« Action » sur la forêt : entretien avec Luc Marescot, réalisateur du film « Poumon vert et tapis rouge »

Avec Poumon vert et tapis rouge, Luc Marescot signe son premier long métrage pour le cinéma. Sa sortie, programmée pour le 20 janvier, a été retardée en raison de la pandémie. Avec ce message d’urgence pour sensibiliser le grand public sur la forêt, il nous explique les raisons de ce film-documentaire, à voir prochainement en salles.
Propos recueillis par Michel Cros

Luc Marescot (à droite) avec le botaniste Francis Hallé


Vous êtes connu, et même primé, pour de nombreux documentaires sur la nature. Avec Poumon vert et tapis rouge, vous avez décidé de franchir la frontière du 7e art avec votre 1er film pour le cinéma. Comment cette histoire vous est-elle venue à l’esprit ? Pourquoi ce titre ?

L’histoire s’est construite sur plusieurs années. Tout d’abord j’ai commencé à écrire le scénario de The Botanist. Les premières lignes sont sorties de mon imagination il y a 17 ans suite à ma rencontre avec Francis Hallé. Un ami, Guillaume Maidatchevsky, m’a rejoint dans l’écriture. Petit à petit, nous étions convaincus de tenir une bonne histoire, qui amènerait de l’émotion. A ce moment-là, ne sachant pas encore combien coûterait la production d’un tel film, je me dis qu’il faut se préparer à le réaliser. Et donc se former à la direction d’acteurs, qui est l’élément fondamental différent entre un documentariste et un cinéaste de longs métrages. Je me suis inscrit au cours Florent pour prendre des cours de comédie, non pas pour devenir comédien, mais pour comprendre comment les comédiens fonctionnent, à quelles peurs ils font face, comment ils aiment être dirigés, etc. Et là, c’est un ouragan émotionnel. Être sur le plateau avec les autres apprentis comédiens, apprendre son texte et le jouer, etc. Tout cela me procure beaucoup plus d’adrénaline que le saut en parachute solo, en chute libre que je venais de faire quinze jours avant.

Le naturel revenant au galop, je me dis : mais pourquoi ne pas faire un documentaire sur ce chemin complètement dingue, sur toutes les étapes qu’il faut franchir pour arriver à mettre une idée de film sur orbite, qui plus est pour la bonne cause environnementale. Le film est né comme ça. Je n’avais aucune idée au départ de la forme qu’il allait prendre. Je me suis laissé guider par la spontanéité et l’authenticité du parcours, sans tricher. J’avais toujours une caméra de poing avec moi, pour coller au plus près de ce qui arrivait.

Pour le titre, ça a été un véritable casse-tête, car nous mêlions deux univers : la forêt et le 7e art. Cette dualité, qui est d’abord un handicap – les gens aiment bien savoir où ils vont, dans quel genre s’inscrit le film qu’ils vont voir (western, comédie, drame, thriller, etc.) – est finalement devenue une force. C’était l’enjeu du montage : arriver à lier deux univers, faire comprendre que l’un peut apporter à l’autre, qu’ils peuvent être finalement très liés. Et créer ainsi un film atypique qui attire le regard, éveille la curiosité. Concrètement, le premier titre de travail était : Et si je tentais le cinéma pour aider les forêts, puis il est passé par Dans la forêt du cinéma, puis, après un joli brainstorming avec pas mal d’ami(e)s créatifs, a émergé Poumon vert et tapis rouge. Sur 40 personnes questionnées, 33 ont trouvé que c’était le meilleur sur une liste de 50 titres. Et il n’y a eu aucune suggestion plus performante.

Comment avez-vous vécu cette première expérience pour le grand écran ?

Je l’ai vécu comme une aventure libre. D’habitude, je réalise des documentaires pour des chaînes de télévision : Arte, France Télévisions, Canal +, National Geographic, etc. Comme à chaque fois, il y a un « formatage » à suivre, un cahier des charges, une identité de la chaîne ou de la « case » à respecter, ce qui nous empêche souvent de laisser libre cours à nos envies d’auteur. Cette fois ci, c’était no limits, no contrainte, je l’ai vraiment fait comme je l’ai voulu, au risque de tout jeter à la poubelle si ça ne plaisait pas. Je n’avais aucune idée si ce qui allait sortir de la table de montage plairait à un public. Mais quelle sensation de liberté !!! Quelle chaîne aurait accepté que je mette en place toute la partie « bungalow », mon petit jardin secret, mon QG un peu barré ! ?

Vous parlez de certains codes à acquérir. A quel niveau se situent-ils ?

