Voici le compte-rendu de la vidéoconférence organisée le 26 janvier 2021 par les JNE avec Dominique Bidou, qui vient de publier Le Vent s’est levé, développement durable… ou pas, aux éditions PC.
Par Jane Hervé
Que faire de notre savoir écologique désormais largement reconnu et même partagé ? Comment aller au-delà des méfaits environnementaux de plus en plus évidents de l’anthropocène ? Bref, comment ne pas céder au désespoir ? Rien de tout cela n’était dit (pour ne pas aggraver la désespérance), mais tout était sous-entendu par Dominique Bidou, qui choisit à la fois le pragmatisme et la liberté. Son présent ouvrage, Le vent s’est levé, métaphore de skipper, invite à trouver et à suivre un cap écologique avec un voilier. Quel cap quand les vents sont si contraires ? Et même quel port ?
Cet ingénieur des mines, ancien directeur au ministère de l’Environnement, ex-président de l’association HQE (haute qualité environnementale) et du centre d’information sur le bruit (CIDB), tente de conjuguer deux approches, théorique et pratique. Son constat est lucide : « Les gens sont désormais sensibilisés à l’écologie, mais pas assez sensibilisés pour passer aux actes. Il est urgent qu’ils deviennent des acteurs. Il faut trouver les bons leviers pour changer le monde et changer de comportement ». Après le temps de l’écologie défensive, il est temps de passer à une « écologie offensive ». Pas n’importe laquelle : notre qualité de vie humaine doit être renforcée sans pour autant détruire celle des milieux naturels.
Mettre l’humain au cœur du politique
Cette proposition est un projet auquel chacun d’entre nous peut adhérer en faisant montre d’un esprit positif et d’un certain optimisme. « Changer notre regard sur le monde. Un autre monde est possible. Il y a une créativité de la société », affirme-t-il. Cette démarche mentale, j’ose dire psychologique, devrait parvenir à inverser l’actuelle évolution environnementale. En définitive, il s’agit d’une invitation à mettre en branle l’imaginaire humain, en quelque sorte à se dépasser soi-même. De fait, affirme l’auteur, « le mouvement écologique a oublié l’être humain et ne parle que de la planète ». Ce qu’il suggère de modifier. Il faut « donner aux êtres une raison de se battre pour un autre avenir », sinon on passe alors à côté de la mobilisation des gens !
Ecouter Nicolas Hulot et Jean-Marie Pelt, et constater les réactions opposées des auditeurs (déprimés ou non !) est fort éclairant. Dominique Bidou prône « quelque chose qui donne envie aux gens. Beaucoup de petits changements, de petites initiatives partout ». Et surtout ne pas « mettre la charrue avant les bœufs ».
Quels acteurs ? Dominique Bidou note deux sortes d’intervenants en matière environnementale, lesquels sont finalement complémentaires : « Il y a les lanceurs d’alerte dont la société a besoin, mais ils ne sont pas porteurs de réponses. Il faut des entrepreneurs pour trouver des solutions. On a besoin des deux. »
Quelles actions ? Au fil de l’intervention (animée par Dominique Martin-Ferrari), divers exemples foisonnent. Pour lutter contre l’alimentation de viande, pourquoi ne pas suggérer et valoriser les légumineuses ? Dans le bâtiment, on parle volontiers de « rénovation » (en valorisant l’économie d’énergie), alors que l’idée de « réhabilitation » est plus stimulante. Elle donne « des bénéfices autres » que la simple économie d’énergie. Ainsi, une demande sociale de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), présentée comme « famille énergie positive », a un résultat immédiat. Dans les transports, l’organisation du covoiturage (*) réduit le coût du déplacement.
Le « développement durable » impose de donner un nouveau sens au mot progrès. Celui que proposent les politiques ne l’est guère et relève plutôt d’un abus de langage. Dans un monde reconnu comme fini, il faut en effet trouver un développement original et multiforme. « Donner envie de développement durable » est très différent de se contenter de le supporter car « on n’a pas le choix ».
Changer le regard sur le pays et la planète
Nombre de problèmes émergent dans le monde contemporain. Comment résoudre le conflit entre l’administration technocratique et les structures nouvelles ? Dominique Bidou reste mesuré.Si on change les structures, on croit trouver la solution, or cela ne fait qu’ajouter au désordre. « Quand il y a beaucoup de changement, on se perd. Il y a en France 36 000 communes, ce qui permet de régler finement les problèmes et de maintenir une vie sociale de proximité. Les gens se connaissent et il y a une solidarité locale, or le pouvoir politique les fait fusionner. »
Comment passer du local au global ? Dominique Bidou distingue un « aspect positif dans mondialisation », tout en estimant une limite de la population mondiale (10 milliards d’humains). « Les populations du nord et du sud sont faites pour s’entendre ». Il faut cesser de penser « à la supériorité du nord et au vécu d’humiliation du sud. Nous avons besoin dans le nord d’avoir des liens avec le sud ». Au reste, il invite pareillement à « changer le regard sur les migrations. Il faut une vision d’un monde idéal ».
Quel objectif néanmoins malgré l’urgence climatique ? « Plus de bonheur et moins de ressources ». L’environnement a abandonné le champ du bonheur. Deux fois plus de bien-être avec deux fois moins de ressources. Il faut redéfinir l’économie.
Cet explorateur de la pensée se fait l’avocat de la défense de la planète. Il parle en son nom comme il a jadis constaté l’épuisement de l’énergie fossile bon marché, le passage des biens vitaux gratuits de la nature (eau, air) dans la sphère marchande. Il parle au nom de la planète en constatant l’accroissement et la vieillissement de la population. Il faudra donc reconstruire l’environnement tous azimuts, multiplier les inventions créatives pour trouver des solutions. N’avons-nous pas déjà commencé ?
Donner envie de produire une belle planète, vivable pour tous. Une envie, génératrice de bonheur, de plaisir et de joie … Un vœu pieux qui n’a hélas pas de recettes, pour l’instant. Qu’importe ! Il est impérieux de le tenter.
(*) La préface du livre de Dominique Bidou a été écrite par Frédéric Mazzella, fondateur et président du site de covoiturage BlaBlaCar.