État des lieux de la nature dans les Alpes et les Cévennes

En cette année 2021, les JNE (Journalistes et écrivains pour la Nature et l’Écologie) ont décidé de s’interroger sur ce thème : « Que reste-t-il de la nature sauvage en France et dans le monde ? ». Un de nos adhérents, accompagnateur en montagne dans les Alpes et les Cévennes depuis une quarantaine d’années, nous livre ses observations sur l’évolution de la faune et de la flore, partout là où ses pas l’ont mené.

par Jean-Pierre Lamic

Chamois cherchant la fraîcheur sur un névé (altitude 2 600 mètres) dans la réserve de la Grande Sassière (Savoie)  © Jean-Pierre Lamic

Une histoire qui débute dans les Grands Causses

Depuis ce jour de 1981 qui m’a permis de découvrir de manière fortuite les premiers 8 vautours fauves lâchés dans le cadre de leur réintroduction aux alentours de Saint-Pierre-des-Tripiers (Lozère), sur les hauteurs des Gorges de la Jonte, il m’est possible d’affirmer que de nombreuses découvertes, tant positives que négatives en matière de biodiversité, ont jalonné ce parcours. De cette rencontre inopinée avec le charognard réintroduit dans les Cévennes sont nées, dès les jours qui s’ensuivirent, d’autres découvertes. En effet, quelques semaines plus tard, le crave à bec rouge (on estime qu’ils sont plus de 1250 individus sur les Grands Causses) et le percnoptère d’Égypte, avaient été vus autour ou sur les charniers disposés pour alimenter les vautours !

J’observais ces derniers en compagnie d’un membre du Fonds d’Intervention pour les Rapaces (FIR) lorsque nous fîmes cette découverte surprenante. Le retour de la biodiversité concernant la faune sauvage était en marche… Et la nature nous enseignait que chaque maillon de la chaîne a besoin de la présence d’autres espèces, également en dehors du simple rapport prédateur–proie. Plus tard, le vautour moine a été réintroduit avec 6 individus libérés également dans les Gorges de la Jonte et du Tarn en 1992 dans le but de former un nouveau noyau de population (avec ceux des Pyrénées).

Aujourd’hui, l’Association LPO Grands Causses, le Parc national de Cévennes, l’association Vautours en Baronnies et l’association LPO PACA sont impliqués dans le suivi de cette démarche,, tandis que 53 oiseaux ont été lâchés jusqu’en 2004. En 2019, 26 couples s’y reproduisaient, ayant généré 16 jeunes à l’envol. Ils nichent au sommet d’arbres offrant une cime plane ; ainsi, ils se trouvent plutôt sur le Causse noir, et se nourrissent des parties coriaces des charognes : peau, tendons, cartilages. Pour cette raison, ils ne rentrent pas totalement en concurrence alimentaire avec les vautours fauves et leur laissent généralement le soin de nettoyer les cadavres qu’ils partagent, ce qui permet l’épanouissement des deux populations. Ces réintroductions ont permis d’assainir les réserves d’eau potable et d’assurer son approvisionnement aux habitants de la région, tout en permettant aux éleveurs d’éviter de longs déplacements vers les centres d’équarrissage.

Comment les perturbations nées de décisions prises en Espagne influent-elles sur la faune des Pyrénées, des Grands Causses et des Alpes ? En Espagne, depuis 2003-2004, la mise en place généralisée de l’équarrissage associée à la suppression des dépôts de cadavres a créé une famine dans les colonies de vautours du versant sud des Pyrénées situées en Aragon et en Navarre (représentant un réservoir de plus de 4500 couples de vautours fauves reproducteurs à proximité des Pyrénées occidentales françaises). On a alors pu observer, au piémont des Pyrénées occidentales, des groupes de vautours affamés aux alentours des fermes. Évidemment, s’agissant d’animaux capables de se déplacer sur de grandes distances, les perturbations générées par cette décision ne se sont pas arrêtées aux limites territoriales pyrénéennes.

Et depuis les années 2006-2008, nous observons chaque été en Vanoise, et dans les Alpes, l’arrivée d’une colonie de vautours, incluant quelques vautours moine, attirés par l’arrivée massive de brebis en estive. Si officiellement ils ont réinvesti les pré-Alpes – Baronnies (depuis 1996), Verdon (1999), et Vercors – ils ne sont comptabilisés qu’en été sur les Alpes françaises et la ligne de crêtes frontalière avec l’Italie. En 2014, l’Observatoire savoyard de l’environnement en dénombra près de 1600, et l’été dernier plus de 2500. Ces chiffres sont globalement en constante évolution.

