Alors que le personnel soignant doit faire face à l’afflux de malades et à l’absence de moyens, certaines voix s’élèvent pour nous inviter à faire un pas de côté et comprendre pourquoi cette crise sanitaire liée à l’apparition du Covid-19, nous ébranle tant. Si ce virus s’avère mortel pour beaucoup de personnes atteintes, c’est aussi parce que nos organismes sont trop souvent fragilisés par nos modes de vie.
par Jean-Claude Noyé
Dans la masse des informations suscitées par la crise sanitaire, certaines sortent du lot par leur capacité à éclairer notre regard et à relativiser le tourment dans lequel nous sommes. Je pense en particulier à l’article que Jean-Dominique Michel a posté sur son blog : « Covid 19 : fin de partie ! ? ». Le titre est un clin d’oeil à la vidéo amplement diffusée dans laquelle le Pr Didier Raoult défend le recours à la chloroquine. Proche des thèses défendues par l’épidémiologiste marseillais, Jean-Dominique Michel, de nationalité suisse, est un anthropologue de la santé et expert en santé publique. Comme tel, il est intervenu dans de nombreux programmes universitaires. Et, affirme-t-il, il a créé plusieurs dispositifs socio-sanitaires innovants, en particulier en santé mentale. Quoi qu’il en soit, son article a lui aussi beaucoup circulé et il est aussi long que documenté. Je résume ici ses arguments en sept points.
Un : le vocabulaire guerrier adopté par tous les chefs d’Etat est inadéquat. Nous ne pourrons jamais « vaincre » le virus, mais juste se prémunir contre ses dégâts puis apprendre à vivre avec lui.
Deux : certes, à défaut de pouvoir appliquer un confinement restreint réservé aux personnes détectées, tel que pratiqué en Chine, en Corée du Sud et (jusqu’à nouvel ordre) en Allemagne, nous n’avons pas d’autres choix que de respecter les mesures de confinement général. Mais en aucun cas nous ne devons renoncer à notre esprit critique. « Mettre en dialogue ce que nous vivons est essentiel à la fois pour notre santé psychique individuelle et notre résilience collective », écrit Jean-Dominique Michel.
Trois : le Covid-19 semble être le plus souvent bénin en l’absence de pathologies préexistantes. Les données en provenance d’Italie confirment que la grande majorité des personnes décédées souffraient d’une à trois pathologies chroniques (hypertension, diabète, maladies cardiovasculaire, cancers, etc.) avec, selon l’auteur de cet article, un âge moyen des victimes de 79,5 ans et très peu de pertes en-dessous de 65 ans.
Quatre : « la dramaturgie collective hallucinée que nous vivons » masque la réalité des chiffres : alors que les affections respiratoires habituelles font chaque année bon an mal an 2 600 000 morts à travers le monde, la mortalité liée au Covid-19 s’établissait, au quatrième mois de l’épidémie, à 12 000 décès. Bref, « nous sommes très très loin d’avoir un effet statistiquement significatif au regard de la mortalité habituelle et en particulier de la surmortalité saisonnière ».
Cinq : en l’absence de dépistage systématique de la population, nous n’avons aucune donnée fiable car, en réalité, le nombre de personnes déclarées positives au Covid est très largement inférieur au nombre de personnes réellement infectées, « dont à peu près la moitié ne se rendra même pas compte qu’elle a contracté le virus ». Le taux de dépistage restant faible même dans les pays qui ont pris massivement cette voie, « on est de toute manière très loin des statistiques disponibles basées sur des données lacunaires ». Quant aux projections faites pour imaginer le nombre de morts possibles, elles sont « rien moins que délirantes car elles reposent sur un «forçage» artificiel et maximal de toutes les valeurs et coefficients ».
Six : hélas, le vrai point noir, c’est que cette épidémie entraîne des complications redoutables. « L’existence de ces cas graves justifie que l’on ne s’en remette pas simplement à l’immunité de groupe » (*) A fortiori parce que les services d’urgence sont engorgés, les équipes soignantes prenant de plein fouet la réduction drastique des moyens hospitaliers opérée depuis 20 ans.
