Le vendredi 18 juin, en fin d’après-midi, une petite équipe de sept membres des JNE s’est retrouvée dans le hameau de Chantaussel, près de Saint Julien-en-Champsaur (Hautes-Alpes), au Jardin de Grande Compassion, appelé aussi Ermitage de montagne ou Thouktchenling. Dans ce lieu spirituel à caractère familial qu’il a fondé, Lama Tsulgya, un Français fortement engagé dans la voie du bouddhisme tibétain dès l’âge de 17 ans, anime des retraites de formation à la méditation.
par Jean-Claude Noyé avec Myriam Goldminc et Gabriel Ullmann
A notre arrivée, nous nous sommes installés dans l’actuel bâtiment principal aux murs en parpaings enduits en terre et paille, aux tons ocres, ornés de frises en galets. Destiné aux retraitants, le rez-de-chaussée abrite des chambres et petits dortoirs coquets où peuvent dormir douze personnes, ainsi qu’une salle à manger et une cuisine de collectivité. Le deuxième étage est réservé à l’appartement de Lama Tsulgya et de Katja, son épouse. Le troisième et dernier étage est, lui, entièrement dédié au temple : coussins et tapis de méditation disposés sur un parquet en sapin, tankas aux murs, autel orné de statuettes figurant des divinités, textes de pratique ou d’enseignements tibétains imprimés recto-verso sur des feuillets volants, etc.
Jouxtant cette grosse maison, une autre, petite, construite et décorée dans le même esprit, accueille aujourd’hui la mère de Lama Tsulgya, gagnée par le grand âge. Un peu plus loin, un gros corps de ferme en plein travaux est destiné à devenir le siège principal du centre. D’ores et déjà y habitent un couple avec ses enfants ainsi que Pierre, 35 ans, qui nous fit visiter le chantier le lendemain de notre arrivée. Après des études d’ingénieur en électronique et un master en éthique et développement durable, le jeune homme s’est installé ici en 2016. Il participe aux différentes activités tout en bénéficiant des enseignements de Lama Tsulgya. Non sans travailler, pour dégager un salaire, à l’élaboration de sites internet commandés par divers clients. Ses parents, Cécile et Jacques, ingénieurs agricoles de formation et aujourd’hui retraités, ont eux-mêmes fait construire juste à côté une maison écolo où ils vivent désormais.
C’est en leur compagnie que nous avons pris dehors un diner frugal le premier soir en profitant du décor enchanteur au sud du parc national des Écrins, avec des sommets qui grimpent à 3000 mètres, une vue qui plonge sur la vallée du Champsaur et, au loin, en arrière-fond, sur le massif du Dévoluy. Lama Tsulgya nous a ensuite rejoints pour boire avec nous une infusion et répondre à nos premières questions tout en déroulant son parcours. La fatigue du voyage et la fraîcheur de l’altitude aidant, nous n’avons pas tardé à rejoindre nos lits.
Le réveil fut matinal : dès 7 heures, nous étions assis qui en tailleur, qui sur des chaises, pour participer à une méditation silencieuse introduite par la lecture de prières et guidée par Lama Tsulgya. Cette méditation apparentée au Grand Sceau ou Mahamoudra, est, fait-il valoir, « une forme de méditation de pleine conscience, libre de toute saisie (objet) et appropriation, principalement pratiquée par la lignée Kagyupa et, selon moi, plus adaptée aux occidentaux. De fait, le Mahamoudra présente des méthodes qui permettent de comprendre véritablement la nature même de notre propre esprit, et de nous conduire ainsi à l’éveil. L’enseignement se fait en français, langue également utilisée au cours des diverses cérémonies ou pour étudier les textes sacrés .»
Après la méditation, un solide petit déjeuner nous permit de reprendre nos discussions à bâtons rompus et de nous mettre en jambes pour une première randonnée naturaliste de deux heures le long du bois Rolland, en direction du village de Chaillol. L’occasion de se promener au sein de belles forêts peuplées notamment de très beaux hêtres et mélèzes, de traverser des prairies et d’admirer les paysages somptueux. Parmi les très nombreuses fleurs appréciées, une bonne dizaine d’orchidées : Orchis sureau, Orchis brûlé, Orchis pourpre, Orchis moucheron, Orchis mâle, Ophrys insecte, Céphalanthère blanche, Listère à feuilles ovales, Platanthère verdâtre, et la seule orchidée parasite : Néottie nid d’oiseau. Même les animaux ne manquèrent pas à l’appel (marmottes, chamois et même lièvres). Ambiance végétale, naturelle…et ambiance de camaraderie bucolique !
Le samedi après-midi fut consacré à la visite guidée des jardins. Cécile nous expliqua d’emblée que l’idée est d’être le plus autonome possible au niveau alimentaire en s’inspirant de la permaculture. Vingt-cinq personnes du voisinage, comprenant les résidents permanents de l’ermitage et des fidèles du lieu, sont membres de l’association Jardin partagé. Moyennant une cotisation de 10 € et une demi-journée de travail par semaine, elles peuvent ramasser fruits et légumes dans toutes les surfaces cultivées, soit près de 7000 mètres carrés. Des buttes ont été plantées ça et là, où tomates, choux, salades et cucurbitacées sur leur lit de paille voisinent avec les fleurs de bourrache, d’œillets d ‘Inde ou de calendula. Et Cécile d’expliquer que « ce sont des plantes mellifères qui attirent de nombreux insectes. De même que la phacélie, une plante riche en azote et en phosphore qu’elle puise dans le sol grâce à ses racines profondes. Outre qu’elle apporte un engrais vert précieux pour les cultures, la phacélie peut être utilisée, après fauchage, comme paillis pour la culture suivante. De plus, elle attire les prédateurs des pucerons et des gastéropodes ».
