Mercredi 10 février, le projet de loi climat « portant sur la lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets » sera présenté en conseil des ministres : soixante-cinq articles, issus des propositions de la Convention citoyenne, pour changer demain le quotidien des Français, selon le gouvernement. Un projet qui fait bondir la Convention citoyenne et les associations de défense de l’environnement car trop éloigné des propositions initiales. Mais d’un point de vue juridique, que peut-on en penser ? Pourquoi cet écart ? Ce projet de loi peut-il quand même accélérer la transition écologique ? Rencontre avec l’avocate Lou Deldique, du cabinet Green Law à Roubaix, spécialiste du droit de l’environnement.
Propos recueillis par Anne Henry
Quelles propositions-phares de cette loi climat retenez-vous ?
Nous pouvons citer le délit d’écocide, même s’il ne figure pas dans le projet de loi, mais uniquement dans l’exposé des motifs. Mais aussi l’interdiction de la location des passoires thermiques, la réduction du rythme d’artificialisation des sols, l’interdiction de nouveaux centres commerciaux, l’interdiction de vols intérieurs s’il y a possibilité de faire le trajet en train, et l’interdiction de publicité des énergies fossiles et de la surconsommation.
Une des critiques du projet, c’est de ne pas s’être appuyé sur l’intégralité des propositions des citoyens de la Convention Climat. Pourquoi ne pouvait-on pas les reprendre sans filtre ?
Il faut bien voir que ces propositions touchent à des secteurs très variés. Ca nécessite d’intervenir dans un certain nombre de réglementations différentes : le droit de l’urbanisme, le droit de la construction, le droit pénal, le droit de l’environnement, le droit de la publicité. La difficulté pour le gouvernement, c’est de traiter la diversité des mesures dans des champs très différents au sein d’un même texte. La deuxième difficulté, c’est qu’il y a des propositions qui auraient peut-être entraîné un changement drastique de nos modes de vie. Cela peut être une des raisons qui ont obligé le gouvernement à tempérer les attentes de la Convention. D’un point de vue politique, ce projet de loi ne répond peut-être pas aux annonces faites, mais d’un point de vue juridique et légistique, ce n’est pas inhabituel. Et le texte adopté par le Parlement fin septembre sera certainement encore très différent.
Certains avocats estiment qu’il y a trop de mesures de procrastination, avec des dates d’entrée en vigueur tardives, qui pourraient limiter leur portée. Partagez-vous cette réflexion ?
Oui, et d’ailleurs ça a été pointé par deux avis, celui du Conseil économique social et environnemental du 27 janvier, et celui du Conseil national de la transition écologique du 26 janvier. Ils regrettent que ces mesures soient trop timides, avec des effets différés. Ce n’est pas inhabituel d’un point de vue juridique, car il y a un temps d’adaptation des acteurs économiques. Ainsi, l’interdiction de location des passoires thermiques est prévue pour 2028 : il faut bien tenir compte de la situation des bailleurs qui vont devoir procéder à des travaux d’isolation. Mais d’autres mesures sont différées en 2025 ou en 2030. Cette diversité des délais rend ce projet de loi moins lisible. D’autres propositions ont été formulées de façon insuffisamment contraignante comme la consigne des emballages en verre qui « pourra notamment être généralisé à partir de 2025 ». Ce genre de libellé rend cette proposition très hypothétique. D’où le rôle futur du Parlement de travailler sur la formulation des mesures pour éviter de se trouver dans des déclarations d’intentions et du droit mou avec des propositions uniquement incitatives sans modifier les comportements au quotidien.
Y-a-t-il néanmoins des propositions qui permettront de changer en profondeur le droit pour accélérer cette transition écologique ?
L’interdiction de la publicité pour les énergies fossiles est complètement inédite, tout comme l’interdiction de la location des passoires thermiques et le délit général d’écocide. Ce dernier point va nécessiter de modifier une disposition du code de l’environnement qui concerne le délit de pollution des eaux, pour l’étendre à tout type de pollution, notamment atmosphérique et des sols. Si le texte entérine cette proposition et va dans le sens de ce qui avait été annoncé en novembre par le ministre de la Justice et la ministre de la Transition écologique, on va vers quelque chose de nouveau. A l’inverse, certaines mesures ne sont que le renforcement de dispositifs existant déjà comme la lutte contre l’artificialisation des sols. On est dans l’affirmation d’un principe déjà énoncé depuis les années 1980 dans le code de l’urbanisme et le code de l’environnement. C’est dans la continuité de textes comme la loi montagne, la loi littoral, la loi SRU de 2000, les lois Grenelle I et II, la loi Alur de 2014 … comme une répétition permanente de cet objectif. C’est bien de l’écrire, mais encore faut-il le mettre en œuvre concrètement ! Et en plus, les décisions concernant cette lutte contre l’artificialisation des sols ne se prendront pas au niveau législatif ou national, mais au niveau local, quand les collectivités décideront de modifier leurs documents d’urbanisme pour ouvrir ou pas une zone à l’urbanisation, quand le maire acceptera ou non de délivrer des permis de construire. C’est à ce niveau que se joue la lutte contre l’artificialisation des sols.
Ne sommes-nous pas néanmoins dans un processus d’amélioration continue du droit de l’environnement ?
