Déterrage de renards : un scandale qui a la vie dure

One voice a diffusé fin mai une vidéo montrant le déterrage et la mise à mort de jeunes renardeaux devant des enfants. Pour réaliser ces images, des membres de One Voice ont infiltré un groupe de « déterreurs » d’Île de France. Maurice Chatelain nous a alerté, écœuré par cette pratique d’un autre âge. Merci à cet amoureux de la nature pour ses photos inédites qu’il offre aux JNE pour la défense du renard

par Danièle Boone et Maurice Chatelain

Un jeune renard © Maurice Chatelain

Les images de cette vidéo sont violentes mais réalistes. Ce qui est encore plus choquant, c’est la présence d’enfants parmi les spectateurs. L’un d’eux, 12 ans, était là « pour apprendre » selon les explications des chasseurs. Il lui a été demandé de porter le coup fatal à la petite masse de poil couinante. Il s’est raté, de la souffrance en plus pour ce petit être qui ne demandait qu’à vivre. « Qui a le courage de regarder comment on tue en fracassant la tête d’un petit renardeau avec des outils énormes ? » demande Maurice. Oui, cette violence gratuite est insoutenable. Pour justifier ces mises à mort répétées, les chasseurs prétextent que le renard est une «espèce susceptible d’occasionner des dégâts », « ESOD », la nouvelle et hypocrite terminologie qui remplace le terme « nuisible » car, dans les faits, rien n’a changé.

Pourquoi le renard a le triste privilège d’être inscrit sur cette liste noire dans dans 90 des 95 départements de France métropolitaine ? Seuls Paris, les Hauts de Seine; la Seine Saint-Denis, le Val-de-Marne et le Haut-Rhin (avec une exception pour 24 communes) tolèrent sa présence. C’est culturel ! En devenant éleveur et agriculteur, il y plus de 10 000 ans, l’homme a dû protéger ses bêtes et ses cultures des prédateurs. De son point de vue d’humain, les animaux sauvages sont devenus des concurrents à éliminer. Malgré les connaissances scientifiques actuelles qui en montrent l’aberration, cette séparation du vivant entre « utiles » et « nuisibles » perdure. Alors que, qui plus est, le renard, en plus d’être un bel animal, rend bien des services.

Une mère et ses petits © Maurice Chatelain

Toutes les études scientifiques montrent que les proies principales du renard sont les campagnols. Sur le site de l’Office National des Forêt (ONF), il est présenté comme un « régulateur des rongeurs ». Il est d’ailleurs reconnu scientifiquement que le Renard roux rend des services aux agriculteurs en limitant les populations de rongeurs qui peuvent faire des dégâts aux cultures. Lors du super colloque sur le Renard organisé par l’Aspas en mai 2017, Richard Blackbourn a montré qu’en limitant les populations de campagnols, un renard roux rend des services agronomiques aux agriculteurs estimés à 2400 €. (Télécharger les actes du colloque).

Le renard nous protège en partie de la maladie de Lyme. Tim Hofmeester et son équipe de l’université de Wageningen (Pays-Bas) ont démontré qu’en chassant les rongeurs porteurs de la maladie de Lyme en exponentiation dans le monde, le renard contribuerait à en contenir la diffusion. En effet, en présence de prédateurs, les rongeurs sont beaucoup plus casaniers et s’aventureraient le moins possible hors de leur terrier : ils portent jusqu’à 20 fois moins de tiques que leurs congénères vivant en zone exempte de prédateurs. A l’heure où cette maladie fait des ravages qu’on ne peut plus nier, il est bien évident que tous les moyens pour en limiter la propagation sont bons à mettre en place. Malgré tout, les chasseurs continuent à mettre en avant des arguments sanitaires irrecevables. Le renard est certes un vecteur de l’échinococcose alvéolaire et de la gale sarcoptique. Pour la première, il faut être en contact avec les excréments contaminés, quant à la seconde, la gale sarcoptique humaine se transmet d’humains à humains et diffère de celle des renards et des chiens. Pour François Moutou, vétérinaire épidémiologiste, c’est un scandale de classer encore un animal avec ces arguments qui ne tiennent pas la route. Les cas de transmission d’échinococcose sont très rares et, de plus, cette maladie est tout à fait soignable.

