On ne se méfie jamais assez des exponentielles. Si tu es porteur du virus et que tu contamines deux personnes, ces deux personnes vont transmettre à leur tour le Covid-19 à quatre personnes, puis à 8, etc. Cela apparaît au début peu inquiétant, mais au bout de dix transmissions, une seule personne en a rendu malade 1 027 ; au bout de 20 transmissions il y a plus de un million (1 048 576) de personnes infectées.
par Michel Sourrouille
Ce schéma théorique est proche de la vitesse de diffusion du coronavirus. La courbe épidémique chinoise semble montrer un « R0 » de 2,2. Le R0 correspond au nombre moyen de personnes qu’un individu infecté peut contaminer en six jours. Cela peut paraître proche du 1,3 de la grippe, pourtant le nombre de contaminés s’envole beaucoup plus vite. D’où la période de confinement que les gouvernements généralisent dans la plupart des pays, il faut bloquer impérativement la chaîne de transmission le plus vite possible.
De façon imagée, la parabole du nénuphar nous indique qu’il ne faut pas tarder à prendre des décisions politiques. Imaginons un nénuphar planté dans un grand lac qui aurait la propriété de produire chaque jour son semblable tout en continuant à vivre et se reproduire. On estime qu’au bout de trente jours, la totalité du lac va être couverte, ce qui provoquera l’extinction de la vie. On se décide à n’intervenir qu’au moment où les nénuphars auront occupé la moitié du lac. Quel jour donc ? Réponse : non pas 15 jours, comme on pourrait le penser un peu hâtivement, mais bien au 29ème jour, c’est-à-dire la veille, puisque le double de superficie est recouvert chaque jour. Au bout du 24ème jour, 97 % de la surface du lac est encore disponible et on ne pouvait imaginer visuellement la catastrophe qui se préparait dans une semaine. Le cerveau humain semble difficilement saisir les propriétés d’une croissance exponentielle, une vitesse fulgurante, et il n’y a pas que le Covid-19 qui est en cause.
Notre consommation exponentielle des ressources naturelles épuisera beaucoup plus vite que nous l’imaginons le potentiel de la Terre. Malthus en 1798 avait déjà montré les méfaits de l’augmentation exponentielle de la population humaine : « Lorsque la population n’est arrêtée par aucun obstacle, elle va doubler tous les vingt-cinq ans, et croît de période en période selon une progression géométrique (autre expression pour dire évolution exponentielle ». Le rapport au Club de Rome de 1972 dénonçait aussi les exponentielles : « Chaque jour pendant lequel se poursuit la croissance exponentielle rapproche notre écosystème mondial des limites ultimes de sa croissance. Étant donné les temps de réponse du système, si l’on attend que ces limites deviennent évidentes, il sera trop tard. Décider de ne rien faire, c’est donc décider d’accroître le risque d’effondrement. Adopter un tel comportement, nous l’avons maintes fois démontré, c’est finalement courir au déclin incontrôlé de la population et des investissements par voie de catastrophes successives. Cette récession pourrait atteindre des proportions telles que le seuil de tolérance des écosystèmes soit franchi d’une manière irréversible. Il resterait alors bien peu de choses sur terre permettant un nouveau départ sous quelque forme envisageable que ce soit. »
Le problème de nos dirigeants, c’est qu’ils considèrent qu’ils sont comptables du nombre de nos morts seulement s’il s’agit d’un péril immédiat. Exemple avec ce coronavirus. Par contre, le nombre de morts par le réchauffement climatique provoqué par les émissions exponentielles de nos gaz à effet de serre, cela paraît trop lointain pour qu’on y prête attention. Nos décideurs devraient connaître la parabole du nénuphar…
Michel Sourrouille anime le blog Biosphère, sur lequel il a déjà mis en ligne de nombreux textes sur le Covid-19.