L’agriculture biodynamique est-elle une simple mode, ou son développement actuel est-il le signe d’un changement lent et profond de notre façon de considérer l’agriculture et l’alimentation ? Une chose est sûre : la biodynamie suscite son lot quotidien d’articles enjôleurs, de chroniques assassines et de posts complotistes sur les réseaux sociaux. Tantôt présentée comme le mode de production plus bio que bio, où les agriculteurs et les viticulteurs renouent avec la nature et le cosmos dans une communion retrouvée avec le vivant, tantôt pointée du doigt pour ses origines ésotériques et son lien avec le courant controversé de l’anthroposophie de Rudolf Steiner.
par Jean-Michel Florin
Dans ce contexte, force est de constater que le débat reste souvent polarisé. Les tenants fondent leurs arguments sur des témoignages de paysans, des observations de terrain ou encore des dégustations de produits, montrant la manière dont la vision holistique et qualitative de la nature, couplée à des pratiques agroécologiques et biodynamiques spécifiques (comme la dynamisation de bouse de corne ou l’utilisation du calendrier lunaire), permet d’améliorer la vie du sol, la santé des plantes, la diversité du paysage et la qualité des produits. Quant aux détracteurs, ils réfutent les arguments des premiers en affirmant qu’aucune étude scientifique sérieuse ne vient confirmer les observations des praticiens, et que tout cela n’est que pensée magique, tromperie du consommateur et fumisterie occulte. Certains fantasment même l’existence d’une secte tentaculaire agissant en coulisses et infiltrant la société entière, pervertissant les fondements rationalistes et matérialistes de notre société.
Valoriser les ressources disponibles
Ce qui étonne, c’est que souvent ceux qui accusent la biodynamie d’être pseudo-scientifique sont les premiers à ignorer le corpus de connaissances académiques qui existe sur le sujet. Or, depuis bientôt un siècle que la biodynamie s’est développée dans le monde, les recherches effectuées dans un cadre universitaire se sont multipliées, particulièrement au cours des dix dernières années, notamment avec la montée en puissance de la biodynamie dans le monde viticole. Et dans de nombreuses disciplines : biologie et agronomie bien sûr, mais aussi en sociologie, anthropologie, histoire, économie.
Depuis un peu plus d’un an, l’association Biodynamie Recherche s’est donnée pour mission de faire connaître ces travaux au plus grand nombre : agriculteurs, enseignants, techniciens, étudiants et journalistes. Par un travail régulier de veille scientifique, elle publie régulièrement sur son blog des traductions d’articles, des résumés, des articles de synthèse et des brèves en lien avec l’actualité de la recherche scientifique sur la biodynamie.
Tour d’horizon des sujets traités
Par exemple, John Paull nous plonge dans l’histoire de ce mouvement, et nous fait notamment découvrir comment Rachel Carson s’est inspirée du travail titanesque de deux femmes biodynamistes de New York pour écrire son livre à succès Printemps Silencieux. Aurélie Choné, de l’Université de Strasbourg, nous invite à explorer les fondements de l’écologie spirituelle chez Rudolf Steiner et l’influence des théories et pratiques de l’anthroposophie sur les modèles de pensée écologiques et alternatifs. Jean Foyer, sociologue au CNRS, présente le fruit de ses terrains de recherche dans deux articles passionnants : le grand mix des savoirs dans la viticulture biodynamique : expérience, sensibilité et trajectoire initiatique et quand les actes agricoles sont au care et au compagnonnage : l’exemple de la biodynamie. Christopher Brock nous donne une vue d’ensemble des 86 publications peer-review sorties entre 2006 et 2017 dans une revue systématique de la littérature. On peut également s’instruire sur les effets de la fameuse bouse de corne avec Martin Quantin, ou sur les derniers travaux en recherche participative réalisés par Jean Masson de l’INRAE de Colmar, ainsi que ceux tout récents présentés par Lionel Ranjard de l’INRAE de Dijon, montrant que les bactéries et les champignons interagissent 30 fois plus dans les sols viticoles en biodynamie en comparaison de la bio.
La biodynamie prend racine dans un paradigme différent du naturalisme occidental. En ce sens, elle bouscule les fondements de notre société et de notre science, et reste souvent incomprise si un dépassement de notre vision habituelle du monde n’est pas opéré. Par exemple, un collectif de sociologues et anthropologues travaille sur le thème « agriculture et spiritualités » et propose d’utiliser les catégories ontologiques de Philippe Descola pour mieux comprendre la biodynamie. L’anthroposophie est-elle une forme occidentale hybride entre animisme et analogisme ? Associés à ces déplacements de la pensée, certains chercheurs comme Jürgen Fritz développent de leur côté des méthodes qualitatives d’analyses qualitatives leur permettant d’évaluer de manière innovante la qualité des produits.
Ce petit tour d’horizon pour vous présenter notre travail et vous inviter à valoriser ces ressources dans vos prochains papiers sur le sujet.
Mouvement de l’Agriculture Bio-Dynamique
5 place de la gare F-68000 Colmar
tél. : 03.89.23.35.49
www.bio-dynamie.org