Le retour du gypaète barbu

Autre roi des airs, le gypaète barbu est réapparu dans les Alpes à partir de 1987, et il fut observé régulièrement dès 1990, dans les falaises surplombant la piste de ski de Tignes les Brévières (Savoie), où j’enseignais cette discipline aux débutants… Entre 1990 et 1997, un premier couple se forma : Républic et Marie-Antoinette, qui se mirent à tournoyer régulièrement au-dessus de ma tête… Mais en juillet 1997, Républic meurt à l’âge de 6 ans des suites d’une collision avec une ligne électrique au col de Fresse (Val d’Isère). Très vite, il est remplacé par un nouveau mâle, tandis qu’une nouvelle femelle rejoint Marie-Antoinette. En 2002, de ces amours particulières nait Freeride, le premier jeune étant né en Savoie ! Depuis, neuf jeunes ont pris leur envol à Val d’Isère. Un peu plus tard, un couple s’est installé à Termignon en 2001 ; il a donné naissance à un premier gypaéton dès 2002. Ses parents étaient une femelle lâchée dans le Mercantour en 1997 et un jeune gypaète de 3 ans et 8 mois, le premier à être né en liberté dans le Parc national du Grand Paradis en Italie.

En 2003, un couple s’installa à Peisey-Nancroix (Savoie), où j’allais travailler chaque été de 2006 à 2016, et où je retourne fréquemment. Un premier gypaéton y est né en 2005, et depuis, 9 jeunes se sont envolés depuis cette aire. L’un des géniteurs identifiés était Phénix Alp Action, le premier gypaète né en nature, en 1997, à la suite du programme de réintroduction. Enfin, depuis 2009-2010, deux individus tournoient dans les cieux situés entre Bessans et Bonneval-sur-Arc. Jusqu’à aujourd’hui, seul Éclair est né en 2014 des diverses tentatives de couvaison réalisées sur ce site très sujet aux dérangements. Aujourd’hui, les jeunes nés dans ces premières aires ont essaimé dans les Alpes, et se sont installés pour former une cinquantaine de couples (46 en 2019). En Savoie, on en compte désormais 7 qui donnèrent naissance à 6 jeunes (comme en 2019 – pour 5 en 2018 – 3 en 2017 et 2 en 2016).

Cette année, j’ai raté l’envol du gypaéton de Peisey-Nancroix, orphelin de père (décédé lors d’une collision avec une ligne à haute tension) le 14 juillet, pour un petit quart d’heure seulement… J’avais suivi son évolution au nid avec une longue-vue durant les semaines précédentes. Comme son frère né l’an dernier, il est muni d’une puce, ce qui permet aux gardes du Parc de la Vanoise de suivre son évolution. Le jeune de l’an passé survole souvent mon hameau, et la toiture de mon chalet d’alpages. Cherche-t-il à s’installer à Sainte Foy Tarentaise (Savoie) ? L’endroit est particulièrement propice, pour être empli d’élevages bovin et ovin en été, surplombé de falaises, et frontalier avec le Parc national du Grand Paradis. Durant le confinement, passé à 1900 mètres d’altitude en ce lieu magique, j’ai vu se poser un gypaète adulte sur un rocher situé à 50 mètres en contrebas de ma terrasse, histoire de déguster un os en toute tranquillité… Les individus nichant à Val d’Isère passent dans cette zone quasi quotidiennement.

Chamois, rapaces, oiseaux migrateurs, chauves-souris, marmottes, etc.

Marmotte au cœur du Parc national de la Vanoise © Jean-Pierre Lamic

En 1963, lors de la création du Parc national de la Vanoise, il ne restait qu’une cinquantaine de bouquetins, et une faune rare dépourvue de prédateurs par manque de proies. Quant aux marmottes, elles avaient été chassées durant les années de disette produites par les guerres et des catastrophes naturelles. En un peu plus de 50 ans, grâce à la préservation effectuée et aux réintroductions, on pouvait dénombrer environ 2500 bouquetins, entre 4000 et 5000 chamois, et des aigles royaux saturant l’espace disponible. Et cette année, sur la chaîne frontalière, j’ai vu apparaître des aigles impériaux pour la première fois, dont un jeune. Ce qui fait qu’en été, cette partie des Alpes françaises doit être l’un des rares, voire l’unique lieu en Europe, d’où l’on peut observer 7 rapaces majestueux : vautour fauve, moine, gypaète barbu, aigle royal, impérial, circaète Jean-le-Blanc (probablement en provenance des Cévennes ou des Alpes provençales) et faucon pèlerin. En outre, situé sur la chaîne frontalière, il constitue un lieu de passage pour de nombreux oiseaux migrateurs.

