Franck Cuvellier et Pascal Vasselin ont enquêté sur la stratégie des industriels pour contrecarrer des résultats scientifiques qui les dérangent.
par Danièle Boone
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En créant du doute, les industriels contribuent à maintenir une controverse qui rend le suspect difficile à identifier. Pour cela, les lobbies n’hésitent pas à investir dans de coûteux laboratoires de recherches. Ainsi lorsque les néonicotinoïdes ont été désignés comme responsables de l’effondrement des populations d’abeilles, les chercheurs à leur solde ont détourné l’attention du public et des politiques en pointant d’autres causes possibles, notamment les parasites comme le varroa sur lesquels, ils ont produit de nombreuses études scientifiques. Et cela a payé même si le varroa était là depuis 40 ans et que l’effondrement nettement plus récent correspondait avec l’utilisation massive des néonicotinoïdes. Les politiques prennent généralement leur décision en s’appuyant sur des faits, mais ces derniers étant devenus incertains à cause de la manipulation des industriels, l’interdiction de cette famille d’insecticides apparue au début des années 1990 n’a été actée qu’en septembre 2018. C’est pourquoi sa remise en question avec la dérogation accordée aux industriels du sucre, a déclenché la colère des écologistes.
La technique des lobbies industriels, toujours la même, est parfaitement documentée depuis que les archives du tabac sont publiques : les firmes agrochimiques truquent le débat public en instrumentalisant la science, la réglementation et l’expertise. Ils vont jusqu’à faire passer l’inversion du qualificatif : les chercheurs lanceurs d’alerte produisent selon eux la « mauvaise science », « junk science » en anglais ! Aujourd’hui, les réseaux sociaux, notamment Twitter, sont une extraordinaire aubaine pour faire passer leurs messages de désinformation qui flattent ceux qui préfèrent le déni pour ne ne rien changer à leur manière de vivre. Naomi Oreskes, historienne des sciences, spécialisée en « agnotologie » (étude de l’ignorance) et co-autrice du formidable Les marchands de doute paru en 2012, est l’une des intervenantes aux côtés d’autres scientifiques. Le documentaire a également été co-écrit par Stéphane Foucart, journaliste au Monde, auteur de La fabrique du mensonge sur le même sujet.
La fabrique de l’ignorance, documentaire de Franck Cuvellier et Pascal Vasselin (97′) à voir sur le site d’Arte jusqu’au 22 juin.