Pour éclairer les réflexions autour du thème de recherche « Que reste-t-il de la nature sauvage en France et dans le monde ? », choisi par l’association pour l’année 2021, les JNE ont organisé le 24 février dernier une visio-conférence avec Jean-Claude Génot, rédacteur en chef du bulletin Naturalité. La conférence était animée par Carine Mayo.
par Christine Virbel
Jean-Claude Génot nous a tout d’abord indiqué que le mot « sauvage » a pour racine le mot latin silvaticus, qui se réfère à la forêt. Ainsi, la forêt est le lieu du sauvage, des animaux non domestiqués, voire des humains qui y vivent, comme les Indiens d’Amérique, considérés autrefois comme sans foi ni loi et à ce titre traités de « sauvages ».
Mais pourquoi ajouter l’adjectif « sauvage » au mot nature alors que la nature est ce qui est spontané et en libre évolution ? Tout simplement parce qu’il existe peut-être autant de définitions du mot nature que de personnes qui l’exploitent. Ainsi, un forestier dira que la nature est une forêt gérée, sinon elle risque de dépérir ; un arboriculteur présentera son verger comme un espace de nature, un agriculteur parlera de son champ de maïs… C’est pourquoi l’on conserve l’adjectif « sauvage » pour préciser de quoi l’on parle.
Toutefois, selon le philosophe Baptiste Lanaspèze, la nature sauvage est aussi le brin d’herbe qui pousse à travers le trottoir d’une ville ou les arbustes sur un terrain vague. Le sauvage n’a pas besoin d’être vierge ou intact pour exister. Ce peut être aussi le renard ou la fouine qui s’installent en milieu urbain ou encore le loup qui revient de lui-même en France depuis l’Italie en s’affranchissant des frontières humaines. La nature sauvage existe et existera toujours.
Le terme naturalité existe aussi pour parler du caractère naturel d’une chose et sert aux écologues à caractériser un degré de naturalité d’un espace (forêt, tourbière, zone humide). Pour caractériser la naturalité d’une forêt, on étudie des indicateurs comme les animaux et les végétaux présents et leur indigénat, la structure, la quantité de bois mort et de gros bois vivants, la maturité, la fonctionnalité (exemple la fonctionnalité d’une forêt alluviale est d’être inondée). Mais il n’est plus possible de définir un état de référence initial en raison de l’augmentation des températures, de la pollution de l’air, des eaux et des sols, des changements d’usage des sols ou de l’arrivée d’espèces exotiques. Il est également difficile d’établir une époque initiale de référence : révolution industrielle ou préhistoire ?
Le mot biodiversité ne restitue pas, pour Jean-Claude Génot, la complexité de la nature, notamment ses interactions. Car même si la biodiversité les inclut dans sa définition, sur le terrain, les gestionnaires utilisent des indicateurs liés aux espèces elles-mêmes et ne prennent pas forcément en compte les interactions des espèces avec leur milieu.
La libre évolution peut s’utiliser aussi pour parler de la nature sauvage, lorsqu’on laisse la nature s’exprimer sur un terrain quelconque.
Cela rejoint la notion de nature férale (féral se dit d’un animal domestique redevenu sauvage, en anglais feral est synonyme de wild) qui peut être une friche retournée à la nature. L’archétype de nature férale est la terre agricole abandonnée qui évolue vers le stade arbustif puis forestier. De très nombreux espaces naturels sauvages protégés dans le contexte européen, voire dans le monde entier, sont de la nature férale qui possède un héritage anthropique lié à de nombreux types d’activités humaines (agriculture, élevage, coupe de bois, habitations, industrie). Un espace de nature férale est un lieu de dédomestication où, par exemple, des plantes sauvages vont se croiser avec des cultivars et des plantes exotiques (c’est le cas de la vigne) pour donner une nouvelle espèce. Une plante peut également évoluer dans un nouveau contexte écologique et se modifier comme la renouée du Japon dont le patrimoine génétique n’a plus rien à voir avec l’espèce d’origine. Le sol conserve la « mémoire » des activités humaines depuis très longtemps, ainsi autour d’anciens châteaux médiévaux poussent certaines espèces végétales cultivées durant le Moyen Age qui n’ont rien à voir avec la flore de la forêt environnante.
D’une manière générale, on ne sait pas exactement vers quoi la nature férale va évoluer et c’est sans doute cette imprévisibilité qui gêne le plus les gestionnaires.
A la question « combien reste t-il de nature sauvage ? », Jean-Claude Génot nous a indiqué qu’en France, si on parle de sites strictement protégés, il y a 22 000 hectares de forêts domaniales en réserve intégrale soit 1,4 % des forêts domaniales et 0,13 % des forêts françaises (mais la chasse y est autorisée sauf pour le petit gibier et lorsque la présence de grands prédateurs comme le loup est attestée)… Mais en métropole, on dénombre environ 5 millions d’hectares de terres qui sont sans usages, mais dans certaines régions ce sont souvent des micro-sites alors qu’il faut plusieurs centaines, voire des milliers d’hectares pour réellement sauvegarder des zones naturelles.
Certains pays ont des lois intégrant la notion de « wilderness », comme la Finlande, la Norvège, l’Allemagne (Wildnis qui signifie sauvage), l’Autriche. L’Italie préserve aussi des zones en libre évolution et assume parfaitement la présence du loup et de l’ours. Certaines régions (le Frioul) ont protégé des sites en tant que zones de wilderness. Il existe d’ailleurs une société italienne de la wilderness. Par ailleurs, les forestiers n’ont plus le droit de toucher à la forêt dans les espaces protégés. Il existe aussi une société européenne de la wilderness qui fait de la certification de zones protégées considérées comme aires de wilderness. Dans sa Stratégie pour la diversité biologique, l’Allemagne souhaite protéger 2 % de nature sauvage sur son territoire et 5 % de forêts en libre évolution. Mais comme cela était difficile à appliquer par les propriétaires privés et les communes, elle a imposé 10 % dans les forêts des Länder.
Problèmes et solutions
La nature sauvage/férale est menacée depuis quelques années par les énergies renouvelables (parcs éoliens et solaires) qui cherchent des endroits sauvages pour s’installer, en mer aussi. Par ailleurs, depuis le Grenelle de l’Environnement, on favorise le bois pour le chauffage et la forêt a beaucoup rajeuni (il n’y a plus autant de vieux arbres). De plus, des espèces exotiques vont être plantées pour adapter la forêt au changement climatique, sans laisser la chance aux espèces locales de s’adapter.
Une des solutions est la stratégie de l’ASPAS consistant en l’achat de grands espaces naturels qu’elle laisse en libre évolution pour en faire des réserves de vie sauvage. En effet, les écologues ont constaté que lorsqu’on laisse un lieu libre, des décennies plus tard, la faune s’enrichit, les processus écologiques se déploient et le milieu gagne en maturité. C’est donc un moindre mal des effets du changement climatique sur la composition de la faune et de la flore si les processus naturels et fonctionnels s’exercent sans contrainte humaine.
Pour les particuliers propriétaires, la loi sur la biodiversité donne la possibilité des ORE (Obligations réelles environnementales) permettant de se fixer des règles pour respecter la nature, et par exemple favoriser la libre évolution.
Les conservatoires d’espaces naturels laissent, de fait, des zones en libre évolution car ils n’ont pas assez de moyens pour intervenir sur l’ensemble de l’espace, mais aussi parce qu’ils se rendent compte de l’intérêt qu’il y a à laisser des sites naturels témoins face au changement climatique.