Ainsi, pendant mes longues heures d’observation durant le confinement, j’ai pu reconnaître la bondrée apivore (entre 11000 et 15000 couples en France), un milan noir (entre 20000 et 24000 couples), des nuées de merles à plastron, une huppe fasciée, rejoignant les cassenoix mouchetés, bergeronnettes, et rougequeues à front blanc déjà présents depuis début avril, tandis que les échassiers ou anatidés trouvaient de quoi se nourrir autour des innombrables lacs d’altitude. En soirée, des parades virevoltantes de chauve-souris ou chiroptères (30 espèces différentes sont présentes en Auvergne-Rhône-Alpes), ayant manifestement élu domicile dans ma toiture, accompagnaient mes observations nocturnes.

Les campagnols sortaient progressivement de leurs tunnels creusés sous la neige fondant sous les coups de boutoir d’un soleil ardent, occasionnant l’arrivée des faucons crécerelle nichant dans une falaise voisine, et, plus surprenant, d’un chat haret (chat domestique retourné à l’état sauvage) et d’un chat sauvage (filmés de nuit grâce à deux caméras infrarouge). Cette période de repos forcé n’avait pas fini de me surprendre, puisque chaque nuit à moins de 500 mètres à la ronde, je filmais les scènes les plus surprenantes : renards, chevreuils, lièvre variable, merle, blaireau ou loup en étaient les acteurs principaux, tandis qu’en fin de journée, sept cerfs et biches réunis dans une même vie communautaire s’installaient au cœur des prés situés en contrebas du hameau. Un groupe composé d’un nombre identique de chamois utilisait régulièrement les mêmes espaces, ainsi que trois chevreuils ; les trois espèces se côtoyant sans que cela ne semble poser un quelconque problème. Les marmottes apparurent le 4 avril. Le 7, je filmai l’accouplement, et dès la semaine suivante, s’initiait une dispersion pour la création de nouveaux terriers, implantés à des altitudes de plus en plus basses. En vingt ans, autour de mon hameau, la différence d’altitude a évolué d’environ 300 mètres. Certains terriers se trouvent aujourd’hui entre 1500 et 1600 mètres. L’un d’eux se créa juste en contrebas du hameau. Dès l’arrivée du premier tracteur vers la mi-mai, ses occupants durent chercher un autre lieu et reprendre leur ouvrage.

Le petit gibier de montagne

Le tétras-lyre est l’une des rares espèces à ne pas avoir profité des mesures de protection, en premier lieu parce qu’elle est encore chassée dans 7 des 9 départements où elle est présente en France… Il se concentre dans les rares forêts d’altitude encore non soumises au dérangement. Pour combien de temps encore ? L’actuelle crise engendre une ruée des skieurs de randonnée et raquettistes, non instruits de sa présence et fragilité. Or, il est peu visible puisqu’il niche sous la neige. Un désastre semble s’annoncer… Cette remarque peut également être appliquée à la perdrix bartavelle et au lagopède, espèces soumises au même plan de chasse du petit gibier de montagne, et aux dérangements occasionnés par méconnaissance du milieu naturel. Pour ces activités, la présence d’un médiateur s’avère donc indispensable… Ainsi, en prenant garde de ne pas le déranger, du 14 avril au 15 mai derniers, je pus assister aux parades nuptiales du tétras-lyre dans l’un des derniers sanctuaires non répertoriés en tant que réserve, établi à proximité de mon chalet.

Les bouquetins de Vanoise

Photo prise dans l’œil de la longue vue utilisée lors d’une sortie d’observation dans la Réserve de la Grande Sassière © Jean-Pierre Lamic

De cet observatoire unique, je pus également assister à l’implantation d’une harde de bouquetins mâles sur les contreforts inférieurs de la Sache, sur le versant opposé à celui où j’étais posté, c’est-à-dire, en ubac (ce qui est surprenant car le bouquetin aime le soleil) ; et suivre les pérégrinations acrobatiques des femelles accompagnées des jeunes de l’année précédente dans les barres rocheuses situées entre La Savine (Villaroger) et les Brévières (Tignes). La colonie de bouquetins en Vanoise est évaluée aujourd’hui à 2 500 individus. Elle a servi de pépinière à la réintroduction de l’espèce dans différents massifs : Écrins, Mercantour, Queyras, Vercors…