Sept, enfin, et c’est là une donnée qui, pour nous, écologistes, résonne particulièrement : la santé environnementale est étroitement liée à cette crise sanitaire. De fait, les pathologies chroniques rendent une infection au SARS-CoV-2 potentiellement fatale aux patients touchés par ces maladies de société. Comme le souligne un communiqué de presse du Réseau environnement santé (RES), « alors que, classiquement, on oppose maladies transmissibles et maladies non transmissibles, cette crise oblige à les considérer d’un même point de vue ». Dès 2006, l’OMS elle-même a qualifié d’épidémie la progression foudroyante des maladies de longue durée ou maladies de civilisation largement liées à notre mode de vie. En France, entre 2003 et 2017, les maladies cardio-vasculaires ont ainsi progressé de 171 %, le diabète de 94 % et le cancer de 49 %. Rapportées au niveau mondial, les maladies chroniques sont désormais responsables de la grande majorité des décès non accidentels. Quelles en sont les causes majeures ? La malbouffe, le stress, la sédentarité. Et, last but not least, la pollution.
L’action délétère des pollutions environnementales sur notre santé est en effet aujourd’hui largement avérée. On sait ainsi que la pollution de l’air est responsable de près de 48 000 décès prématurés par an en France, que l’usage massif des pesticides n’est pas sans incidence sur l’obésité et le diabète. Ou que le recours trop longtemps impuni au chlordécone dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique a eu des effets négatifs sur le développement cognitif ou moteur des nourrissons, qu’il a augmenté significativement les cas de prématurité. Enfin, que son usage massif explique que la Martinique détienne le triste record du monde du nombre de cas de cancers de la prostate. Chimiste et toxicologue, André Cicolella, le président du RES, s’appuie sur des études scientifiques convergentes pour démontrer, dans Les Perturbateurs endocriniens en accusation. Cancer de la prostate et reproduction masculine (Editions Les Petits Matins), que les pollutions chimiques de tous ordres sont en réalité le premier déterminant de notre santé. Les perturbateurs endocriniens, outre qu’ils ont partie liée avec le développement inquiétant des maladies chroniques, seraient en cause, selon certains chercheurs, dans l’explosion fulgurante des cas d’autisme (aux États-Unis, 1 enfant sur 5000 en 1975, 1 enfant sur 45 aujourd’hui). Ces mêmes perturbateurs endocriniens « dont l’action pendant la grossesse induit des maladies chroniques à l’âge adulte, induisent, pour certains d’entre eux, une baisse des défenses immunitaires, ce qui favorise les maladies infectieuses », prévient le RES.
Or, que font les pouvoirs publics pour s’attaquer à ces causes ? Rien ou si peu. « On continue à dire que l’augmentation des maladies chroniques, dont le cancer, s’explique surtout par le vieillissement de la population. Or elles frappent des personnes de plus en plus jeunes. Les scientifiques comprennent mieux l’impact du stress chimique sur le bébé dans la période intra-utérine et les premiers mois », m’expliquait ainsi André Cicolella dans une interview à La Vie (01/08/18). Et de poursuivre : « On sait aujourd’hui que des femmes ont “démarré” leur cancer du sein dans le ventre de leur mère. Le paradoxe, c’est qu’on ne se donne pas les outils pour lutter contre les cancers dominants que sont le cancer du sein et le cancer de la prostate ».
De fait, la santé environnementale reste le parent pauvre des politiques de santé. Ainsi, dans le document d’une centaine de pages intitulé Stratégie nationale de santé 2018-2022, à l’initiative d’Agnès Buzyn, l’ex-ministre des Solidarités et de la Santé, la promotion d’une alimentation saine n’occupe qu’une demi-page. La réduction de l’exposition aux pollutions extérieures et aux substances nocives pour la santé ? Deux pages. La pollution de l’air ? Une peccadille. Autre exemple : dans le plan cancer 2014-2019, le terme « perturbateur endocrinien » n’a qu’une seule occurrence.
Jean-Dominique Michel, l’auteur de l’article ci-dessus décrypté, dénonce « les facilités coupables accordées à des industries hautement toxiques au détriment du bien commun et de la santé de population ». Courageuse pourfendeuse des profits colossaux réalisés par l’industrie pharmaceutique – trop souvent sur le dos des patients – et du poids écrasant des lobbyistes qui les représentent auprès des pouvoirs publics, la députée européenne Michèle Rivasi a, quant à elle, co-organisé à l’été 2018 la Marche des cobayes pour la santé environnementale. Une délégation a été reçue le 2 juillet 2018 par le cabinet de Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique et solidaire, pour y demander l’organisation d’États généraux de la santé environnementale. A ce jour, toujours rien. Pourtant, comme l’explique encore André Cicolella : « C’est un changement de paradigme qui s’impose, une vision globale de la santé, qui ne se résume pas seulement au système de soin. Faute de l’avoir compris, notre société risque être de plus en plus sensible aux épidémies infectieuses, même de faible intensité. »
* Le processus par lequel chaque personne qui contracte le virus et n’en meurt pas s’immunise, la multiplication des immunisés conduisant à un effet collectif de protection immunitaire…