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Les annonces faites le 22 novembre par les ministres Barbara Pompili et Éric Dupond-Moretti ne répondent pas à la proposition de la Convention citoyenne pour le climat en faveur d’un crime d’écocide. En lieu et place, il est annoncé un délit général de pollution et un délit de mise en danger de l’environnement.
par Gabriel Ullmann
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L’écologie en sortira-t-elle gagnante ? Non, comme nous allons le détailler, car cela ne compensera en rien la force juridique et symbolique d’un crime à l’encontre de la destruction ou l’endommagement irrémédiable d’un écosystème par l’homme (définition la plus couramment admise d’un écocide). De plus, la notion d’écocide est bien plus large que le champ des délits proposés.
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Le concept de crime d’écocide n’a cessé depuis l’après-guerre d’être proposé puis… refusé
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L’institution d’un crime d’écocide fut déjà discutée dès 1947 au sein de la Commission du droit international pour préparer le Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, lequel donna naissance par la suite au Statut de Rome, créant la Cour pénale internationale en 2002. Si une dizaine de pays actuellement ont intégré ce crime dans leur Constitution, la France s’y est toujours opposée, au motif d’impossibilité juridique, malgré la proposition en ce sens de la Convention citoyenne. De nombreuses tentatives furent faites au cours des dernières décennies. En 2019, le groupe socialiste à l’Assemblée nationale émet ainsi une proposition de loi visant à reconnaître le crime d’« écocide », qui est rejetée par le gouvernement. La garde des Sceaux Nicole Belloubet avait mis alors en cause un manque de précision dans la définition du crime d’écocide et affirmé que l’arsenal législatif existant (sic) punit déjà les « atteintes d’ampleur » (1). Ce dernier argumentaire, partiellement juste, est cependant vite abandonné.
Le 24 juin 2020, la garde des Sceaux assure qu’elle est prête, avec la ministre de la Transition écologique de l’époque Elisabeth Borne, « à réfléchir à un délit plus général de pollution des eaux, des sols, de l’air, qui pourrait trouver place dans notre droit pénal de l’environnement ». C’est exactement ce qu’on nous ressort maintenant, avec une nouveauté plus intéressante, la mise en danger de l’environnement. Mais là encore de façon très limitative.
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Un délit n’a absolument pas la même portée qu’un crime
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Selon les deux ministres précités, ils auraient opté pour un délit au motif que qualifier les actes incriminés en crime aurait été disproportionné. Mais c’est vite oublier que de nombreux crimes existent déjà dans notre code pénal, pour des faits certes graves mais sans doute moins que la destruction irrémédiable d’un écosystème. Comme la contrefaçon ou la falsification des pièces de monnaie ou des billets de banque, ou bien la destruction, le détournement de tout document, matériel, construction, équipement, installation, appareil, dispositif technique ou système de traitement automatisé d’informations (2), ou bien la corruption par un magistrat au bénéfice ou au détriment d’une personne faisant l’objet de poursuites criminelles, ou bien encore le faux ou usage de faux par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public.
L’article 410-1 du code pénal qui ouvre le titre portant sur « les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation » (3), au sein du Livre relatif aux crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique, introduit ce qu’on entend par les intérêts fondamentaux de la nation : « Indépendance, intégrité de son territoire, sa sécurité, la forme républicaine de ses institutions, les moyens de sa défense et de sa diplomatie, la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et les éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel ». Pour autant, aucune disposition ne figure à ce jour en matière d’ « équilibre du milieu naturel et de l’environnement » de notre territoire. L’inclusion d’un crime d’écocide y trouverait toute sa place. L’opportunité est saisissante. Mais elle ne sera pas saisie…
Pourtant, un crime a une tout autre portée symbolique, médiatique et juridique qu’un délit. Notamment par le fait que le délai de prescription ne serait pas de 6 ans mais de 20 ans. Ce qui peut être très utile pour des dommages à long terme, qui se font sentir ou sont découverts longtemps après les faits générateurs. De plus, ces faits relèveraient des assises, et non du tribunal correctionnel, ce qui donnerait un pouvoir de décision à la population par l’intermédiaire des jurés. La médiatisation des procès d’assises est souvent plus importante aussi. Autant d’éléments qui en feraient un dispositif autrement plus dissuasif qu’un délit. Ce qui est, chacun en conviendra, l’objectif premier.
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Délit dit d’écocide ou plutôt délit général de pollution ?
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En lieu et place d’un crime d’écocide, il a été décidé de créer deux infractions. Commençons par le premier : « un délit général de pollution ». Relevons déjà que le terme d’écocide n’y apparaît plus. « Nous allons créer un délit général de pollution. Les pénalités seront modulées en fonction de l’intentionnalité de l’auteur. Les peines encourues vont de trois ans d’emprisonnement à dix ans d’emprisonnement selon qu’on est en présence d’une infraction d’imprudence, d’une violation manifestement délibérée d’une obligation et la plus lourde, d’une infraction intentionnelle », rapporte Éric Dupont-Moretti. Les amendes iront de 375 000 à 4,5 millions d’euros. « Autrefois vous polluiez, vous gagniez, demain vous polluerez, vous paierez jusqu’à dix fois le bénéfice que vous auriez fait si vous aviez jeté vos déchets dans le fleuve », assure le garde des Sceaux.