Les prédateurs

Plusieurs fois au cours de mes randonnées raquettes, j’ai suivi les empreintes du lynx, et observé l’une de ses techniques de chasse au printemps, quand naissent les jeunes chamois. Comme l’aigle royal, il tente de séparer les chevreaux de la mère, et les faire basculer dans le vide… Dans les secteurs où le loup s’est implanté, il semble avoir réduit sa présence, probablement à la recherche d’espaces libres toute concurrence. Quant à ce dernier, il trouve dans ce secteur tout ce dont il a besoin, notamment des sangliers à profusion, avec des marcassins délaissés par leur mère à l’entrée de l’hiver, une espèce très peu chassée par les locaux, plus attirés traditionnellement par les cervidés, les chamois et le petit gibier.

Le loup recherche particulièrement la présence de ruisseaux à truites, les aires estivales et hivernales de chamois, un nombre important de cervidés, et une microfaune abondante constituant environ 8 % de sa nourriture. Il utilise les innombrables routes, sentiers, et chemins créés pour l’élevage et l’agroforesterie, ainsi que les pistes damées des stations de sport d’hiver : une aubaine qui lui facilite ses déplacements hivernaux… Ainsi, si éleveurs, chasseurs, et certains habitants des Alpes sont souvent hostiles à sa présence, les aménagements qu’ils ont réalisés depuis des décennies pour l’exploitation économique de la montagne, ont indubitablement favorisé son retour…

J’ai découvert sa présence sur mon territoire en 2001. Il existait une meute, ce qui signifie que des individus isolés avaient déjà pénétré auparavant dans cette partie des Alpes à partir de l’Italie voisine et frontalière. Certains cols, servant d « autoroute » été comme hiver, comme par exemple ceux du Petit Saint Bernard ou de Montgenèvre qui se situent au point de jonction de stations de ski transalpines, ou d’autres caractérisés par une altitude relativement basse. Ceci me fut d’ailleurs attesté par un ami, qui a observé des individus solitaires dès 1992, soit l’année officielle de son implantation dans le Mercantour…

Loups : où en est-on aujourd’hui ?

Selon l’Association Ferus, « en 2020, malgré les mises en garde des scientifiques et l’opposition des citoyens, les pouvoirs publics peuvent autoriser l’abattage de 121 loups, soit 21 % de la population de loups estimée… En 2020, 105 loups ont été décomptés du plafond, tandis qu’en 2019, 98 loups ont été décomptés des 100 loups à abattre ».

À mon avis, il s’agit d’une « politique » absurde à caractère uniquement électoraliste. Avec ces tirs autorisés (ou pas), on crée des dispersions, génératrices de problèmes et désordres, car un loup esseulé et apeuré va se nourrir au plus facile, tandis que la meute observée en 2001 n’a pas changé d’aire, se nourrissant depuis 20 ans quasi-exclusivement de sangliers, dont la régulation est primordiale pour les Alpes.

En outre, il serait temps que les autorités comprennent – en 2021 ! – que le nombre de prédateurs dépend de celui des proies…, et que ces derniers régulent les naissances dans un sens comme dans l’autre, en fonction de la présence ou pas de nourriture… Heureusement, il semble que les comptages sous-estiment largement le nombre d’individus, car il est très difficile d’inventorier des loups en déplacement pouvant opérer de longues distances en une seule nuit, et passer d’un pays à l’autre très rapidement…

Biodiversité : de fortes disparités

Elevage dans le Vallon du Clou face au massif du Mont Pourri et de la Sache (Savoie) © Jean-Pierre Lamic

 

D’après le rapport publié début mai 2019 par le groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité (IPBES), « sur les huit millions d’espèces animales et végétales présentes dans le monde, près d’un million pourraient bientôt disparaître. Les insectes font partie des espèces les plus menacées : leur nombre a chuté de 80 % ». Cependant, il existe de fortes disparités selon les territoires et les espèces concernés.

