L’introduction d’espèces exotiques en forêt n’est pas forcément un gage de réussite et risque de réduire leur diversité biologique.
par Jean-Claude Génot *
Dans mon texte sur le plan gouvernemental de plantation paru en janvier (lire ici), j’ai abordé le sujet des îlots d’avenir en forêt publique mis en œuvre par l’ONF (Office national des forêts). Il s’agit de parcelles allant de 0,5 à 5 ha où l’ONF plante des espèces exotiques supposées être mieux adaptées au réchauffement climatique.
Il existe une séquence vidéo sur la plantation d’un tel îlot en forêt domaniale de Vierzon qui est un modèle du genre de la propagande à peine subtile de l’ONF pour faire passer cette pilule au public. D’abord, l’intervieweur de la séquence YouTube sert la soupe et ne pose aucune question embarrassante, du genre pourquoi avoir fait une coupe rase de 5 ha et mettre ainsi le sol à nu face au réchauffement climatique que craignent tant les forestiers ? Le paysage est celui d‘une terre agricole prête pour une nouvelle culture. On nous explique que les chênes sessiles qui étaient présents sur la parcelle ont dépéri à cause d’un problème sanitaire, une opportunité de faire table rase pour l’ONF, mais ce n’est en rien une fatalité que de tout enlever et de ne laisser aucun arbre mort alors que nos forêts en manquent déjà terriblement. De plus, il existe des préconisations écologiques (mises en pratique en Alsace) pour ne pas reboiser systématiquement les vides de moins d’un hectare pour la diversité du vivant.
Un ingénieur forestier en retraite qui connaît bien ce secteur a relevé les omissions dans le discours des forestiers. D’abord, si les chênes sessiles ont dépéri, c’est à cause du tassement des sols fragiles dû à l’exploitation de la parcelle et au réseau de drainage jamais entretenu et pas à un problème sanitaire. Quand on nous montre un ouvrier en train de mettre un jeune plant dans un sol entièrement boueux, mon expert n’en revient pas et m’explique que ce terrain a été préparé à grands frais, mais pas du tout avec la technique appropriée. Dans ces forêts aux sols très hydromorphes, il faut installer des billons et ne pas faire de labour à plat comme cela a été le cas ici et reprendre tout le réseau de drainage. Pour lui, il ne fait aucun doute qu’au premier gel, les jeunes plants ont dû être déchaussés. Quant à l’optimisme affiché par un des forestiers sur le taux de réussite de cette plantation qu’il espère de 100 %, mon expert ne donne pas plus de 1 à 2 % de réussite. Affaire à suivre.
Enfin, on nous présente le futur arbre, le fameux séquoia toujours vert, qui atteint jusqu’à 110 m de hauteur en Californie. Là-bas il baigne dans les brouillards humides venus du Pacifique, mais ici à Vierzon que se passe-t-il en cas de sécheresse ? Exotique ce séquoia ? Pas du tout ! Notre forestier, subjugué par le futur potentiel de bois de cet arbre monumental, nous rappelle qu’il a vécu en Europe il y a un million d’années, on est rassuré… J’oubliais l’inévitable clôture (au bas mot autour de 8 000 € l’hectare selon mon expert) à cause d’un autre ennemi du forestier : le cervidé. Avec de telles pratiques sylvicoles, on voit bien que l’ennemi public numéro 1 pour la forêt, c’est le forestier lui-même !
Cela fait un moment que l’idée trotte dans la tête de la hiérarchie : la forêt va changer, changeons-la selon nos besoins. L’occasion est trop belle pour implanter ces îlots de super-exotiques puisque partout il y a des dépérissements (épicéas, frênes, hêtres, chênes). On coupe les arbres encore verts et les arbres secs (même si cela se vend à perte comme pour les épicéas) pour faire place nette et prendre le risque de fragiliser les plantations en cas de fortes sécheresses. Les résultats des dépérissements ne sont pas le seul fait du réchauffement climatique car la sylviculture a aussi sa part de responsabilité : espèce mal adaptée à la station, tassement des sols par les engins d’exploitation, forte ouverture de la canopée d’où une forte évapotranspiration du sol, diminution du stockage de carbone en baissant les diamètres d’exploitabilité. Le rajeunissement considérable des forêts a des conséquences nombreuses sur la résilience de l’écosystème face aux aléas climatiques. En effet, les arbres dominants qui ont atteint leur pleine maturité (soit bien au-delà de 100 ans) ont une fonction connue de dissipateur de chaleur liée à leur forte activité de photosynthèse et d’évapotranspiration. Bien des interactions et rétroactions du vivant y ont disparu, qui, pourtant, amélioraient considérablement la résilience des forêts face aux stress climatiques. L’ajout d’espèces exotiques injectées dans ces milieux déjà fragilisés ne peut que les exposer à des crises sanitaires sans fin et à des pertes financières conséquentes à long terme.