Si la sanction est lourde, elle n’est pas non plus à la hauteur de la demande de la Convention citoyenne, à savoir une sanction équivalente à 20 % du chiffre d’affaires annuel mondial de l’entreprise fautive. C’est dans les cas les plus graves, d’une infraction intentionnelle ayant causé des dommages irréversibles à l’environnement qu’on parlera alors de délit d’écocide, poursuit le garde des Sceaux. En pratique, ce sera tout à fait exceptionnel, vu toutes les conditions à remplir. Ce serait donc d’autant plus important qu’on impute à ces faits toute la portée symbolique du crime. De plus, ce dispositif s’inscrit dans un délit général de pollution. Et tous les exemples fournis à la presse par les deux ministres n’évoquent que des faits de pollution. Ce qui est très réducteur par rapport à un écocide : un milieu est détruit, de surcroît de façon irrémédiable, bien souvent plus par la déforestation, l’assèchement ou d’autres formes de dégradation que par des actes de pollution.
Par ailleurs, les textes qui sanctionnent des faits de pollution existent déjà. Même s’ils doivent être améliorés et complétés, ce n’est donc pas une innovation en soi. Le quantum des peines a été fortement relevé. Ce qui est une avancée en soi, mais ne compense en rien un crime d’écocide. D’autant plus que même en présence de peines encourues moins sévères, les juges condamnent déjà très rarement au maximum de ces peines. On est donc dans l’affichage. Si l’on veut rester dans le domaine des délits, il s’agirait avant tout d’appliquer tous les textes existants, et dans toute leur rigueur si on voulait déjà les rendre dissuasifs, efficaces, et au besoin, suffisamment répressifs (4).
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Le délit d’écocide vide de substance la notion d’écocide, mais comble une obligation de 10 ans…
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Un droit général de la pollution, déjà annoncé par le gouvernement précédent et repris opportunément par l’actuel, n’est pas à la hauteur d’un écocide. Il s’agit en fait d’un recyclage d’une obligation que la France ne respecte pas depuis 10 ans, à savoir la transposition de la directive européenne du 19 novembre 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal. Laquelle définit un ensemble d’infractions graves à l’encontre de l’environnement et impose aux pays de l’Union européenne d’introduire « des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives à l’encontre de ce type d’infraction lorsqu’elle est délibérée ou relève d’une négligence grave ». La directive s’appliquait depuis le 26 décembre 2008. Les pays de l’UE devaient la transposer dans leur droit national avant le 26 décembre 2010…
Il n’est pas inutile de rappeler, à cette occasion, que si les gouvernements successifs se sont fait fort de faire la chasse à la « surtransposition », ils ne se signalent pas par la même célérité et efficacité pour combattre la « sous-transposition » autrement plus prégnante.
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Le délit de mise en danger délibérée de l’environnement : une nouveauté bienvenue mais étriquée
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À l’instar de la mise en danger d’autrui introduite dans notre droit pénal en 2011, la mise en danger délibérée de l’environnement est la seconde infraction qui serait créée. Actuellement, l’article 223-1 du code pénal dispose : « Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». Les personnes morales peuvent être condamnées à une amende du quintuple, soit au maximum 75 000 euros (ce qui est faible).
On a affaire à une exception dans le droit pénal, à savoir l’existence d’infraction non intentionnelle. La personne ayant commis l’infraction n’avait pas forcément l’intention de la commettre et le résultat de cette action peut rester une pure éventualité. La responsabilité pénale pour infraction non intentionnelle vise à sanctionner le comportement imprudent ou négligent de son auteur. En fait, il s’agit d’une infraction de prévention.
Ce serait donc en soi une évolution utile du droit pénal de l’environnement, car la répression, si elle est réellement exercée, pourra intervenir sans attendre la réalisation de dommages écologiques qui sont parfois complexes, très coûteux à réparer, voire irréversibles. Selon le ministre de la Justice, la mise en danger de l’environnement pourrait être punie d’une peine maximale d’un an de prison et 100 000 euros d’amende, soit sur le plan pécuniaire bien plus que pour la mise en danger d’autrui. Il n’est pas annoncé, à ce stade, d’amendes spécifiques pour les personnes morales.
Mais aussitôt proposée, aussitôt amoindrie, cette nouvelle sanction « vise à pénaliser la mise en danger de l’environnement par des violations délibérées d’une obligation », souligne Éric Dupond-Moretti dans le JDD du 21 novembre 2020. Si le texte final reprenait cette définition, on aurait accouché d’une toute petite souris, car contrairement à la mise en danger d’autrui, qui se fonde sur une violation délibérée, il faudrait dans notre cas…des violations délibérées (5). Ce qui serait tout sauf dissuasif, et serait même contre-productif, et poserait de sérieuses difficultés pratiques pour mettre en évidence une succession de violations délibérées. Comme le garde des Sceaux est un éminent juriste pénaliste, cette définition n’est pas une erreur : elle traduit clairement le manque de hardiesse politique en ce domaine, mais par contre une réelle volonté d’affichage. Surtout quand on déclare, en regard de la création de cette nouvelle infraction : « Plus personne ne passera à travers les gouttes, et c’est un puissant signal pour que tout le monde respecte le droit de l’environnement ».