Dans les Alpes, voici ce que l’on observe sur le terrain :

  • L’installation de nombreuses espèces animales à des altitudes de plus en plus élevées (cervidés, sangliers, insectes, etc.).
  • L’importante augmentation de la surface des friches, notamment par l’abandon des vergers, se transformant en forêts en quelques décennies.
  • Des inversions de températures liées à la pollution des vallées alpines qui engendrent de graves perturbations sur l’avifaune et ses migrations d’altitude. En effet, depuis une vingtaine d’années, lors des anticyclones hivernaux, il fait plus froid en fond de vallée qu’en altitude… Selon les zones géographiques, un lent processus d’abandon de l’entretien des forêts alpines favorise la prolifération de l’épicéa au détriment du mélèze et du pin cembro, phénomène très nuisible à la biodiversité liée à ces biotopes.
  • L’abandon de pâturages traditionnels, notamment ceux qui ne sont pas accessibles aux trayeuses électriques. Certains sont loués à des éleveurs d’ovins en provenance du sud, avec des milliers de têtes qui transitent par la route.
  • Les reprofilages de pistes de ski, transformant des prairies ou pelouses d’altitude en pentes réengazonnées avec une essence unique.
  • La bétonisation de zones humides, importantes zones de repos pour les oiseaux migrateurs.
  • La diminution du temps de floraison, donc de pollinisation, et la double floraison sur une année de plantes répertoriées parmi les espèces « annuelles ». L’épilobe en épi ou laurier de Saint Antoine, lui, achève sa floraison de plus en plus tôt, privant les abeilles de son pollen et de son nectar à l’automne.
  • La remontée très nette et rapide de la limite supérieure de la forêt, passée de 2000 mètres jusqu’en 1985, à 2400 mètres environ de nos jours, selon les expositions.

Cette dernière métamorphose rapide et brutale de l’environnement montagnard étant probablement ­ avec la diminution des glaciers ­ la plus importante des transformations dans les Alpes liées aux dérèglements climatiques en cours. L’espace naturel situé entre 2000 et 2400 mètres d’altitude se transforme lentement, passant d’une pelouse alpine riche en flore aussi rare que fragile (à laquelle sont inféodés de nombreux insectes), en espaces emplis de jeunes mélèzes, puis de mélèzes adultes, que progressivement les épicéas supplantent. Processus se déroulant du début à la fin de la transformation en moins d’un siècle… Sans une politique volontaire et intelligente de gestion de ces processus (que les autorités semblent ignorer jusqu’à aujourd’hui…), la biodiversité des Alpes se trouve être en grave danger. Selon la CIPRA, 40 % de celle-ci serait directement menacée par l’effet conjugué de ces perturbations.

Conclusion

L’attrait pour ces richesses naturelles a fait naître un vif intérêt auprès des populations. De nombreuses associations de protection de l’environnement s’impliquent pour la protection des espèces menacées comme le faucon pèlerin, le bouquetin, les rapaces ou prédateurs en général, et les charognards. Cependant, il est nettement plus difficile d’agir pour la protection du « monde invisible » constitué d’insectes, reptiles, batraciens ou plantes rares, et de lutter contre la lente invasion de la pelouse alpine par des essences apportant de l’ombre et un manque de lumière : aulnes verts, sapin blanc et épicéa. Dans ce dernier cas, il s’agit d’incriminer une gouvernance défaillante, due principalement à une division administrative de nos territoires devenue obsolète, et à la politisation d’enjeux liés à des intérêts privés, largement privilégiés dans les Alpes : développement des stations de montagne, transports, élevage, opposition au retour du loup, et au Parc national de la Vanoise, etc.

Jean-Claude Mairal, homme politique de l’Allier, le résume ainsi : « Les politiques publiques deviennent de plus en plus catégorielles mais sans cohérence et sans liens affirmés avec l’intérêt général et national ». Pourtant, les retombées économiques inhérentes à l’intérêt suscité auprès du grand public dépassent de très loin le montant des aides de l’État ou des subventions accordées aux parcs nationaux ou régionaux, en générant toute une micro-économie, permettant par exemple à de petits commerçants, hébergeurs ou des accompagnateurs en montagne de vivre et rester sur leurs territoires… L’apport de ces médiateurs à l’environnement (plus de 25000), aux côtés des personnels des parcs, est crucial en termes d’information auprès des utilisateurs des espaces protégés, ou à préserver, notamment afin de prévenir les dérangements et déprédations.

2021 s’annonce comme l’année qui devrait voir se profiler certains changements de paradigmes dans l’espoir de tenter de sauver l’essentiel de ce qui reste de cette biodiversité menacée. Les États généraux de la transition du tourisme en montagne, prévus pour le mois de juin, devraient constituer l’une des étapes importantes de ce long cheminement à initier dès à présent…

Accompagnateur en montagne, Jean-Pierre Lamic est l’auteur et le gérant de la Maison d’édition Kalo Taxidi, ainsi que le directeur de publication du Média du voyage durable. Dernier ouvrage en lien avec le texte : Le voyage immobile d’un confiné en montagne.