Outre les buttes, Cécile nous fit faire le détour par les deux serres ainsi que par le jardin des fruits rouges et une grande surface dédiée à la culture des pommes de terre. Sans oublier une autre parcelle où Katja sélectionne les plus beaux légumes afin de garder les graines pour mettre en place une banque de semences et gagner encore plus d’autonomie. Les récoltes abondantes permettent de consommer légumes et fruits, soit directement après récolte, soit dans des conserves stockées dans une cave fraîche. Le domaine, d’une superficie de deux hectares, abrite en outre quatre mares bordées de roseaux et d’iris jaunes des marais où virevoltent des libellules favorisant la biodiversité. Et deux bassins de filtration des eaux usées avec un système de plantes macrophytes. Cécile nous fit également visiter la chaudière à bois déchiqueté, assez puissante pour porter à une température confortable (via des murs et sols chauffants) une surface totale de 1500 mètres carrés. Dans l’actuel bâtiment principal, des panneaux solaires thermiques et un poêle de masse complètent ce dispositif.
Après le dîner pris de nouveau dehors, à la fraîche, nous nous sommes retrouvés à 20 h dans le temple pour assister à une séance de questions-réponses en « distanciel » : Lama Tsulgya, assis en tailleur devant un écran d’ordinateur, répondant à plusieurs de ses disciples lui exprimant leur difficulté à vivre dans telle et telle situation de la vie ordinaire. L’occasion pour plusieurs d’entre nous de le questionner aussi. Et l’occasion pour lui de rappeler quelques-uns des traits fondamentaux du vajrayana ou transmission tibétaine des enseignements du Bouddha. Ou d’affirmer sa conviction qu’il faut plus que jamais se centrer sur l’essentiel car nous sommes à la fin des temps. Mais que si cette période historique sans précédent est spécialement âpre à vivre, loin de nous laisser aller au marasme, nous sommes appelés à positiver. Et à travailler, autant que faire se peut, à soulager la souffrance de tous les êtres. De fait, l’affirmation de la réalité prégnante de la souffrance (dukkha) est la première des quatre nobles vérités professées par le Bouddha. Et son corollaire, l’appel à s’en libérer, traverse tout l’enseignement de l’Eveillé.
Le dimanche matin, après une deuxième séance de méditation silencieuse dans le temple et un deuxième petit-déjeuner au grand air, nous avons fait une virée en direction du lac de Barbeyroux. Ce fut, comme la veille, une marche en forme d’enchantement à l’écoute des chants d’oiseaux et l’observation d’une flore variée. Le temps de rentrer avant les premières gouttes de pluie et nous étions attablés dans la salle à manger en compagnie de Lama Tsulgya et de ses proches. Déjà, il nous fallait nous séparer pour prendre le chemin du retour. Non sans nous redire combien cette rencontre sur le thème « écologie et spiritualité » et nos retrouvailles nous ont fait le plus grand bien après tous ces mois de confinement et de mise à l’arrêt.
Pour en savoir plus : le site de Thouktchenling (cliquez ici).
Le bouddhisme et l’écologie
Dans son livre Sur la Terre comme au Ciel. Lieux engagés en écologie (éditions Labor et Fides), notre collègue Christine Kristof-Lardet (JNE) rapporte ce propos du Dalaï Lama : « La science comme l’enseignement du Bouddha nous parle de l’unité fondamentale de toutes choses. Il est crucial de le comprendre si nous voulons agir de manière positive et décisive sur l’urgent problème mondial de l’environnement. » De fait, l’enseignement du Bouddha vise à développer une attitude de non-violence et de respect de la vie. Ce qui implique non seulement de limiter autant que possible nos prédations sur le vivant, mais aussi de nous engager activement dans sa protection. La compassion envers les êtres est fondée sur la compréhension de l’interdépendance qui les relie et nous rend solidaire d’eux. Elle est conçue comme un principe d’harmonie vitale et relationnelle. Dans cette perspective, l’homme n’est pas tant le centre de l’univers qu’un « fil dans l’économie de la nature parmi les autres fils de la toile de la vie ». De fait, au Jardin de Grande Compassion, l’écologie n’est pas abordée comme une fin en soi à proprement parler, mais bien comme un engagement qui découle de la prise de conscience qu’aucun phénomène n’existe en tant qu’entité indépendante. Prise de conscience elle-même renforcée (affinée) par la pratique de la voie. Le but de celle-ci étant la reconnaissance de la nature de l’esprit et la libération de toutes les souffrances par la réalisation de l’Éveil. J-C. N.
Photo du haut : au cours d’un voyage de presse en juin 2021, la femme de Lama Tsulgya, Katja (debout avec un chapeau), explique aux JNE les cultures en place et les différentes rotations dans le Jardin de Grande Compassion (Hautes-Alpes) © Isabel Soubelet