Les réalisateurs de documentaires (de télévision) sont vus par le monde de la fiction, de la salle, comme trop formatés, trop liés à une ligne éditoriale, peu libres en fait ; or le cinéma a une appétence pour les réalisateurs libres, qui mettent leurs tripes sur la table, qui donnent leur vision d’un problème, d’une histoire. Ils doivent amener leur univers et le donner à voir. C’est une première passerelle qu’il faut franchir : montrer que l’on est capable d’une telle liberté.

Ensuite il y a le réseau. Dans la niche documentaire (environnement/nature) dans laquelle je travaille, je connais à peu près tout le monde, mais il n’y a pas de pont avec le monde de la fiction, presque rien en tout cas. Il faut se créer un nouveau réseau, repartir de zéro ou presque. Sans compter toutes les alliances ou défiances qui existent comme dans n’importe quel milieu, et dont il vaut mieux avoir une idée avant de porter un projet à l’un ou à l’autre.

Et quand on déboule à 50 ans passés dans ce monde-là, les gens vous regardent en se demandant quelle est cette envie soudaine de venir travailler dans leur univers. J’ai moins de chance d’y arriver qu’un jeune de 20 ans qui peut y aller au culot, frapper aux portes et susciter un peu d’empathie. C’est donc vraiment avec le message que je porte que je dois me battre, avec ma façon de raconter l’histoire associée, avec ma conviction.

Et puis il y a toute la partie cinéma : les références de centaines de films qu’il faut maîtriser ; les chefs déco, les chefs opérateurs, les directeurs photo, les producteurs, tous ne parlent qu’en référence aux films qu’ils ont vus : la lumière de Lord of War, l’étalonnage d’Amélie Poulain,  les mouvements de caméra dans 1917, etc.

Il y a aussi la direction d’acteurs à maîtriser, le vocabulaire « cinéma », l’utilisation d’animaux imprégnés au lieu d’animaux sauvages, les types de caméra utilisés, le rôle de chacun dans la chaîne de réalisation, etc. En documentaire par exemple, le réal peut à la fois faire l’image, porter son pied caméra, donner la main pour porter les caisses, faire la lumière, et souvent savoir installer un micro-cravate sur un personnage. Eh bien, j’ai souvent entendu dire que si un réal faisait cela sur un plateau de fiction, il n’était simplement plus respecté. Le réal doit rester à sa place, et réaliser, ne pas prendre le boulot des autres. Ce sont toutes ces attitudes qui constituent les codes de la profession.

Pensez-vous que le documentaire serait moins persuasif qu’un film de fiction ?

Le problème du documentaire est qu’il attire souvent à lui des spectateurs déjà convaincus par le message qu’il porte. Les gens qui viennent le voir sont curieux de savoir quelles infos supplémentaires ils vont glaner sur un sujet qu’ils connaissent, en tout cas sur lequel ils sont curieux. Un climato-sceptique n’ira jamais voir un documentaire sur le réchauffement climatique, mais regardera un documentaire complotiste qui étaye sa position. Si un super documentaire sur les forêts, sur Francis Hallé, était vu par le monde entier, on gagnerait du temps, et beaucoup de monde serait sensibilisé, prêt à l’action, mais c’est un challenge impossible. Pour toucher tout le monde, un film de cinéma a plus de chances. Le grand public va aller voir un film de cinéma avec DiCaprio, mais pour un documentaire, même s’il y a DiCaprio dedans, le grand public n’ira pas le voir en masse, comme cela a été hélas le cas pour son documentaire Avant le déluge.

Un documentaire touche aussi souvent aux arguments, or on convainc moins bien avec des arguments qu’avec des émotions. Vous prenez deux personnes qui ont des opinions différentes sur un sujet précis, elles peuvent passer la soirée à se balancer leurs arguments, mais chacune s’en ira sans avoir bougé d’un iota sur sa position. Alors qu’au cours de la même discussion, si l’un des deux arrive à toucher l’autre avec son histoire personnelle, ou une histoire proche, qu’il arrive à lui faire verser une larme ou seulement développer un peu de compassion, alors un chemin de convergence est possible. Ce sont les émotions qui nous font faire de grandes choses. Et le cinéma a plus de puissance et de pouvoir quand il s’agit d’émotions. Et il permet, via le truchement d’une histoire, de suspense, de rebondissements, d’histoires d’amour, d’attirer à lui un public bien plus large que le public restreint du documentaire.

