En février dernier, la partie nord d’un talus restée à l’état sauvage dans le nouveau quartier Chapelle International du XVIIIe arrondissement de Paris a été rasée. Une opération faisant fi de son hôte le plus prestigieux : l’emblématique hérisson, alors en plein sommeil hivernal. Le récit d’une adhérente de longue date des JNE.
par Geneviève Renson
Le développement du nouveau quartier Chapelle International, au cœur des emprises ferroviaires de Paris nord, a requis – comme il se doit – une étude d’impact (2012).
Dans le cadre d’aménagements envisagés et de mesures compensatoires préconisées, neuf années plus tard (donc en février 2021), la partie nord d’un talus restée à l’état sauvage a été rasée par des engins meurtriers. Une hérésie réalisée sans prendre en compte l’existant, faisant fi de son hôte le plus prestigieux : l’emblématique hérisson, alors en plein sommeil hivernal. Des animaux ont-ils pu être tués ? Si oui, combien ?
Peuplé de plantes arbustives et buissonnantes, dont un épais roncier – un écosystème à part entière, ce talus formait un corridor d’environ 2000 m2 de superficie, sis entre le faisceau ferroviaire nord et une rangée d’immeubles. Une multitude d’espèces animales y trouvait une terre d’asile, le vivre et le couvert. A l’abri des prédateurs, les hérissons, comme d’autres mammifères, pouvaient mettre bas en toute quiétude dans l’enchevêtrement de tiges, de lianes, de racines aériennes, dans des cavités, sous des paquets de feuilles ou des tas de bois morts. Alentours, des milieux ouverts permettaient l’accès garanti à l’eau et à la nourriture.
Aucune identification individuelle des individus de cette population, que j’observe depuis 2009, n’a été effectuée, mais au fil des nombreuses rencontres elle m’a paru importante. Il s’agit sans doute de l’une des dernières populations parisiennes intra-muros.
Sur le site Chapelle International, l’habitat du hérisson se limite à ce talus en friche et aux espaces verts en son sommet. Les seules possibilités de dispersion et d’échanges génétiques avec d’autres populations sont les voies ferrées annexes mal désherbées, incluant la PCF (Petite Ceinture Ferroviaire). Je n’ai pas suffisamment de preuves pour affirmer que, depuis l’existence de ce chantier, des accès demeurent encore possibles à la faune terrestre. La PCF, à l’exception des tunnels, constitue un havre de paix unique en son genre pour les promeneurs, comme pour la vie sauvage. Il est regrettable, cependant, qu’elle soit aussi souvent souillée et squattée.
L’histoire commence en fait il y a plus d’une décennie. En voici un bref historique.
Au printemps 2009, un jardin partagé prend vie sur un parking désaffecté jouxtant un talus ferroviaire dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Fin août, un épandage de produits phytosanitaires sur la végétation dudit talus produit une hécatombe invisible d’insectes et autres espèces animales. Même les plantes du jardin en ont pâti. Allain Bougrain-Dubourg, président de la LPO (Ligue pour la protection des oiseaux) (NDLR : et adhérent de longue date des JNE), s’est associé à l’alerte lancée suite à cet événement. Et l’ASPAS (Association de protection des animaux sauvages) s’est emparée du dossier. En 2010, elle a adressé une mise en demeure à RFF (Réseau Ferré Ferroviaire), lequel a répondu six mois plus tard, qu’il « s’engageait à ne plus avoir recours à cette pratique sur le talus ».
Pour la première fois, peut-être, depuis que les chemins de fer existent, le désherbage chimique et le débroussaillage mécanique sur ce talus ont été suspendus pendant 12 années consécutives. Ainsi, la nature, en libre évolution, a pu se ré-ensauvager.
Des preuves d’existence de l’espèce étant requises par RFF, fin 2010, un rapport intitulé Hérisson du talus ferroviaire et de ses environs immédiats Impasse de la Chapelle, 75018 Paris, puis par la suite un « plaidoyer de la friche et des ronciers » lui a été transmis ainsi qu’à des élus.
