Jacques-Eloi Duffau est l’un des premiers particuliers à avoir signé des contrats d’Obligations réelles environnementales (ORE) avec des institutions publiques, fin 2020. Et il ne cache pas sa satisfaction…
par Anne-Sophie Novel *
On le présente souvent comme un mécène écologiste, mais il déteste être perçu ainsi. « Je ne suis pas riche, je suis juste un fondu de nature ! Ne m’interroger que sur la façon dont je dépense mon argent m’agace au plus haut point, l’essence de ma démarche est ailleurs », souligne d’emblée Jacques-Eloi Duffau, l’un des premiers particuliers de France à avoir signé des contrats d’Obligations réelles environnementales (ORE) avec des institutions publiques (le département de la Gironde et le PNR des Landes), en décembre 2020.
Cet ancien chef d’entreprise, parti à la retraite à la fin des années 2000, avoue ressentir une joie indescriptible à placer ainsi des lieux « en libre évolution ». Une démarche longuement réfléchie : « il faut tout remettre en question, revisiter ce qu’on nous a mis dans la tête : la notion de propriété, la notion de rentabilité et la notion d’héritage », souligne ce père de trois grands enfants d’ores et déjà bien installés dans la vie professionnelle. « Ils me connaissent, et savent que je ne suis pas pour l’héritage — ou un peu mais pas trop », ajoute encore le retraité, qui voit ses ORE comme une donation au vivant, dépassant ses intérêts purement personnels.
Deux ans de réflexion et deux partenaires
Pour mener à bien ce projet, deux ans ont été nécessaires : pour acquérir les espaces à préserver tout d’abord, puis pour formaliser son contrat en ORE. Le premier terrain qu’il achète est situé à Aubiac (Gironde) : 8 hectares d’une belle forêt laissée en libre évolution. Le second est à Belin Beliet (Gironde) : 40 hectares classés en zone Natura 2000. Pour délimiter les contours de son projet, il lui faut ensuite trouver les interlocuteurs appropriés. Quand il partage son intention au Conseil Général de Gironde, sa demande crée un véritable enthousiasme : des ORE ont déjà été conclus avec des conservatoires d’espaces naturels en région parisienne, mais avec un département c’est la première fois. « C’est une vraie démarche citoyenne et c’est mieux qu’une donation : si on donne quelque chose à quelqu’un.e, il-elle est seul.e à le posséder, alors qu’à deux on créé une émulation », relève Jacques-Eloi Duffau, qui affirme avoir créé des liens formidables avec les fonctionnaires qui se sont emparés de son projet. « Nous sommes heureux de faire les choses autrement, nous avons remué ciel et terre avec la formidable petite équipe du Conseil Général : personne n’avait jamais conclu d’ORE et la démarche est encore rarissime, alors ensemble nous avons affiné les conditions et les juristes nous ont conseillé de signer un contrat administratif », détaille le retraité (1). Le Conseil Général de la Gironde passe alors la forêt d’Aubiac en espaces naturels sensibles (ENS) le 5 octobre 2020 — de quoi assurer une assistance technique et financière pour des actions de maintien, conservation, gestion ou restauration d’éléments de biodiversité.
Aider les particuliers à se lancer
A Belin Beliet, c’est le Parc Naturel Régional des Landes qui est sollicité. En s’inspirant des contrats signés en région parisienne avec les conservatoires d’espaces naturels et du contrat signé avec le département de la Gironde, le PNR des Landes signe à son tour un ORE. Dans les deux cas, Jacques-Eloi Duffau a exigé une ORE de 99 ans, la durée maximale ! « Ce contrat peut être repensé en accord avec l’ensemble des contractants, et à l’avenir tout acquéreur devra le respecter », ajoute Jacques-Eloi Duffau, impatient de voir le résultat des recensements entomologiques et botaniques prévus prochainement par ses nouveaux co-contractants sur les deux lieux.
Celui qui avoue « s’être fait plaisir » rêve aujourd’hui d’entraîner dans son sillage d’autres propriétaires qui, comme lui, peuvent acheter sans forcément « être riches »… Conscient que le dispositif peut souffrir d’effets d’aubaine (certains propriétaires y voient la possibilité de bénéficier d’exonérations fiscales par exemple (2) en plaçant ainsi leur intérêt personnel avant l’intérêt naturel), il finalise actuellement la réalisation d’un site web où il partagera son expérience et permettra à d’autres de s’engager de la même manière. Soucieux de bien faire, l’entrepreneur de toujours est bien conscient d’« essuyer les plâtres avant de passer la main à une association ou des personnes qui prendront ma suite ».Une chose est sûre en attendant : à 73 ans, il se projette donc ainsi pour longtemps dans l’avenir : « en 2120 on ne sera plus là, mais c’est un bonheur de savoir que rien ne pourra être fait sur ces parcelles… »
* Journaliste et auteure, Anne-Sophie Novel est spécialiste de l’économie du partage.
(1) S’il avait décidé de contractualiser ses ORE avec une association, le contrat aurait sans doute été finalisé autrement, en passant chez un notaire.
(2) Une fois l’ORE actée, le propriétaire peut demander à sa commune d’être exonéré de taxes foncières sur les superficies concernées.
Pour aller plus loin
Texte de loi
Article L. 132-3 du code de l’environnement relatif aux ORE.
Bibliographie et liens
– Fondation pour la recherche sur la biodiversité, note de FRB, Comment développer les ORE en France ? Expériences étrangères, mars 2021.
– Rapport du gouvernement au Parlement sur la mise en œuvre du mécanisme d’ORE et sur les moyens d’en renforcer l’attractivité, janvier 2021.
– Ministère de la transition écologique et solidaire, ORE fiches de synthèse, 19 juin 2018 (site ministère).
– G.J. Martin, Les ORE, dans C. Cans et O. Cizel, Loi biodiversité, ce qui change en pratique, éd. Législatives, 2017, p.100 et s.
Ce texte est l’un des éléments d’une note de synthèse réalisée par les JNE-NA, branche régionale (Nouvelle Aquitaine) de l’association des Journalistes et écrivains pour la Nature et l’Ecologie (JNE).
Rédaction : Pierre Arnault, Michel Prieur, Frédéric Plénard, Anne-Sophie Novel. Photographies : Maurice Chatelain. Relecture : Anne-Sophie Novel, Laurent Samuel.
Coordination éditoriale et révision : Alexandrine Civard-Racinais. Mise en page : Frédérique Gilbert
A lire aussi, les autres éléments de cette note de synthèse :
– Signer un contrat d’ORE. Un parcours du combattant ?
– ORE, mode d’emploi
Photo du haut © Maurice Chatelain (JNE)