Seul souci quand il s’agit de cinéma de nature et d’environnement, il y a très peu de réalisateurs qui vivent au cœur de la nature et la connaissent à la perfection. Donc la nature est souvent traitée comme un décor, mais rarement comme un personnage. Les réalisateurs qui cartonnent ont leur univers, ils en maîtrisent tous les codes. Exemple : Martin Scorsese vivait à Little Italy à New-York, eh bien quand il a démarré on lui a conseillé de faire ses premiers films à Little Italy (Taxi driver, etc.) parce qu’il en connaîtrait chaque détail, que ses histoires auraient plus de chance d’être crédibles.

Mais quel réalisateur vit au cœur d’une forêt tropicale ? Quel réalisateur maîtrise tous les détails de ce qui régit une forêt tropicale ? Aucun. La grande majorité des réalisateurs sont urbains, alors la grande majorité des films sont des films urbains. Alors, quand aura-t-on un bon film sur les forêts tropicales où la nature soit le personnage principal et pas seulement un décor ? Probablement jamais. D’autant plus s’il s’agit de végétal et non pas d’animaux ! Si on prend La Forêt d’émeraude ou Fitzcarraldo, ce sont de grands films, mais la nature n’est qu’un décor, qui joue quand même un rôle, souvent hostile, parce que justement on ne la connaît pas, donc elle fait d’abord peur. Le scénario joue avec ça. Pour faire un vrai beau film sur les forêts tropicales, il faudrait un botaniste hors pair qui comprenne les codes du cinéma, et un réalisateur talentueux qui soit dingue de végétal. La paire n’a pas encore été trouvée.

La sauvegarde des forêts est de plus en plus d’actualité. A quel moment avez-vous ressenti l’urgence d’en faire un film de fiction ?

Cela fait très longtemps que j’ai réalisé que la nature en général courrait à sa perte sous les actions des hommes, toujours de plus en plus nombreux. Depuis mon adolescence en fait. Puis j’ai travaillé pendant 22 ans pour Nicolas Hulot et l’émission culte Ushuaia Nature (jusqu’à 7 à 8 millions de téléspectateurs, une audience qui n’existe plus aujourd’hui à part pour une finale de coupe du monde de football), or il nous est arrivé de repasser par certains endroits que nous avions filmé quinze, vingt ans avant, et à chaque fois le milieu s’était dégradé sous l’action des hommes. Le constat d’un monde – toujours en expansion démographique – qui court à sa perte n’était pas difficile à faire.

La forêt était l’un des univers que je filmais, je m’y intéressais comme aux autres. Puis un jour, il y a vingt ans, je filme Francis Hallé, le botaniste, sur l’expédition du radeau des cimes à Madagascar, et là je ne vois plus une forêt, je découvre un monde magique via les yeux de Francis, ce n’est plus un à-plat de chlorophylle inerte, mais quelque chose de bien vivant, avec des milliers d’histoires curieuses et merveilleuses, des histoires de co-évolution, co-habitation, etc. Francis me fait aimer sa forêt. Ce n’est plus un enfer peuplé de moustiques – qui sont d’ailleurs très rares dans une véritable forêt primaire – mais un monde fascinant.

Francis se bat contre la déforestation, et je le vois comme un Don Quichotte de l’océan vert, à se battre contre les lobbys de coupeurs de bois, beaucoup plus puissants que lui. Je n’ai pas envie de rester les bras croisés, mais d’aider le botaniste. J’enchaîne douze documentaires dans les forêts tropicales (ceux dont j’ai parlé plus haut) mais je vois bien que ça ne participe pas à freiner la course des tronçonneuses. Et comme ma seule arme est l’image, je me suis demandé si le cinéma ne serait pas une voie plus efficace, en tout cas complémentaire. Le challenge était grand, mais l’envie était là, et depuis, je n’ai rien lâché. Je continuerai jusqu’à ce que The Botanist existe, avec ou sans moi à la réalisation.

Pourquoi ne pas avoir choisi les forêts françaises si vous voulez sensibiliser le public français ?

L’objectif est de sensibiliser tous les publics, de France et d’ailleurs, c’est pour cela que le projet que porte Poumon vert et tapis rouge, à savoir The Botanist, a un nom anglais, plus international, et que le scénario existe déjà en anglais et commence à circuler aux États-Unis. Le film Poumon vert et tapis rouge a d’ailleurs déjà été traduit en anglais (Green Forests and The Red Carpet), a participé à un premier festival aux États-Unis (Jackson Wild) en remportant un prix spécial du jury.