Fin 2011, Bernadette Lizet, ethnologue, directrice de recherches au CNRS/Muséum national d’histoire naturelle de Paris, spécialisée dans la biodiversité, les animaux, la nature dans la ville, etc., a accepté de se rendre sur place. Cela s’est traduit par une visite du talus, côté SNCF.
Afin que la petite faune terrestre puisse circuler d’un espace vert à un autre, la création de passages dans les deux clôtures parallèles, au sommet du talus, s’imposait. Si nous avons été entendus pour l’une, il aura fallu batailler avec âpreté deux années durant, pour l’autre. La situation s’est enfin débloquée à la parution d’articles de presse.
En effet, la présence du hérisson à la porte de La Chapelle a fait couler beaucoup d’encre. On peut citer la publication d’articles dans le Figaro et le Parisien, dans le Courrier de la Nature n° 246 en 2009 et n° 261 en 2011 ,signés Christiane Ruffier-Reynie (JNE), Maurice Soutif (JNE), dans la revue en ligne le Crapaud et des interviews dont celle de l’adjoint au maire d’arrondissement, en charge des espaces verts (France 3 Idf.JT 19 h-20 h).
S’y ajoute la mobilisation des habitants du quartier et des associations qui prennent connaissance des aménagements envisagés sur le talus, dans le diagnostic faune-flore de 2012, rapport cosigné par le bureau d’études OGE (Office de génie écologique) et le donneur d’ordre, la SNEF (Société nationale des espaces ferroviaires).
En 2013, dans une lettre adressée en recommandé avec accusé de réception, au député- maire d’arrondissement, l’ASPAS a écrit : « …. nous souhaitons attirer votre attention sur l’insuffisance de l’étude d’impact réalisée, d’ailleurs soulignée par l’Autorité gouvernementale de l’État intervenue dans ce dossier…. Un endroit accueillant à la faune sauvage ? … il est déjà un espace propice à l’accueil de certaines espèces animales sauvages. Son aménagement apparaît totalement superflu et engendrerait des perturbations inutiles pour ces espèces déjà présentes, ainsi qu’un surplus financier qu’il est possible d’éviter. Il apparaît que les travaux d’aménagement peuvent tout à fait être réalisés sans aliéner ce talus… Nous souhaitons également attirer votre attention sur l’inutilité de l’aménagement total ou partiel du talus. »
On note les mêmes recommandations à la même époque, de la part du CORIF (Centre ornithologique Île de France) au Commissaire de l’enquête publique, en mairie du XVIIIe. Dans le document administratif sont également consignées les observations naturalistes de riverains avec à l’appui des photographies.
Dans ces conditions, je déplore :
- que plusieurs expertises en 2012 n’aient été conduites en parallèle de l’étude d’impact par des bureaux indépendants afin de confronter résultats & expériences. Pas envisageable pour des raisons économiques ? Alors un état des lieux complémentaire, axé sur ce petit mammifère, s’imposait d’office peu avant la date de défrichage. En une dizaine d’années, on pourrait supposer une réelle évolution de la situation initiale (que de nouvelles espèces aient pu apparaître, d’autres disparaître ou tendent à se raréfier). A l’époque, l’expert faune n’avait observé aucun hérisson au cours de l’unique sortie nocturne consacrée à sa recherche !
- qu’une capture en règle des hérissons, par un organisme compétent, n’ait été programmée avant ladite date. Ni discutée, ni proposée initialement ?
- que par mesure de précaution, la végétation n’ait été coupée à 15/20cm au-dessus du sol. Cela aurait probablement permis de sauver des vies.