Bien sûr, c’est nécessaire d’étoffer le corpus juridique du droit de l’environnement car c’est une branche du droit très récente. Ce n’est pas toujours facile de trouver des référentiels juridiques. Mais la difficulté de ce projet de loi, c’est que nous sommes sur des règles éparpillées sur différents types de législation. C’est assez classique des grands projets de loi que l’on a une à deux fois par an, comme la loi Alur par exemple. Mais cette dispersion complexifie la règle.
Les députés devraient s’emparer de l’étude du projet de loi climat fin mars, pour une adoption finale fin septembre. Le texte comprend soixante-cinq articles, issus des propositions de la Convention citoyenne, répartis en six titres : consommer, produire et travailler, se déplacer, se loger, se nourrir et protéger (délit d’écocide). Selon le gouvernement, une cinquantaine des 149 mesures proposées par les Citoyens avaient déjà été reprises par décret ou dans la loi de finance, et ce nouveau texte devrait en reprendre autant. Le texte a déjà été remis au Conseil d’État, au Conseil économique social et environnemental (CESE), au Conseil national de la transition écologique (CNTE), et aux autres instances de consultations obligatoires.
Quelques mesures emblématiques
Energie fossile
La convention citoyenne demandait à bannir la publicité sur les produits les plus pollueurs. L’article 4 du projet de loi limitera cette interdiction aux énergies fossiles.
Le texte vise à supprimer l’avantage fiscal sur la Taxe intérieure de consommation des produits énergétiques (TICPE) entre 2023 et 2030, principale subvention aux énergies fossiles accordée aux entreprises de transport routier pour aller vers des véhicules « moins lourds et moins polluants ».
Urbanisme
La loi va resserrer les règles d’urbanisme en fixant l’objectif de « diviser par deux » le rythme d’artificialisation des sols d’ici à dix ans par rapport à la décennie précédente.
La location des passoires thermiques sera interdite à partir de 2028, une mesure susceptible de réduire la facture énergétique de 1,7 million de locataires selon l’exécutif.
Transports
Au 1er janvier 2030, la vente des voitures particulières émettant plus de 95 grammes de CO2 par km sera interdite. La moyenne s’établit aujourd’hui à 120 g par km.
Pour améliorer la qualité de l’air et réduire la pollution routière, un article oblige la création de zones à faibles émissions dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants avant le 31 décembre 2024.La création de voies réservées sur les autoroutes au covoiturage, aux véhicules à faible émission et aux transports collectifs sera évaluée pendant trois ans.
La loi met fin aux liaisons aériennes intérieures si une alternative moins polluante, le train en l’occurrence, existe en moins de 2 h 30. Sauf dans le cas d’une correspondance. La compensation carbone intégrale des vols intérieurs sera imposée d’ici à 2024.
L’augmentation de la taxe de solidarité sur les billets d’avion pourrait être augmentée quand le trafic aura retrouvé son niveau de 2019. L’extension des capacités aéroportuaires (création, extension) devra être compatible avec les objectifs de lutte contre le changement climatique. Une mesure visant à limiter la consommation de nouveaux espaces. Un article prévoit par ailleurs de mettre un terme aux rotations des avions publicitaires.
Consommation
Le projet de loi fixe imposera 20 % de surfaces dédiées au vrac d’ici à 2030 dans les grandes et moyennes surfaces afin notamment de réduire les déchets plastiques. La consigne pour le verre sera généralisée à partir de 2025. Le projet impose 50 % de produits durables et de qualité, dont 20 % de produits bios dans les repas servis en restauration collective.
Délit d’écocide
Le projet de loi punit les personnes morales et physiques « qui causeraient des dégâts graves et durables à l’environnement, de manière intentionnelle et en violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité ». Il est assorti d’une peine allant jusqu’à dix ans d’emprisonnement, contre un an aujourd’hui.
Référendum
Le Président de la République a par ailleurs donné son feu vert à la tenue d’un référendum pour faire entrer le climat, la biodiversité et l’environnement dans l’article 1er de la Constitution. Un projet de réforme constitutionnelle doit être présenté en même temps que le projet de loi climat.
Critiques
Le texte soulève un vent de critiques au sein de la Convention pour le climat et des associations de défense de l’environnement. Pour le député du Maine-et-Loire Matthieu Orphelin, le projet de loi ne respecte absolument pas l’objectif de réduction de 40 % des gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990. Cyril Dion dénonce le détricotage des mesures structurantes et a lancé une pétition pour demander à Emmanuel Macron de tenir ses engagements à leur égard. Elle a recueilli plus de 500 000 signatures.
Contexte international
D’ici juin 2021, la Commission européenne va présenter dans le cadre de son Green Deal, un certain nombre de mesures législatives permettant d’aligner l’Union européenne avec son nouvel objectif de réduction des émissions de – 55 % à 2030. Parallèlement, la loi européenne sur le climat devra entériner l’objectif de neutralité carbone en 2050.
Et plus largement, trois rendez-vous internationaux sont prévus. La France organisera, à la rentrée (du 3 au 11 septembre), le Congrès mondial de la nature à Marseille. Puis les États du monde entier devront se fixer de nouveaux objectifs post-2020 en matière de protection de la nature lors de la COP15 sur la biodiversité en octobre en Chine. Et du 1er au 12 novembre, la COP26 sur le climat se tiendra à Glasgow, en Écosse,pour acter la relève de l’ambition conformément à l’Accord de Paris. En amont de ces trois rendez-vous, Emmanuel Macron propose qu’un sommet soit organisé à New York.
A écouter, l’interview de Lou Deldique réalisée par Anne Henry sur la radio RCF.