Les pratiques sylvicoles devraient donc être revisitées au regard de la fragilité des forêts face au réchauffement climatique. D’ailleurs, un récent rapport d’experts forestiers préconise même de laisser 25 % des forêts en libre évolution en matière d’adaptation au changement climatique. De plus, le recours à des espèces super-exotiques ressemble à une fuite en avant avec un présupposé, à savoir que la forêt n’aura pas le temps de s’adapter naturellement. La forêt écosystème s’adaptera forcément, mais la forêt industrielle non. On ne mise pas sur la diversité génétique des espèces locales. Quitte à faire des essais, le recours à des écotypes d’espèces locales adaptés à des climats plus secs (comme le hêtre qui pousse jusqu’en zone méditerranéenne) devrait être préféré à l’introduction de super-exotiques et jamais en peuplement pur, mais en bouquet parmi les essences locales. Enfin, les chênes ayant montré leur capacité de migration et d’hybridation (entre chêne pédonculé et chêne sessile) après la dernière glaciation, il n’est pas impossible d’imaginer une remontée de chênes thermophiles comme le chêne pubescent, déjà présent dans le nord de la France. On aimerait que ces plantations tests de super-exotiques restent anecdotiques, mais l’ennui avec l’ONF, organisme très centralisé, c’est qu’une idée lancée par la direction va s’appliquer partout dans les régions avec des cadres aux ordres, comme de bons petits soldats. Vous ne me croyez pas ? Il y a déjà eu des précédents malheureux.
Ainsi, en 1996, François Terrasson nous alertait dans un article intitulé Des arbres comme du maïs sur le nouveau concept de l’ONF baptisé « la sylviculture de l’arbre objectif ». Cette méthode consistait à fixer par parcelle une espèce « objectif » que l’on voulait absolument avoir en fin de cycle pour la régénération de la parcelle. Cela conduisait le forestier à éliminer progressivement les espèces qui n’étaient pas leur objectif, pour ne garder que celle souhaitée, avec pour conséquence de réduire la part de mélange dans les parcelles et de faire des sacrifices d’exploitabilité en éliminant des arbres qu’il aurait mieux valu laisser pousser pour un meilleur bénéfice économique. L’autre volet de cette méthode consistait également, après une coupe rase, à planter l’arbre objectif avec un certain espacement et des layons tous les 25 m pour aller girobroyer la végétation concurrente entre les arbres.
Après la tempête Lothar de 1999, l’ONF n’a pas mis longtemps à réagir et à présenter son nouveau concept de sylviculture dynamique. Cette méthode n’était pas en rupture avec celle de l’arbre « objectif ». Toujours en vigueur à ce jour, la sylviculture dynamique conduit à de fortes éclaircies visant à augmenter nettement les distances entre les arbres pour que ces derniers ne poussent plus serrés en hauteur ,mais en diamètre et moins hauts afin de ne plus être renversés par les tempêtes. Quant à la mise en distance des arbres, elle est censée éviter une forte concurrence entre ces derniers pour la ressource en eau du sol. Curieuse coïncidence, cette sylviculture qui vise finalement à augmenter les prélèvements et baisser la densité des arbres d’une parcelle a permis de répondre exactement au slogan du Grenelle de l’environnement, à savoir produire plus de bois.
Pour les peuplements jeunes, notamment de résineux, la mécanisation a été généralisée avec des layons nommés des cloisonnements tous les 12 à 15 m pour faciliter le travail des abatteuses : un pas de plus vers le champ de maïs pour reprendre l’expression de Terrasson. Un enseignant-chercheur de l‘école forestière Agroparistech Nancy m’a confié que si on le transportait les yeux bandés dans n’importe quelle forêt française, il reconnaîtrait à coup sûr une forêt domaniale tant les pratiques de l’ONF sont rationnelles et normatives, donc prévisibles. Evidemment, cette sylviculture dynamique qui rajeunit les forêts n’est pas sans conséquences face au réchauffement climatique car ces peuplements clairs favorisent l’évapotranspiration du sol, suppriment l’humidité qui fait partie intégrante de l’ambiance forestière, n’atténuent absolument pas le réchauffement climatique et limitent les capacités de stockage du carbone dans le sol et les vieux arbres. L’ONF semble ignorer ce que l’on appelle les solutions fondées sur la nature et ce choix de planter en plein une seule espèce super-exotique est une sylviculture anti-nature. Mais n’est-ce pas finalement ce que certains ingénieurs ont toujours rêvé de faire, dompter la forêt et sa végétation naturelle pour en faire un champ d’arbres bien ordonné ?
A l’évidence, le recours aux super-exotiques est un pari très risqué, compte tenu des précédents comme l’épicéa dont on voit l’effondrement actuel, le chêne rouge d’Amérique devenu envahissant et contre lequel le glyphosate a même été utilisé dans le passé, le cerisier tardif qui a envahi une grande partie de la forêt de Compiègne, favorisé par les coupes rases, et le Douglas, également envahissant sur certaines stations, sensible à un champignon (rouille) et à un insecte défoliateur. De multiples exemples montrent que l’introduction d’exotiques n’est pas forcément un gage de réussite tout en appauvrissant la diversité biologique des forêts. Sans subvention publique, ces plantations coûteuses et plus qu’incertaines n’auraient aucune raison d’être.
* Ecologue