Voici le compte-rendu du webinaire organisé par les JNE le 9 juin 2021 sur le thème : alerte sur la démocratie environnementale.
Texte introductif et résumé des interventions par Carine Mayo, secrétaire générale des JNE, et Sandrine Boucher, coprésidente des JNE
Ce webinaire a réuni :
– Gabriel Ullmann, ex-commissaire enquêteur
– Gilles Martin, juriste, professeur émérite de l’université de Côte-d’Azur
– Michèle Rivasi, députée européenne
– Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère
– Corinne Lepage, avocate, ancienne ministre de l’environnement
A quoi servent les enquêtes publiques ?
Les enquêtes publiques sont un des éléments fondamentaux du droit de l’environnement. Ces outils assez méconnus offrent pourtant une occasion rare au public de s’exprimer et d’être entendu lorsqu’il y a un projet d’aménagement.
Leur origine remonte au XVIIIe siècle, avec l’instauration d’enquêtes de commodité en 1729. Ainsi, le Parlement de Paris soumet tout nouveau projet d’installation pouvant causer des nuisances (abattoir, fonderie de suif…) à une enquête de commodité durant laquelle le commissaire enquêteur doit entendre les notables.
Puis leur domaine de compétence a été élargi, notamment grâce à la loi Bouchardeau de 1983 relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l’environnement. Aujourd’hui, cependant, la tendance est plutôt à restreindre leur champ d’action.
Au cours de l’enquête, les membres de la commission d’enquête entendent les différentes parties prenantes (entreprises, expert·e·s, associations). A l’issue de l’enquête, la commission d’enquête rend un avis détaillé.
Même si cet avis est uniquement consultatif, son impact est important, notamment s’il est négatif.
Les enquêtes publiques peuvent ainsi être vues par les responsables institutionnels locaux comme des freins aux projets économiques ou d’aménagement du territoire qu’ils portent ou dont ils sont partenaires.
Les membres de ces enquêtes publiques peuvent faire l’objet de pression, voire, comme c’est le cas pour Gabriel Ullmann, commissaire enquêteur sur un projet industriel en Isère, d’une radiation pure et simple.
Rappel chronologique
Gabriel Ullmann est commissaire enquêteur depuis 1994. Il a mené une cinquantaine d’enquêtes publiques, dont celle du Center Parc de Roybon, en Isère, pour lequel la commission d’enquête qu’il présidait a rendu un avis défavorable.
En mars 2018, il est nommé président de la commission d’enquête sur un projet d’aménagement d’une zone industrielle et portuaire le long du Rhône, le projet Inspira, porté par le conseil départemental de l’Isère.
Cette commission d’enquête a, à l’unanimité, rendu un avis négatif sur ce projet, en juillet 2018. En décembre 2018, à la demande du président du conseil départemental de l’Isère, le préfet de l’Isère a obtenu l’éviction de Gabriel Ullmann de ses fonctions de commissaire enquêteur.
Deux semaines après, le préfet accordait les autorisations sollicitées par le maître d’ouvrage… autorisations qui viennent d’être annulées par le tribunal administratif de Grenoble.
Quelques propos tenus lors de la conférence
Gilles Martin, juriste, a rappelé que les commissaires enquêteurs sont choisis avant tout pour leurs compétences. Elles et ils ne doivent pas avoir d’intérêt personnel dans le projet étudié, qui soit susceptible de remettre en cause leur impartialité. Il remarque que, curieusement, la question de leur neutralité n’est jamais posée quand elles ou ils rendent des avis favorables… Gilles Martin dit avoir vu par exemple un ex-militaire membre d’une commission d’enquête sur un projet sous-marin porté par l’armée. Il observe que le conflit d’intérêt n’est défini et sanctionné que dans le droit pénal (soit « une massue pour écraser une mouche ») et qu’il serait intéressant de pouvoir encadrer et interdire les conflits d’intérêts par d’autres voies.
Gabriel Ullmann, ex-commissaire enquêteur, est revenu sur le fond du projet soumis à l’enquête publique qu’il a présidé, d’aménagement d’une zone industrielle et portuaire dans le nord de l’Isère, sur le Rhône. Il a expliqué les raisons qui l’avaient conduit à émettre un avis négatif sur ce projet, en particulier vis-à -vis de ses impacts pour la qualité de l’eau (nappe phréatique alimentant en eau potable la zone), de l’air (augmentation du trafic routier), des atteintes à la faune et la flore (présence d’une pelouse sèche riche en biodiversité). Il a également évoqué les différentes étapes de son éviction et fait un point sur le dossier toujours en cours (procédure d’appel).
Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère, a regretté un « dévoiement » du projet initial d’Inspira, qui devait développer l’intermodalité et le transport fluvial. Ce projet est ainsi devenu à ses yeux une simple extension d’une zone industrielle. Il a souligné que l’avis défavorable avait été donné à l’unanimité des trois commissaires enquêteurs, reflétant ainsi un « travail d’équipe ». Le sénateur dénonce un gâchis, de temps et d’argent : alors qu’il aurait fallu considérer la mission de l’enquête publique comme une opportunité d’améliorer le projet, la manière dont celui-ci a été conduit a abouti finalement à son annulation par le tribunal administratif de Grenoble.
Corinne Lepage, avocate, ancienne ministre de l’Environnement, a dénoncé « un système qui rend fou », avec d’un côté, un discours qui proclame que l’environnement est la priorité, d’où un certain nombre de contraintes qui s’imposent aux citoyen·ne·s et, de l’autre la réalité, où l’environnement passe au second plan quand le coût économique de sa protection devient trop important. Elle a souligné le risque pour la démocratie, de développer un sentiment d’impuissance des citoyen·ne·s pouvant alimenter la violence.
Michèle Rivasi, députée européenne, a rappelé son soutien à Gabriel Ullmann dont le seul « crime de lèse-majesté » avait été de dire non. Elle a rappelé que seulement 1 % des enquêtes publiques se concluent par un avis défavorable et qu’en quelques années, au fil des réformes, le nombre d’enquêtes publiques est passé de 15 000 à 5 400 par an. Soit une division par trois ! Ceci, estime-t-elle, révèle « une dégradation de la participation citoyenne ». La perte « d’outils de régulation » et de concertation indispensables pour notre démocratie peut laisser la place à l’autoritarisme, craint-elle.
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