Vite au terrier ! © Maurice Chatelain

Les chasseurs leur reprochent de trop se reproduire. « Il faut réguler », entendez par là, il faut tuer un maximum d’individus : quelques 800 000 renards sont tuer chaque année en France. Avec le confinement et l’interdiction de chasser, les chasseurs du Cher où 40 000 renards sont tués chaque années, se sont plaint d’un manque à tuer de 2 500 individus et ont demandé, lors de la dernière commission départementale de la chasse et de la faune sauvage (CDCFS) qu’une campagne supplémentaire de tirs de nuit soit mise en place ! Espérons que le nouveau préfet ne cédera pas à leur demande, le dernier arrêté promulgué dans le Cher en 2018, dénoncé par l’ASPAS, ayant été annulé. En Seine Maritime, un projet d’arrêté va sans doute passer sans doute pour les mêmes raisons et malgré la consultation publique plutôt défavorable qui a eu lieu du 29 mai au 19 juin. Cet arrêté autorise « la régulation du renard par les lieutenants de louveterie de juillet à décembre 2020 » à hauteur de 1430 individus ! Pourtant, de fait, là où les goupils ne sont plus chassés, dans le canton de Genève en Suisse depuis 1974 et au Luxembourg depuis 2015, aucune pullulation n’a été enregistrée. C’est que les populations s’autorégulent en fonction de la nourriture disponible, un fait biologique incontestable bien connu des scientifiques.

L’espoir d’un déclassement pourrait venir des agriculteurs. Beaucoup d’entre eux ne sont pas chasseurs. Récemment, un groupe d’éleveurs du Doubs en AOP Comté s’est révolté contre la décision de la CDCFS entérinée par la préfecture et le ministère de l’écologie qui avait classé le renard sur tout le département. 1800 courriers ont été envoyés à la préfecture. Résultat : dans 117 communes où il y avait au moins un agriculteur qui en avait fait la demande, le renard a été déclassé par l’arrêté préfectoral du 6 novembre 2019, une grande victoire pour les protecteurs du rouquin.

Ouh là là, je suis tout seul ! © Maurice Chatelain

Mais ce qui est dénoncé dans la vidéo de One Voice, c’est le déterrage, la « vénerie sous terre » comme disent les chasseurs et l’administration, ça fait plus chic mais cela ne change rien à la pratique. Cette fin de l’animal au fond du terrier est difficile à défendre d’un point de vue moral, si on prend le point de vue de l’animal. Le blaireau, bien que classé seulement gibier, en fait également les frais et comme nous l’a dit Maurice Chatelain, « cette histoire devient un génocide ». En effet, que ce soit pour le renard ou le blaireau, c’est bien ce mode de chasse qu’il faut arriver à faire interdire car il induit une souffrance animale particulièrement inadmissible : aujourd’hui, avec les progrès de l’éthologie et les connaissances scientifiques qui en découlent, personne ne peut plus nier qu’un animal est un être vivant qui ressent des émotions, en l’occurrence lors de ces séances de déterrage, l’angoisse, la peur, voire la terreur et une douleur atroce.

Comment faire bouger les choses ? Dans un premier temps, il faut participer aux consultations publiques et envoyer un maximum d’arguments fondés scientifiquement aux préfectures afin d’infléchir leur politique liée à la période complémentaire de vénerie sous terre qui concerne les blaireaux. Aves France a créé un site dédié qui recense toutes les consultations publiques. Y participer est en effet un des seuls moyens pour le citoyen de s’exprimer à défaut d’être entendu. Sur les 53 853 contributions en 3 semaines à la consultation sur la reconduction pour 3 ans de la liste des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts, 65 % était défavorables. Ce qui n’a pas empêché le ministère d’entériner les propositions des chasseurs. Notons qu’en 2015, il n’y en avait eu que 2000 contributions, preuve s’il en faut que de plus en plus de personnes désirent vraiment que soit abrogée cette liste voire, purement et simplement, la disparition de la pratique de la chasse quelle qu’elle soit. L’énorme pouvoir des chasseurs – un tout petit pourcentage de la population – auprès des décideurs est de moins en moins acceptée.

Peut-on imaginer la détresse d’une mère qu’on attaque au fond de son terrier et dont on tue les petits ? © Maurice Chatelain

Maintenons le cap : à force de dire et montrer, l’opinion change. Le regard sur le renard s’est ainsi modifié et ses défenseurs sont de plus en plus nombreux même, comme nous l’avons vu, dans des populations historiquement défavorables comme les agriculteurs. Rappelons nous que l’écureuil roux a été classé nuisible jusqu’en 1976 sous prétexte qu’il détruisait des nichées de perdrix et autres petits gibier ! Alors agissons et espérons ! Le temps joue en notre faveur.


A (ré)écouter, l’émission Planète Nièvre sur les Nuisibles, co-animée par Danièle Boone, avec la participation de François Moutou et Sylvie Cardona  (AVES France).