Depuis que le 5 juin est célébré, chaque année, comme Journée mondiale de l’environnement, c’est la deuxième fois, en Algérie, que des circonstances particulières empêchent les écologistes de développer des activités de mobilisation et de sensibilisation à la hauteur de cet événement planétaire.
par M’hamed Rebah
La première fois, en 1991 : le 5 juin était tombé en plein mouvement insurrectionnel déclenché par le FIS dissous (Front islamique du Salut), ayant entraîné la démission du gouvernement et la proclamation de l’état de siège, dans une ambiance de manifestations de rues, chaotiques, qui déboucheront sur une décennie de terrorisme ayant marqué à jamais l’Algérie. En 2020, c’est pour des raisons sanitaires, totalement imprévues et même impensables, que le 5 juin s’est trouvé inscrit dans un calendrier de confinement et de « mesures barrières » contre la propagation du coronavirus, interdisant tout rassemblement.
La Journée mondiale de l’environnement, en Algérie, a été limitée à l’espace médiatique : émissions et reportages à la télévision, tables-rondes à la radio, messages sur les réseaux sociaux. Ce fut l’occasion de réentendre le constat, fondé ou non, fait partou t: la pandémie de coronavirus est venue au secours de la nature. Pas, ou moins, de transports en commun, tous modes confondus ; pas, ou moins, d’activités industrielles ni touristiques, réduction de la circulation automobile durant les heures de confinement … Bref, une pollution en chute libre dont les effets bénéfiques sur la nature ont été très vite perçus.
A Alger, au centre-ville, habituellement bruyant et exposé aux gaz d’échappement de véhicules roulant en grande partie au diesel, les feuilles des arbres ont repris leur vert d’origine et les moineaux ont réintégré leurs nids; le ciel est occupé par les pigeons, les goélands, les hirondelles de passage, et d’autres espèces d’oiseaux inhabituels en milieu urbain. L’air retrouve sa pureté, les citadins découvrent le calme, les rues sont plus propres.
Des images vidéo amateur, filmées sur la côte ouest algéroise, à Baïnem, montrent, au large, un spectacle de dauphins assez rarissime, mais pas sans précédent dans la baie d’Alger. Ce fait présenté comme insolite est mis sur le compte de la pandémie de coronavirus. La propreté des plages et de la mer seraient également une conséquence de la diminution des activités économiques sur terre. A la veille de la fin du mois de ramadhan, par une belle journée ensoleillée, les habitants du quartier de La Poudrière, à Bologhine (ex-Saint-Eugène), dans la banlieue ouest d’Alger, ont profité d’une eau de baignade qui n’a jamais été aussi limpide, et débarrassée des algues généralement inévitables près du rivage.
Le grand événement de la période de la Covid-19, s’est passé au sud du pays, dans un lieu où le taux de contamination est, sans doute, nul, un lieu touristique par excellence mais épargné des nuisances de cette activité du fait de la suspension des transports de voyageurs (aérien et routier). Il s’agit de la réapparition, qualifiée de miraculeuse, dans le parc culturel de l’Ahaggar (Tamanrasset), plus de dix ans après son dernier signalement, du guépard sahélo-saharien, une espèce en danger critique d’extinction, inscrite sur la liste rouge de l’Union internationale de conservation de la nature (UICN).
Le reportage sur ce parc, diffusé par la chaîne de télévision publique, à l’occasion du 5 juin, qui a montré des images du guépard (Acinonyx jubatus de hecki), prises en mars 2020 dans l’Atakor, indique qu’il s’agit plutôt du résultat de missions de recherches effectuées en 2017 et 2019 puis en mars dernier, obéissant à un protocole scientifique impliquant les habitants de l’air géographique du parc ainsi que leurs connaissances et savoir-faire, et l’utilisation d’un équipement spécialisé, notamment une quarantaine de caméras. Le reportage a signalé la présence également de gazelles Dorcas et de mouflons à manchette qui figurent parmi les « plats favoris » du guépard.
Selon l’UICN, « la baisse de population chez les guépards est due à de nombreux facteurs : deux sécheresses qui ont diminué le nombre de gazelles et de mouflons, les proies des guépards; la dégradation de l’environnement naturel; mais surtout la chasse illégale de cette espèce ». Le contexte sanitaire a-t-il quelque chose à voir avec cette victoire de la nature ? On serait tenté de le croire quand on apprend que deux espèces animales, la chauve souris et le pangolin, seraient à l’origine de cette « attaque » qui a mis à genoux les « humains » (malgré l’arsenal terrifiant d’armes à destruction massive en possession des grandes puissances) et permis à la nature (en apparence sans défense) de « respirer ».
Cet article a été publié dans La Nouvelle République (Alger) du lundi 8 juin 2020.