Mais plus que ça : les forêts tropicales ont un rôle vital et plus important que nos forêts françaises, elles sont plus fragiles aussi. Les forêts tropicales bossent toute l’année, fabriquant de l’oxygène et absorbant du carbone 12 mois sur 12, alors que les forêts des zones tempérées s’arrêtent pendant tout l’hiver, leur feuillage a disparu. Elles sont plus fragiles aussi car les grands arbres des forêts tropicales poussent sur un sol paradoxalement très pauvre, pas plus d’un mètre de terre utile en profondeur. C’est pour cela que les grands arbres ont des racines horizontales, pour aller chercher les nutriments en surface. Si on coupe une forêt tropicale, le mètre d’épaisseur de bonne terre est vite lessivé par les pluies, et l’érosion rabote cette bonne terre, le terrain n’est alors plus bon que pour faire pâturer des bovins. Mais il en faut toujours plus, car la terre devient de plus en plus pauvre, alors on coupe encore et encore pour dégager toujours plus de terre.

Alors qu’en France, comme dans les pays tempérés de façon générale, la bonne terre existe sur plusieurs mètres de profondeur, on peut raser une forêt, laisser en jachère quelques années, puis replanter, et ça repart. Nos forêts sont bien sûr très importantes, mais elles n’ont pas la même fragilité que les forêts tropicales, ni la même biodiversité, ni la même production d’oxygène, la même capacité de capturer le carbone.

Que pensez-vous de la gestion de nos forêts ?

J’ai plus d’expérience sur les forêts tropicales que sur les forêts françaises, mais je lis beaucoup de choses : il y a de belles initiatives en France, des gens qui se battent dans le Morvan ou le Jura, mais il y a aussi beaucoup de monocultures, de coupes rases dans de nombreuses forêts privées. La mythique forêt de Brocéliande, par exemple, n’a plus qu’une toute petite partie de forêt domaniale (600 hectares de mémoire), et le reste est la proie de propriétaires privés dont beaucoup préfèrent la monoculture de résineux aux feuillus.

La moitié des forêts françaises est en monoculture. Elles ne devraient d’ailleurs pas alors s’appeler « forêts ». Ce qui les rend plus vulnérables face aux invasions de bioagresseurs venus d’ailleurs. La mondialisation a favorisé la pullulation d’insectes nuisibles. Sur la décennie passée, 2000 emplois ont été supprimés à l’ONF (Office national des forêts), et il ne reste que 8000 salariés pour gérer 17 millions d’hectares, dont beaucoup sont malades, par la présence du hanneton forestier ou de bien d’autres « nuisibles ». Phénomène qui va s’accentuer avec le réchauffement climatique et de nombreuses espèces qui vont entrer en stress hydrique.

Au-delà de ces mauvaises nouvelles, il y a quelques lueurs d’espoir. La forêt gagne environ 60 000 hectares par an en France, Montpellier a un programme de plantation de 1000 arbres par an, Francis Hallé a le projet de trouver un terrain de 70 000 hectares pour laisser pousser une forêt primaire, le maire d’Arcachon plante un arbre à chaque nouvelle naissance, et l’enfant devient le parrain de l’arbre… De nombreuses initiatives commencent à voir le jour.

Vous avez travaillé avec Francis Hallé, personnage phare qui va inspirer votre film de fiction The Botanist. En fait, Poumon vert et tapis rouge, c’est un peu votre carte de visite pour Le Botaniste ?

Oui, c’est un peu cela. Poumon vert et tapis rouge est un cheval de Troie, pour pousser de façon originale le projet The Botanist vers le monde du 7e art. Et ça marche indirectement déjà en attendant que le film sorte : c’est en regardant Poumon vert et tapis rouge qu’un éditeur m’a demandé de lire le scénario du Botanist; et parce qu’il l’a trouvé vraiment bien, il a décidé d’en faire un livre. Si ce livre est un jour adapté au cinéma, j’aurai été avec succès au bout du combat. Poumon vert et tapis rouge  va peut-être aussi donner envie à certaines personnalités du cinéma de me donner un coup de main, ou pousser avec moi le projet du Botanist. Tout cela ne sera bien sûr possible que s’il sort un jour au cinéma.

Parmi les producteurs engagés dans l’environnement, vous avez cité Jacques Perrin qui vous conseille à la production. Avez-vous rencontré Robert Redford pour la signature de ce cette fiction ?

J’ai rencontré Robert Redford à l’occasion de la Cop21, mais je le filmais à l’époque pour le film Frères des arbres, et je n’ai pas eu l’opportunité de lui parler du Botaniste, le programme était très chargé. Récemment j’ai pu lui envoyer plusieurs éléments en anglais (bande annonce, scénario, affiche, film sous-titré, etc.). Il y a un peu d’espoir qu’il revienne vers nous. Wait and see comme disent les Anglais.

