Biodiversité : l’année du sursaut ?

Nouaillas-O

 


par Olivier Nouaillas

« La biodiversité ? Tout le monde s’en fiche ! » Vous souvenez-vous de la colère de Nicolas Hulot quand, en tant que ministre de la Transition écologique et solidaire, il annonça à l’Assemblée Nationale, le 21 mars 2018, les grandes lignes du énième plan français pour la biodiversité ? D’une voix froide, le militant écologiste devenu ministre, récapitula ainsi les mauvaises nouvelles : « 30 % d’oiseaux en moins en quelques années, 80 % d’insectes en moins à l’échelle européenne, le dernier grand mâle rhinocéros blanc du nord de l’Afrique a disparu. Moi, ajouta-t-il, cela ne provoque pas de la peine, pas de la colère, mais de la honte. De la honte de savoir que, derrière la sixième extinction de la biodiversité, la responsabilité, c’est nous ». Et Nicolas Hulot d’ajouter : « Il y a des tragédies invisibles et silencieuses dont on s’accommode tous les jours. Et bien, je vous le dis, tout seul, je n’y arriverai pas. Je veux simplement avoir un sursaut d’indignation et de réaction ». Ce jour là, l’éphémère ministre de la Transition écologique et solidaire recueillit, dans ce qui restera son plus fort et émouvant discours, une « standing ovation » de la part de tous les députés présents dans l’hémicycle. Trois ans après, le constat a-t-il pour autant changé ? Pas vraiment.

Année après année, rapport après rapport, les signaux d’alarme se multiplient, de plus en plus inquiétants. Ils ont même culminé en 2019, avec la publication du rapport mondial de l’IPBES, surnommé par de nombreux journalistes le « GIEC de la biodiversité », en réalité la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques. Dans ce volumineux rapport de 1700 pages, fruit du travail de trois ans d’une centaine d’experts de tous les pays, l’IPBES n’y va par quatre chemins : « la nature décline globalement à un rythme sans précédent dans l’histoire humaine et le taux d’extinction des espèces s’accélère ». Et les chiffres cités donnent le tournis : un million d’espèces animales et végétales sont menacés d’extinction, soit une sur huit ! Parmi elles, entre 16 à 63 % des végétaux, 41,5 % des amphibiens, 33 % des coraux, 31 % des requins et des raies, 25 % des mammifères, 19 % des reptiles, 13,5 % des oiseaux, 7, 5 % des gastéropodes, etc, etc. Et chaque année, la liste rouge de l’UICN, l’Union internationale de conservation de la nature, est là pour des mettre des noms propres (en 2020, le dauphin de l’Orénoque, la noix de Macadamia ou encore le chêne du Japon) sur des statistiques froides.

Faut-il se résigner pour autant à cet effondrement annoncé ? Bien sûr que non. Ainsi, plusieurs signaux encourageants du « sursaut » auquel appelait Nicolas Hulot, sont apparus depuis peu. Car même si le mystère demeure sur l’origine exacte du Covid-19 (une zoonose ? un virus échappé d’un laboratoire ?), la pandémie mondiale du coronavirus a montré à tous à la fois la fragilité de nos sociétés et l’interdépendances des écosystèmes avec la santé humaine. Jamais on n’aura autant parlé du concept novateur de One Health qui vise à faire travailler ensemble médecins, vétérinaires et écologues. De même, alors que de nombreuses voix se plaignent, à juste titre, de la prééminence des questions climatiques par rapport aux enjeux de biodiversité, pour la première fois les experts du GIEC et de l’IPBES ont uni leurs savoirs pour produire ensemble un rapport. Publié il y a quelques jours, le 10 juin 2021, ce texte appelle très clairement à une lutte commune. Un des experts norvégiens, cité par le Guardian, résume ainsi cette nouvelle approche : « c’est clair que nous ne pourrons pas résoudre la perte de biodiversité et la crise climatique de façon séparée : ou bien nous résoudrons les deux, ou bien aucune ».

Cette nouvelle façon de voir est particulièrement de bon augure pour la fin de l’année 2021. Où plusieurs sommets internationaux majeurs sont prévus : d’abord la COP 15 sur la biodiversité à Kunming (Chine) début octobre, ensuite la COP 26 sur le climat à Glasgow (Ecosse) début novembre. Avec juste avant, début septembre, comme pour mieux réaliser cette jonction indispensable en ces deux combats majeurs, le Congrès mondial de la Nature qui, après avoir été reporté deux fois pour cause de pandémie, se tiendra bien à Marseille du 3 au 11 septembre. Modestement, mais résolument, les JNE ont décidé de participer à cette nouvelle mobilisation. D’abord en organisant tout au long de cette année des rendez-vous réguliers sur la nature sauvage, mais aussi en nouant un partenariat avec le WWF sur les animaux sauvages et enfin, en prévoyant pour nos adhérents un déplacement à Marseille pour le congrès de l’UICN. Car, comme le disaient des experts scientifiques de l’IPBES, en avril 2020, en plein cœur de la pandémie : « il nous est possible de reconstruire mieux et de sortir de cette crise plus forts et plus résilients qu’avant. Mais cela implique des choix politiques et des actions qui protègent la nature, afin que la nature nous protège ».

Ancien vice-président des JNE et auteur du Changement climatique pour les Nuls (First, 2014), Olivier Nouaillas tient une chronique hebdomadaire « Planète verte » sur la vie.fr.

La photo en haut de l’article est signée Jean-François Noblet.