans le futur. Cette séance de thérapie forestière est un excellent moyen de vivre uniquement l’instant présent pour se connecter aux éléments naturels en laissant de côté ses connaissances et sa rationalité et en réagissant plus de manière « animale ». Place à la partie de son cerveau liée aux émotions. Evidemment, les ruraux qui vivent dans les villages forestiers des Vosges du Nord se moquent probablement de ces pratiques qu’ils considèrent certainement comme une nouvelle mode urbaine. Eux vont en forêt pour couper du bois, pour marcher en groupe ou pour servir de rabatteurs lors des battues. Leur rapport utilitaire à la forêt bloque la sensibilité à la nature et les empêche de découvrir d’autres émotions procurées par un contact purement sensible avec la forêt, ce qui nécessite un lâcher prise que beaucoup de nos concitoyens semblent incapables de faire.
Mi-juillet, j’ai été invité à l’inauguration du premier chemin des cimes français, installé en Alsace sur la commune de Drachenbronn (Bas-Rhin), située dans le Parc naturel régional des Vosges du Nord ; ayant participé à ce projet juste avant de prendre ma retraite du Parc. Cet équipement touristique tout en bois se compose d’un chemin qui serpente dans une forêt composée majoritairement de pins sylvestres avec d’autres espèces (épicéas, hêtres, bouleaux) et dont la hauteur va de 5 mètres au début en haut du versant à 23 mètres dans la pente. Le chemin mène à une tour de 29 mètres de haut et propose une vue imprenable avec d’un côté, les Vosges du Nord et, de l’autre, la plaine d’Alsace et la Forêt Noire où existe également un tel équipement. Le parcours complet fait un peu plus d’un kilomètre avec une pente de 6 % permettant un accès facile aux fauteuils roulants et aux poussettes. Ouvert à tout public, cet équipement spectaculaire vise les familles avec enfants. On trouve ainsi le long du chemin des stations interactives, des jeux et des passages sur des poutres ou des éléments mobiles à une hauteur impressionnante et, au sommet de la tour, la possibilité de descendre par un toboggan de 75 mètres de long. Tour et chemin sont complétés par un snack et l’inévitable boutique souvenirs. Ce chemin des cimes a vu le jour à la suite de la requalification d’une base aérienne fermée par les autorités militaires. C’est la communauté de communes locale qui assure la maîtrise d’ouvrage globale de cette réhabilitation focalisée sur un tourisme « vert ». Pour le chemin des cimes, elle a trouvé un investisseur allemand : la société EAK qui, avec ce premier chemin des cimes français, en est à son onzième équipement. L’investissement global représente 5,5 millions d’euros, financés par EAK, ainsi que par des aides de la Région. L’Etat et la Collectivité européenne d’Alsace (fusion des deux départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin) ont apporté également un soutien financier pour les aménagements annexes (parking, route d’accès, réseaux). Le parking est situé au pied de la colline où a été construit le chemin des cimes (altitude d’environ 500 m) et où les visiteurs peuvent prendre une navette ; l’autre possibilité est d’emprunter un sentier pédestre à travers la forêt. D’autres projets devraient voir le jour comme un camping avec des cabanes dans les arbres ou glamping, situé dans une forêt, anciennement propriété militaire qui possède de très nombreux vieux arbres inventoriés afin d’être protégés.
La visite inaugurale s’est effectuée en groupe d’une trentaine de personnes. En empruntant le chemin, on prend vite de la hauteur et vers les 20 mètres de haut, les piliers de soutien apparaissent comme une autre « forêt », vivante elle aussi puisque ces piliers sont faits pour amortir les vibrations. La prouesse du constructeur est d’avoir installé ce chemin et la tour en éliminant le moins d’arbres possibles, puisque le but est de donner aux visiteurs la sensation d’être à la hauteur des arbres et au plus près d’eux. Une violente pluie orageuse a précédé l’inauguration, ce qui a permis d’apprécier le paysage forestier des Vosges du Nord avec de la brume dans les vallons. Quand on a la chance de se retrouver seul sur le parcours, on peut prendre le temps de se laisser bercer par le balancement des arbres. Au long du chemin, il y a des stations plus larges avec les activités ludiques pour les enfants et certains panneaux pour les adultes avec des textes courts en trois langues sur la faune et la flore des forêts. Un panneau est consacré au lynx en cours de colonisation dans les Vosges du Nord, suite à la réintroduction dont il a fait l’objet dans la forêt du Palatinat, en Allemagne. Enfin, une carte de la réserve de biosphère transfrontalière Vosges du Nord-Pfälzerwald permet aux visiteurs de réaliser, en un lieu proche de la frontière, que les deux massifs forestiers sont en continuité écologique. La tour et le chemin sont des points d’observation privilégiés pour suivre l’état de santé des arbres dans un contexte de changement climatique. A ce sujet il faut espérer que la forêt résistera bien au réchauffement et aux pathogènes.
Que dire de ces deux approches pour ce qu’elles ont en commun et pour ce qu’elles ont de différent ? Les deux expériences visent à faire naître des émotions liées à la forêt, dans un cas au contact du sol sous les arbres et, dans l’autre cas, à hauteur des canopées, voire bien au-dessus. Toutefois, la sylvothérapie est une expérience individuelle, intérieure car la nature nous permet de mieux nous connaître, qualitative, sans recours à aucun artefact entre soi et la nature et faisant appel à nos réactions sensibles. Le chemin des cimes est une approche collective, plus quantitative (25 000 visiteurs en deux mois), ayant recours à un équipement impressionnant et faisant plus appel à notre rationalité pour lire des panneaux ou tenter de comprendre la structure en bois sur laquelle on se promène. La sylvothérapie peut être vécue par certains participants comme un simple exercice physique bon pour la santé en passant à côté de la dimension spirituelle et sensible. Le chemin des cimes présente le risque de focaliser le visiteur sur la technique nécessaire à l’édification d’un tel équipement touristique ou sur les aspects ludiques au lieu de se laisser saisir par l’originalité du regard sur la cime des arbres. La forêt des Vosges du Nord est relativement pauvre en espèces d’arbres et celle traversée par le chemin des cimes est jeune. C’est pourquoi il est peu probable qu’il permette d’observer des très vieux arbres ainsi qu’une faune et une flore exceptionnelle. Ici pas d’épiphytes, ni de singes au sommet des arbres car nous ne sommes pas en forêt tropicale ! Certains diront que les deux démarches sont complémentaires. En tout cas il serait très intéressant que les participants à la sylvothérapie visitent le chemin des cimes et réciproquement. Cela permettrait de savoir si le ressenti des deux approches est différent, et si oui pourquoi.
* Ecologue
Photo du haut : la tour de 29 mètres de hauteur du Chemin des cimes, en Alsace, avec son toboggan © Jean-Claude Génot