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Une vraie question : le manque de culture et de moyens
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Créer de nouvelles infractions sans prendre les mesures pour que les infractions environnementales actuelles soient déjà sérieusement poursuivies, puis réprimées de façon dissuasive, c’est une fois encore ajouter des textes aux textes, tout en se contentant d’une indigence de moyens en matière de poursuites et de jugement. C’est aussi faire peu de cas d’un manque de culture de certains parquets et juges pour ces questions, considérées encore comme non prioritaires.
Pour tenter d’y remédier, à moyens constants voire moindres, la réforme prévoit la désignation d’un tribunal judiciaire chargé de traiter plus particulièrement le contentieux environnemental dans le ressort de chacune des cours d’appel. Sachant que les magistrats et les greffiers font déjà cruellement défaut par ailleurs. L’expérience des pôles de santé publique des tribunaux de grande instance de Paris et Marseille, mis en place en 2002, montre que ce n’est pas la solution. Ils fonctionnent mal, faute de personnels et notamment de magistrats. Alors des pôles spécialisés en environnement dans chacune des cours d’appel…
On compte donner plus de pouvoirs et de champs d’actions aux agents de l’Office français de la biodiversité, alors qu’il voient leurs effectifs et leurs moyens se réduire d’année en année. « Il y aura 60 suppressions de postes entre 2021 et 2022. Et pour le coup, renforcer les missions de police sans renforcer les effectifs qui vont avec, soit ils ne vont pas s’en sortir soit on va leur demander d’abandonner certaines missions techniques. Sans les moyens pour le faire, les meilleures intentions resteront lettre morte », s’inquiète ainsi Patrick Saint Léger, secrétaire général du Syndicat National de l’Environnement FSU à l’Office français de la biodiversité, au micro de France Inter.
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Il ne faut pas oublier la question de fond : celle du démantèlement du droit de l’environnement
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Quand on évoque par exemple des violations manifestement délibérées d’une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, comme dans le cadre projeté de la mise en danger de l’environnement, cela présuppose naturellement qu’on est en présence d’un non-respect de lois ou de règlements. Or, dans le même temps, les gouvernements successifs, l’actuel en tout premier lieu, n’ont eu de cesse de démanteler le droit de l’environnement et d‘amoindrir les lois et règlements qui le régissent… Donc de limiter sans cesse le futur champ d’application de ces nouvelles infractions. En résumé, après la réforme avortée du 1er article de la Constitution (6), il est à craindre qu’il s’agisse encore d’une annonce intéressante en soi, mais qui semble vouée à une mise en œuvre bien anecdotique en pratique.
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Notes:
(1) « L’Assemblée nationale rejette une proposition socialiste qui visait à créer un crime « d’écocide » » sur francetvinfo.fr, 12 décembre 2019.
(2) Lorsque ce fait est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation commis dans le but de servir les intérêts d’une puissance étrangère, d’une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger (art. 411-9 du code pénal). Pourquoi la destruction de milieux pour servir les intérêts d’une puissance étrangère, d’une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ne serait-elle pas visée également, en tant que crime ?
(3) Articles 410-1 à 414-9..
(4) Le 4 décembre 2020, le tribunal correctionnel de Saint-Laurent-du-Maroni a condamné la société Gold’Or à payer une amende de 100 000 euros avec sursis pour l’ensemble des faits de pollution qui lui sont reprochés, notamment la pollution par sa mine d’or suite à un rejet volontaire. La responsable de cette société est la présidente de l’Union des industries minières de Guyane, et l’une des principales responsables de la Chambre de commerce et de l’industrie de Guyane. En juillet 2018, les agents de l’ONF avaient constaté une pollution record au niveau de la crique Kokioko, sur la commune de Mana. Le taux prélevé de matières en suspension était 4 800 fois supérieur à la norme autorisée qualifiant ainsi cette pollution d’historique. Ce jugement démontre encore une fois qu’avant de discourir sur un délit, ou même crime, d’écocide la priorité est d’obtenir des jugements exemplaires pour de tels faits (et non pas une amende de 100 000 euros avec sursis et 1 euro symbolique au titre du préjudice écologique). On voit mal comment un nouveau délit aurait conduit à une autre condamnation, avec une aussi faible sensibilisation de la justice.
(5) On comprend mieux pourquoi l’amende maximale encourue serait bien supérieure à celle de la mise en danger d’autrui, laquelle peut être actionnée pour une violation délibérée d’une obligation, alors qu’il faudrait des violations dans le cas du délit dit d’écocide.
(6) « La réforme constitutionnelle et l’environnement : l’enterrement », Actu-Environnement, 25 septembre 2019.
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