Voici le compte-rendu de la première table-ronde du colloque des JNE sur le thème « quels droits pour les plantes ? », qui s’est tenu le 11 mars 2021. Cette table-ronde se penchait sur la question de l’intelligence des plantes.
Compte-rendu rédigé par Sandrine Boucher
Introduction par Adeline Gadenne (journaliste, membre des JNE).
Ce webinaire est le pendant de celui organisé en 2018 sur le monde animal. Nous constatons un fort engouement du grand public pour les plantes, les arbres, les forêts au travers d’usages variés comme le jardinage, la permaculture, la cueillette…
Ce qui n’empêche pas dans le même temps de voir des forêts surexploitées ou des arbres pluricentenaires abattus, des espèces végétales menacées par les activités humaines.
Donc nous nous posons la question : faut-il donner des droits aux plantes ? Aux arbres ? Parce que les plantes sont indispensables à notre survie, mais aussi pour des raisons éthiques.
Marc Giraud (journaliste, membre des JNE) : comment les plantes se parlent et comment en parler ?
Les plantes semblent aux antipodes de ce que nous sommes. Un végétal fait exception dans notre mépris du végétal : l’arbre, qui a une dimension sacrée et culturelle.
Les cinéastes ont une astuce pour que nous puissions voir les plantes vivantes : le timelapse, qui permet de voir pousser un arbre et éclore une fleur.
Pourtant, nous avons des points communs avec les plantes. Les plantes peuvent distinguer les couleurs, sont sensibles au toucher, aux sons, aux odeurs… Elles communiquent et gardent des informations en mémoire. Si nous partageons 99 % de notre ADN avec un chimpanzé, nous en partageons 50 % avec une banane…
Les êtres vivants se scindent en deux groupes : ceux qui se nourrissent d’inerte, les plantes, et ceux qui se nourrissent des autres, les animaux. Les plantes sont fixes. Sans bouger, elles doivent se nourrir, faire face aux agressions et se reproduire. Plus de 700 capteurs sensoriels ont été recensés chez les plantes. Elles sont très bien outillées, sinon elles ne survivraient pas. Et elles doivent avoir des échanges avec les autres, champignons mycorhiziens et insectes butineurs.
Les plantes sont indispensables et irremplaçables pour la vie sur Terre grâce au phénomène magique de la photosynthèse : les plantes fabriquent du vivant avec du non vivant. S’il n’y avait pas de plantes, nous n’existerions pas.
Lorsque nous parlons de plantes, nous pensons à leur utilisation, pour l’alimentation ou la santé. Nous pensons « exploitation », en retombant dans nos réflexes anthropocentriques.
Aimons les plantes pour ce qu’elles sont, essayons de nous mettre « dans leur peau », comme le dit Catherine Lenne.
Marc Giraud a publié de nombreux livres dont Fleurs et arbres en bord de chemin, éditions Delachaux et Niestlé, 2017
Marc-André Selosse, professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle, spécialiste des symbioses entre plantes et champignons : quand l’intelligence cache la plante
La métaphore de l’intelligence des plantes a été une clé des succès de librairie, mais pas pour la compréhension du monde. Je vois un risque, une omission, un problème.
Le risque
Voir la plante comme un être humain est inexact, c’est du zoocentrisme. Je remplace le terme « intelligence » par « adaptation ». La perception, la réaction à l’environnement, sont des adaptations et renvoient à la notion d’évolution.
L’omission
La plante a des capacités extraordinaires, difficiles à reproduire en laboratoire. Elles savent fabriquer de la nourriture juste avec des gaz et de la lumière. Elles utilisent la lumière pour faire monter la sève, par l’évapotranspiration. Elles sont capables de stocker des toxines. C’est pour cela que 9 plantes sur 10 sont toxiques. Parmi ces toxines, se trouvent les tanins, molécules exclusivement végétales, qui forment 30 % de la biomasse, dont le bois, les défenses des plantes, la couleur et le goût des fruits… Les plantes savent aussi transmettre des influx électriques, sans avoir besoin de neurones. Tout ceci est omis dans « l’intelligence » de la plante.
Un problème
La vulgarisation réussie doit aider à changer de point de vue et nous pousser à agir autrement. Parler d’intelligence de la plante n’aide pas à faire une révolution sur soi-même et à voir le monde différemment. C’est ce qui a détruit notre lien à l’environnement et nous a poussé dans la crise écologique actuelle. Il n’est pas possible de comprendre le monde, et au sein de nos sociétés, sans comprendre l’autre pour lui-même, et non pas comme un autre moi-même. Nous avons besoin de manière urgente d’aller vers l’altérité.
Marc-André Selosse a notamment publié Jamais seul : ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations, éd. Actes Sud, .
Quentin Hiernaux, philosophe : les comportements végétaux dans l’histoire des sciences végétales
L’histoire philosophique de la botanique a longtemps empêché de répondre aux questions sur le comportement des végétaux. Aristote a écrit le traité De l’âme, où il place les plantes tout en bas de sa hiérarchie du vivant. Elles sont immobiles, insensibles, passives, inintelligentes. À l’époque moderne, le modèle qui prévaut est celui de l’animal – où le mouvement est associé à la locomotion et à la sensibilité.
Mais dès le XVe siècle, des naturalistes vont observer le mouvement de certaines feuilles, expliqué alors par une hypothèse mécaniste : ce mouvement n’est pas dû à la sensibilité de la plante, mais aux lois de la physique. C’est la thèse de l’animal ou de la plante-machine, qui a empêché de comprendre la sexualité du monde végétal, pensée sur un modèle animal, lié à l’instinct et au mouvement.
Au XVIIIe siècle, on découvre la sensitive (mimosa pudica), dont les feuilles se referment quand on la touche, soit une forme de sensibilité. D’où l’idée qu’il ne s’agirait que d’une question d’échelle (de temps, de degré d’intensité) entre le monde animal et le monde végétal.
Au XIXe siècle, De Candolle montre que les plantes s’adaptent à un changement de rythme circadien (alternance jour-nuit) et continuent ensuite, comme si elles avaient un « souvenir », une sorte de mémoire. Or la mémoire était considérée comme une faculté psychique, propre à l’humain.
Pour Lamarck, pas de nerfs = pas de sensibilité. Mais Darwin montre que la sensibilité des plantes fonctionne chimiquement avec des phytohormones (la plus importante est l’auxine) qui influence la courbure des tiges, donc les mouvements des plantes.
A la fin du XIXe siècle, on reconnaît que des finalités de survie ou de reproduction guident le comportement des plantes, et non des mécanismes de cause à effet ou des réflexes.
Aujourd’hui, nous pouvons espérer que l’étude des plantes permette d’avoir une vision non réductionniste, que nous pourrons mieux étudier les phénomènes d’apprentissage et de mémoire des plantes.
Quentin Hiernaux a dirigé l’ouvrage Textes-clés de Philosophie du végétal. Botanique, épistémologie, ontologie, Paris, Vrin, 2021.