Les JNE ont organisé le 25 mai 2020 une webconférence avec Dominique Bourg, qui a réuni 46 participant·e·s. Cette webconférence était animée par Jean-Claude Noyé et Jean-Luc Fessard.
Compte-rendu rédigé par Sandrine Boucher et Alexandrine Civard-Racinais
A la question liminaire, « La pandémie de Covid-19 représente-t-elle un moment d’effondrement ? », Dominique Bourg tient tout d’abord à préciser qu’il ne parle jamais d’effondrement au singulier, mais d’effondrements au pluriel.
« Nous sommes entré.e.s dans une dynamique d’effondrements. Les derniers 70 ans qui nous ont précédé correspondent à la première phase de l’ère de l’anthropocène, avec une explosion démographique et économique. Nous sommes maintenant dans la seconde phase de l’anthropocène : l’étape boomerang.
2018 a été la première année, où nous avons connu non pas quatre, mais deux saisons : une saison tiède, une saison chaude, avec des températures de 46 ° C dans l’Hérault et de 31 ° C dans l’Arctique. Il y a un fond chaud continu et de brusques accès de fièvres.
Un papier récent publié dans la revue PNAS souligne que des températures de plus de 29° C seront de plus en plus fréquentes et ce, dans de nombreuses zones de la planète…
Les prochaines décennies vont être pourries. Vivre sur terre va devenir de plus en plus difficile, notamment en raison des changements climatiques et de l’effondrement de la biodiversité ».
Covid-19 : Confiner pour éviter l’effondrement des systèmes de santé ?
« C’est dans ce contexte que l’épidémie de Covid-19 s’inscrit. La plupart des pays européens ont réagi de la même manière en confinant leurs populations à partir du 15 mars. L’objectif du confinement était d’éviter un effondrement des systèmes de santé publique. A Bergame (Italie), le taux de mortalité a bondi de + 500 % par rapport à la normale.
Face à l’épidémie de Covid-19, les dirigeants ont eu peur des conséquences pénales qui auraient pu être très graves en cas d’inaction. Car les populations les auraient tenus pour responsables. Et leur responsabilité pénale aurait été engagée. On voit là que lorsqu’il y a risque d’imputation directe, la réaction est immédiate : Imputation directe – Réaction des dirigeants — Confinement des populations. La gestion de cette épidémie a montré qu’il était possible de faire autrement, de ralentir l’économie mondiale, de desserrer la mâchoire du marché, de remettre en cause des choses qui paraissaient impossibles à changer.
Rien de tel face aux changements climatiques en cours… »
Changements climatiques : chronique d’un effondrement annoncé
« En 2040, les températures devraient augmenter en moyenne de + 2 °C par rapport au XIXe siècle. On en est déjà à + 1,1 °C. Et, selon les services météorologiques britanniques, nous pourrions être à + 1,4 °C dès 2024.
Concernant le climat, nous subissons les conséquences de décisions prises il y a vingt ou trente ans. Les gens ne veulent pas l’entendre, ne veulent pas le comprendre. Le problème, c’est que nous ne savons pas à qui imputer les problèmes qui nous tombent dessus ! Du coup, c’est la prime à l’irresponsabilité. Par exemple, François Bayrou qui demande le rétablissement au plus tôt de la liaison aérienne entre Paris et Pau.
Ce qui arrive aujourd’hui au plan climatique est annoncé. La fiabilité des modèles a pu être vérifiée, à la différence du vivant qui est difficile à modéliser. »
Le déclin de la biodiversité, un autre effondrement en cours…
« L’épidémie de Covid-19 est l’une des conséquences de l’effondrement de la biodiversité, qui entraîne une augmentation de la circulation de pathogènes, via des vecteurs comme les tiques qui ont perdu leurs hôtes et donc s’attaquent aux humains, ou les chauves-souris qui ont perdu leurs habitats.
Ce n’est pas la dernière attaque virale que nous connaîtrons. Avant, 60 % des maladies nouvelles venaient des animaux (zoonoses), aujourd’hui, cette proportion est passée à 75 %.
Nous allons commencer à fortement dégrader l’habitabilité de cette planète pour les espèces animales et les humains.
10 % des plus riches sur Terre émettent 50 % des gaz à effet de serre.