Quand certains rétorquent que le hérisson a dû fuir en entendant le vrombissement des moteurs de machines, je les invite à consulter le site du Sanctuaire des hérissons : « pour sortir de l’hibernation il lui faut 4 heures environ ». Nous ne saurons jamais combien d’individus surpris en « état d’hypothermie régulée » ont été déchiquetés.
« Là où dans les campagnes il y avait 100 hérissons, il n’y en a plus que 3 à présent ! », s’inquiète l’ONG Sauvons les hérissons. Selon ses calculs, les petits mammifères auront disparu d’ici à 2025. « Il n’existe pas aujourd’hui de données précises sur la population ou le déclin des hérissons. Pourtant, les associations de sauvegarde de l’espèce estiment que près de 2 millions d’individus disparaissent chaque année, écrasés par les voitures, empoisonnés par les pesticides et les produits anti-limaces, noyés dans des piscines ou expulsés de leurs habitats naturels ».
« En tant qu’espèces bénéficiant d’une protection juridique intégrale, leurs sites de reproduction et aires de repos ne peuvent être ni détruits, ni dégradés », précise la LPO (c’est la loi).
Par ailleurs, je m’insurge contre la réponse de la SNEF (Société nationale des espaces ferroviaires) à la LPO, le 12 mars 2021, dont voici quelques extraits :
« …. Quant à l’aménagement, nous avons parfaitement conscience que des hérissons sont dans le secteur, c’est pour cette raison que la mesure d’ouverture du talus n’a pas été proposée pour sa totalité, bien au contraire.
L’objectif de la mesure est :
. De favoriser le Lézard des murailles, qui est également une espèce protégée, en créant des habitats qui lui sont favorables (talus herbeux avec pierriers) ;
. De diversifier les habitats : avoir des habitats ouverts associés à des buissons et des bosquets est très favorable à la petite faune, comme les petits mammifères, les reptiles et les arthropodes. Ces derniers représentent la majorité des proies du Hérisson d’Europe.
Il (l’écologue) nous a précisé également, au sujet du Hérisson, que ce n’est pas une espèce forestière : il a besoin pour vivre et se reproduire d’espaces herbeux ouverts, de buissons, de bosquets et de cachettes en tout genre. Donc d’une diversité de couvert importante. En matière d’habitats dans le secteur, les hérissons n’ont que des bosquets denses, des voies de chemin de fer, des espaces imperméabilisés en pied de bâtiments et des surfaces en travaux. Par conséquent, ouvrir une petite partie de ce talus ne peut avoir que des effets bénéfiques pour cette espèce. …. »
A la lecture de ces explications, il apparaît clairement que cette étude présente des insuffisances, voire des anomalies ! Si l’expert avait prospecté dans toute la zone d’étude, qui va au-delà du talus, il aurait découvert des habitats diversifiés, propices aux lézards des murailles (vieux murs et amoncellements de cailloux) et aux hérissons (jardins, prairies, pelouses, terrain vacant..). Des espaces ouverts aux fourrés denses, il n’y a que l’embarras du choix. Les cachettes, les proies potentielles (gastéropodes, arthropodes,..) les baies sauvages, etc., y sont légion.
Au fil de nos quêtes d’informations sur le maintien ou pas de ce projet, nos courriers étant restés sans suite, nous avons pensé qu’il n’était plus d’actualité près d’une décennie plus tard. Or malgré toutes les démarches entreprises, publications… la végétation conquérante du talus va céder la place dans sa partie nord à des prairies de fauche et des « friches sous contrôles ». Que de saccages !
Le projet d’aménagement de ce « délaissé urbain » ne visait-il pas en réalité à le rendre « plus propre » dans le sillage de Chapelle International, grandiose site d’environ 7 ha de superficie ?
Au carrefour de nombreux projets urbains à la porte de la Chapelle, quelle place pour la vie sauvage ?
Certes, la nature reprendra ses droits, si on lui en laisse le temps. Mais pour cette population de hérissons, désormais fragilisée, quelles chances de survie ?
Paris, le 19 avril 2021
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