L’homme n’est, ni carnivore, ni frugivore, ni granivore, ni herbivore, il est omnivore. C’est l’une des raisons qui lui a permis de s’implanter sur toute la planète et de survivre, alors que d’autres cousins humanoïdes ont disparu.
par Jean-Luc Fessard *
Avec le changement climatique en cours, nous devons combiner atténuation et adaptation.
Pour l’atténuation, il est essentiel de réduire la part carnée de notre alimentation au profit de sa part végétale. Et pour l’adaptation, il est préférable de rester omnivore, cette approche opportuniste nous permettra de survivre malgré, comme c’est prévisible, des conditions d’approvisionnement dégradées.
Plat symbolique et plat bas carbone : bœuf carotte ou carotte bœuf ?
Thomas Pesquet aurait emporté dans la station internationale du bœuf bourguignon en hommage à sa région d’origine. Le poids carbone de ce plat est anecdotique, au regard de l’énergie dépensée pour cette mission, néanmoins ce choix mérite réflexion. Le plat est déshydraté pour peser le moins possible et cuisiné par un très grand chef, pour être délicieux une fois reconstitué, mais comment est-il composé ? Avec quels ingrédients et dans quelles proportions ? En effet son poids carbone dépend de ces deux paramètres :
– la qualité des ingrédients : comme le dit Bruno Parmentier, il y a « carotte et carotte, bœuf et bœuf ».
– les proportions : 2/3 de bœuf et 1/3 de carottes ou l’inverse ?
Quel est le poids carbone de chaque option ?
– le plat « classique » : avec 200 g de bœuf ordinaire et 100 g de carottes hors saison, non locales.
Son poids carbone par couvert est de 5820 g d’équivalent CO2, dont 85 g pour les carottes,
– le plat « poids carbone light » (des ingrédients de qualité, moins de bœuf et plus de végétal) : avec 200 g de carottes bio de saison, locales et 100 g de bœuf, par exemple Bleu Blanc Cœur. Son poids carbone par couvert est de 2860 g d’équivalent CO2, dont 28 g pour les carottes.
Commentaire : le poids carbone mais pas seulement !
Avec de tels écarts une analyse hâtive et superficielle conclura que, le poids carbone du bœuf étant déterminant, il convient d’opter pour le tout végétal.
Effectivement, même dans une alimentation carnée, une réduction de la consommation de bœuf permet de réduire de façon significative le poids carbone de son alimentation. Par exemple en alternant avec du poulet bien élevé, le même plat ne pèsera plus que 535 g d’équivalent CO2, soit 5 fois moins.
Mais ces seuls chiffres ne donnent qu’une partie des éléments impliqués dans notre alimentation.
Si les bovins sont élevés en pâturages, les herbages vont stocker du carbone et contribuer à la préservation des paysages. Cette dimension, la préservation des paysages, n’entre pas dans le calcul du poids carbone, alors qu’elle est essentielle, par comparaison à une production en ferme usine. D’autre part, la volaille étant nourrie avec des céréales, son alimentation entre en compétition avec l’alimentation humaine, ce qui n’est pas le cas de la viande bovine, nourrie avec de l’herbe. Ainsi, une étude prospective de l’IDDRI concernant l’alimentation en Europe en 2050 expliquait qu’il serait plus judicieux de maintenir la production de viande rouge que celle de viande blanche alors que le seul calcul du poids carbone conduit à la conclusion inverse.
Dans l’état actuel de ce débat, nous pouvons seulement dire que diminuer notre consommation de viande (rouge et blanche) et augmenter notre consommation de légumineuses fournit la quantité nécessaire de protéines pour que notre alimentation soit équilibrée tout en étant moins carbonée.
Pour réduire les impacts de notre alimentation : vive la diversité
Nous pouvons nous inspirer du constat que la nature s’épanouit lorsque la biodiversité trouve un équilibre optimum, pour choisir notre alimentation.
Dans la nature, des prédateurs carnivores cohabitent avec des herbivores. A chaque fois qu’un prédateur cherche à dominer son écosystème ou disparaît de cet écosystème, cela crée un déséquilibre néfaste pour tous.
Aussi, loin de vouloir imposer tel ou tel régime (carnivore, flexitarien, végétarien, végan), nous pouvons parier que c’est dans une cohabitation sereine entre tous ces régimes alimentaires que se situe la solution pour une alimentation du futur.
Du végétal pour les animaux et de l’animal pour les végétaux
Tout interagit, une alimentation très carnée nécessite beaucoup de végétaux pour l’alimentation du bétail, alors qu’une alimentation purement végétale nécessite des auxiliaires de cultures (insectes pollinisateurs, verres de terre, microorganismes…) et, pour éviter d’employer des engrais chimiques, du fumier animal.
C’est de l’amont agricole que proviennent les principaux impacts de notre alimentation sur le climat, la santé, la biodiversité. L’agriculture et l’élevage intensifs émettent en grande quantité :
– du CO2, par une mécanisation « du champ à l’assiette »
– du protoxyde d’azote avec les intrants chimiques qui détériorent aussi la qualité des sols, de l’eau et détruisent la biodiversité,
– des gaz fluorigènes avec des filières longues de conservation.
Des légumes et des animaux « bien élevés »
Entre un légume ou un animal, « bien élevés » en polyculture élevage et les mêmes issus de monocultures et d’élevages intensifs, le poids écologique dans l’assiette est sans commune mesure.
Plutôt que de chercher à s’approprier le vivant en brevetant telle molécule ou tel procédé permettant de développer des monocultures intensives néfastes à la fertilité des sols et à la biodiversité, il paraît plus judicieux d’accroître les recherches pour s’inspirer du vivant et de la biodiversité, afin de trouver les meilleures solutions pour produire une alimentation de qualité.
Choisissez le régime qui vous fait plaisir
Choisissez le régime alimentaire qui vous rend heureux, mais achetez des produits « bien élevés », vous aurez un bien meilleur impact écologique. Ces produits seront légitimement un peu plus chers, aussi réduisez les protéines animales au profit de protéines végétales, achetez les fruits et légumes de saison et votre budget alimentation n’augmentera pas, tout en étant plus bénéfique pour votre santé et notre planète.
* Président de Bon pour le climat et adhérent des JNE
Photos du haut : les carottes à la vanille du chef Josselin Marie de La Table de Colette,
restaurant gastronomique et écoresponsable de Paris © Josselin Marie