Un monde d’après plus écolo ?


par Olivier Nouaillas

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C’est d’abord un bouillonnement intellectuel (et salutaire). Depuis le début du confinement, Pablo Servigne, Gaël Giraud, Cyril Dion, Nicolas Hulot, Gilles Bœuf, Bruno Latour, Edgar Morin et bien d’autres encore ont donné des interviews, publié des tribunes pour faire entendre la nécessité d’un monde d’après plus écolo. Dans ce foisonnement d’idées, c’est sans doute le philosophe Bruno Latour, l’un des penseurs les plus affutés des enjeux écologiques, qui a résumé le mieux l’enjeu central de l’après confinement : « A la demande de bon sens : « Relançons le plus rapidement possible la production », il faut répondre par un cri : « Surtout pas ! » ». La dernière des choses à faire serait de reprendre à l’identique tout ce que nous faisons avant ». Un cri du cœur et de bon sens qu’il a publié dès le 30 mars dans la revue en ligne A0C (Analyse, opinion, critique) sous le titre « Imaginer les gestes barrières contre le retour à la production d’avant crise ».

Manifestation pour le climat à Paris en septembre 2019 – photo Carine Mayo

Auteur à la fois de deux essais au titre prémonitoire, Les Microbes. Guerre et paix (éditions Métaillé, 1984) et Où atterrir ? Comment s’orienter en politique ? (éditions La Découverte, 2017), Bruno Latour sait de quoi il parle. Et pour lui, « la crise sanitaire est enchâssée dans ce ce qui n’est pas une crise – toujours passagère – mais une mutation écologique durable et irréversible ». Et de nous inciter à être des « interrupteurs de globalisation » en prenant l’exemple des tulipes produites hors sol sous lumière artificielle aux Pays-Bas, et expédiées dans le monde entier par avion. « Est-il bien utile de prolonger cette façon de produire ? », s’interroge-t-il en nous invitant à faire la liste des activités indispensables et de celles qui ne le sont plus en raison des impératifs écologiques, au premier rang desquels figure la lutte contre le changement climatique.

Banderole sur un immeuble dans le 12e arrondissement de Paris, avril 2020 – photo Carine Mayo

Emmanuel Macron, dans son premier discours sur la pandémie, celui du 12 mars, avait laissé entrevoir une inflexion : « ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché », avait déclaré le président de la République avec des accents altermondialistes inattendus. Las, les premières décisions budgétaires ne vont pas dans ce sens. Ainsi, le projet de loi de finances rectificatives, voté début avril par l’Assemblée Nationale, et qui prévoit 20 milliards d’euros pour recapitaliser des entreprises stratégiques en difficulté, notamment dans les secteurs aérien et automobile, ne prévoit aucune contrepartie environnementale. Les ONG dénoncent à juste titre « un chèque aux gros pollueurs » et le Haut conseil pour le climat, par la voix de sa présidente, la climatologue franco-canadienne Corinne Le Quéré, s’inquiète déjà « d’une relance grise et pas verte », alors qu’« il s’agit de rompre avec un modèle de développement fortement carboné ».

On le voit, les forces du « business as usual » n’ont pas désarmé. Elles sont également à l’œuvre au niveau européen, notamment au sein de l’Association française des entreprises privées (AFEP), comme l’a montré une récente enquête du magazine Basta, pour réduire les normes anti-pollution et torpiller toute transition écologique, même celle, timorée, du « Green New Deal » de la nouvelle Commission européenne. Et pas difficile d’imaginer qu’au niveau mondial, les partisans de la globalisation effrénée et des traités de libre échange (CETA, Mercosur…) redonneront de la voix, le moment venu, par rapport à la nécessaire relocalisation de certaines activités pourtant essentielles aux biens communs.

D’où la responsabilité du mouvement écologique par rapport à cet enjeu planétaire de l’après. Lui qui aime parfois tant cultiver ses divisions et ses chapelles – entre décroissants, collapsologues, anticapitalistes, réformistes, altermondialistes, environnementalistes, radicaux, pacifistes, etc. – saura-t-il unir ses talents et ses forces ? En ayant en tête ce titre du dernier numéro de la revue Projet : « Ecologie : mobiliser les indécis », et non les convaincus. Car la bataille (démocratique) de l’après ne sera pas une partie de plaisir, d’autant plus que des forces nationalistes (Trump, Bolsonaro, Orban… ) sont également en embuscade pour apporter des réponses simples et simplistes à l’anxiété des peuples.

Ces interrogations sont également celles d’Edgar Morin qui, à bientôt 99 ans, dans une longue interview au journal Le Monde, montre qu’il n’a pas perdu une once de lucidité : « Quel sera l’avenir de la mondialisation ? Le néolibéralisme reprendra-t-il les commandes ? Les nations géantes s’opposeront-elles plus que par le passé ? Les conflits armés, plus ou moins atténués par la crise, s’exaspéreront-ils ? Y aura-t-il un élan international salvateur de coopération? », s’interroge l’inventeur du concept de Terre-Patrie. En soulignant plus loin nos propres responsabilités individuelles :  « Les déconfinés reprendront-ils le cycle chronométré, accéléré, égoïste, consumériste ? Ou bien y aura-t-il un nouvel essor de vie conviviale et aimante vers une civilisation où se déroulera la poésie de la vie, où le « je » s’épanouit dans un « nous » ? ».

Non, rien n’est gagné, ni perdu…