Vous avez pensé à Leonardo DiCaprio pour le rôle du botaniste dans cette fiction. Pensez-vous sérieusement à un rôle féminin, comme Juliette Binoche que vous rencontrez dans le film ? Serait-ce aussi possible d’après vous avec Angelina Jolie ?

J’ai bien retenu que Juliette Binoche souhaiterait jouer le rôle d’une botaniste. Le scénario pourrait être complètement revisité. C’est une des voies sur lesquelles je travaille. Mais j’ai aussi écrit une autre histoire, celle d’une botaniste, un personnage fort, que je vais lui proposer bientôt. Le budget est beaucoup plus raisonnable, il n’y a que trois comédiens impliqués. A suivre;-)

Concernant Angelina Jolie, ou d’autres acteurs et actrices, tout est possible. Un acteur ou une actrice convaincue, connu(e), impliqué(e) dans la lutte contre le réchauffement climatique pourrait bien évidemment porter le projet. Leonardo DiCaprio est celui auquel je pense en premier car il est très impliqué, et il est le rôle principal de Blood Diamond, le film qui m’a convaincu que le cinéma était un chemin à suivre pour participer à la lutte contre la déforestation.

Si The Botanist s’avérait un succès à sa sortie, comment verriez-vous les changements dans la société civile ?

Je pense que cela aiderait à ce qu’un plus large public que celui des convaincus soit touché par le combat pour les forêts tropicales, par le combat d’un homme. Que ce public découvre aussi les merveilleuses histoires qui se déroulent dans la canopée et les sous-bois, et soit prêt à participer aux efforts nécessaires pour préserver les forêts, comme le fait de ne consommer du bois tropical que s’il est coupé légalement et certifié par le moins pire des labels, le FSC. On pourrait pousser un changement de comportement jusqu’à ne plus manger de produits à base d’huile de palme, ou réduire sa consommation de viande de bovins brésiliens, élevages qui accélèrent la déforestation du plus grand poumon vert de la planète. A la fin du film, au générique, il y aurait un lien pour un site qui donnerait toutes sortes de conseils pour un comportement plus responsable à l’égard des forêts.

Avez-vous contacté des collectifs pour la sauvegarde des forêts pour la réalisation de votre film ?

Je suis abonné ou adhérent à nombre d’associations de sauvegarde des forêts, de « Cœur de forêt » à « Forêts sauvages » (dont le président, Gilbert Cochet, est un naturaliste scientifique avec lequel j’avais tourné au Kamtchatka) en passant par bien d’autres, mais je ne les ai pas sollicitées pour du financement car elles ont leurs propres projets. Mais je lis régulièrement toutes leurs newsletters.

Vous habitez près de Brocéliande. Pensez-vous qu’il y a des forêts plus médiatiques que d’autres ?

Oui, Brocéliande est médiatique parce qu’elle porte des légendes. Et en France, elle a plus de presse que les autres. Jusqu’ici, les forêts n’avaient pas très bonne presse : dans le monde documentaire, on disait même que c’étaient des « mauvais clients », pas très cinématographiques. Principalement parce que la forêt a souvent été filmée depuis le sol, avec le regard de piétons, dans les sous-bois sombres, le mouroir de la forêt en somme, où tout pourrit (même s’il y naît aussi des arbres et des plantes). Alors que la canopée, pleine de lumière, de couleurs, de biodiversité, a bien plus à offrir. Le regard des gens vis-à-vis des forêts change doucement. Elles ne sont plus vues comme des territoires sombres et anxiogènes. Francis Hallé, Peter Wohlleben et bien d’autres participent grâce à leur travail à ce mouvement.

Si vous étiez un arbre ?

Je pourrais dire le moabi, le ginkgo biloba, l’okoumé, l’anzem du Gabon… De grands et beaux arbres que j’ai vus et filmés sous les tropiques. Mais je dirais le chêne tout simplement. Il est de chez nous, ses glands nourrissent les sangliers, les chevaux, les écureuils et bien d’autres animaux, sa stature est réconfortante, son bois sent tellement bon quand on le travaille. Il a quelque chose d’un patriarche. J’aime aussi le hêtre et le platane (souvenir d’enfance), deux arbres que nous avons plantés avec ma compagne pour la naissance de nos enfants.

Luc Marescot a participé au tournage de plus de 80 documentaires, dont une soixantaine comme réalisateur-cameraman et une vingtaine comme chef opérateur pour des amis réalisateurs. Certains de ses documentaires ont touché le grand public, comme Frères des arbres ou 700 requins dans la nuit.