50 % des plus pauvres, 10 %. »
Vers un nouveau paradigme : tout d’abord, pénaliser la surconsommation
« Ce qui dégrade l’habitabilité de la Terre ce sont nos consommations finales. Le niveau matériel d’existence est un facteur de dégradation important ! Le seul moyen de freiner les conséquences des changements climatiques est donc d’aller vers plus de sobriété. Beaucoup de citoyens sont déjà engagés dans une telle démarche, mais cette aspiration n’est pas encore prise en compte par nos décideurs.
L’instrument le plus simple se base sur un système de quotas correspondant à chaque achat, déduit d’un compte qui pourrait être lié à une carte bancaire. Ceux qui consomment beaucoup seront donc pénalisés…
Ce système va nous conduire à une diète progressive : nous aurons moins d’objets, ils seront mutualisés, plus durables, plus rares, plus beaux, car il y aura davantage d’investissements dans leur conception et leur fabrication.
Cette restriction matérielle permettra mécaniquement d’investir davantage dans d’autres valeurs. Nous savons que les déterminants du bien-être sont les qualités de nos relations avec nos proches. Au début, il y aura de la frustration, mais ensuite nos vies seront plus riches. »
Créer des emplois, des revenus
« Sobriété ne veut pas dire perte d’emplois, au contraire. Par exemple, un hectare cultivé en permaculture est dix fois plus productif qu’en culture conventionnelle, mais demande vingt fois plus d’heures de travail.
Actuellement, une exploitation nouvelle sur deux est créée par des gens qui ne sont pas issus du monde agricole.
L’idée de revenu de transition écologique est expérimentée dans des territoires comme ceux de la Grande-Synthe ou les territoires « zéro chômage ». L’utilisation de monnaies locales pourrait financer ces revenus de transition écologique. »
Rééquilibrer les rapports femmes-hommes
« Nous ne pouvons pas envisager de changer fondamentalement nos relations à la nature si nous ne changeons pas nos rapports de genres. Françoise d’Eaubonne explique que la domination des humains sur les animaux est comparable à celle des hommes sur les femmes.
Il n’y aura pas de société correcte sur le plan écologique sans rééquilibrage entre les sexes. La nouvelle relation au monde, au vivant ne peut pas s’accompagner de la poursuite de ces disparités traditionnelles, ce serait contradictoire.
Chez les peuples amérindiens, il est aujourd’hui moins rare de voir des femmes cheffes ou caciques, alors qu’auparavant il n’y en avait aucune ».
Un autre rapport au vivant
« Ce que propose le Conseil National de la Nouvelle Résistance est une bascule culturelle. Il faut mettre en place un nouveau paradigme plaçant le Vivant au centre de nos préoccupations.
Les pionnier·ère·s de l’écologie devraient d’ailleurs être valorisés pour leur engagement en faveur du Vivant, comme les soignant·e·s le sont pour leur engagement contre le Covid !
Conseil de lecture : La chute du ciel de Davi Kopenawa, un chaman Yanomami. Il explique que ce qui caractérise le Blanc est l’avidité. Il est insatiable. Pour lui, il y a peu de sujets, il n’y a que des objets.
Nous avons aujourd’hui le choix entre l’utopie et la dystopie : soit nous faisons preuve d’intelligence et de générosité, soit nous aurons une existence pourrie. »
Les intertitres sont de la seule responsabilité des autrices du compte-rendu.
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Philosophe, professeur à l’université de Lausanne, Dominique Bourg est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages dont Le marché contre l’humanité (Puf, 2019), Une nouvelle Terre (Puf, 2018), Dictionnaire de la pensée écologique (Puf, 2015).
Le 17 juin prochain paraîtra aux Puf Retour sur Terre : 35 propositions, écrit avec Philippe Desbrosses, Gauthier Chapelle, Johann Chapoutot, Xavier Ricard-Lanata, Pablo Servigne et Sophie Swaton.
Dominique Bourg a conduit la liste Urgence écologie à l’occasion des élections européennes du 26 mai 2019.
Il est membre du Conseil National de la Nouvelle Résistance qui va publier ses travaux le 27 mai, jour national de la Résistance (voir la présentation sur le site de Reporterre).
Voir aussi le site La pensée écologique