Le 27 mars 2018, le Président du Tribunal administratif a désigné les membres d’une commission d’enquête préalable à la délivrance de plusieurs autorisations pour un projet de zone industrialo-portuaire de Salaise-Sablons, dit Inspira, concédé par le Comité syndical du Syndicat mixte de la zone industrialo-portuaire de Salaise-Sablons, à la société Isère Aménagement.
Par courrier du 7 mai 2018, Monsieur Barbier, président du Syndicat mixte de la zone industrialo-portuaire de Salaise-Sablons, et, par ailleurs, président du Conseil départemental de l’Isère, a tenté de convaincre le Président du Tribunal administratif de céans qu’il convenait de faire usage de ses prérogatives pour « ordonne[r] l’interruption de l’enquête, désigne[r] un commissaire enquêteur remplaçant et fixe[r] la date de reprise de l’enquête » alors qu’il ne pouvait se prévaloir d’aucun « empêchement d’un commissaire enquêteur » qui permettait une telle démarche en application de l’article L. 123-4 du Code de l’environnement.
Il indiquait ainsi que :
« En conséquence, il nous semble que M. Ullmann ne remplit plus les conditions pour diriger l’enquête avec l’Impartialité requise, que sa situation et son maintien sont de nature à détériorer le climat de l’enquête, et qu’il pourrait être fait application du dernier alinéa de l’article L. 123-4 du Code de l’environnement. »
Rejetant fermement cette demande surprenante, le Président du tribunal administratif de Grenoble répondait, par une lettre datée du 16 mai 2018, que :
« A ma connaissance, il n’existe pas de jurisprudence qui se serait prononcée sur la partialité d’un commissaire enquêteur, révélée en cours d’enquête, comme cause d’empêchement. En retenant néanmoins cette éventualité, encore faut-il l’établir. Cela peut résulter d’une situation de conflit d’intérêts où il apparaîtrait que le commissaire enquêteur serait intéressé à titre personnel ou à raison de ses fonctions à l’opération soumise à enquête. En l’espèce, aucun conflit d’intérêts de ce type n’est évoqué.
Certes, il ne suffit pas que le commissaire enquêteur soit libre de toute pression pour être regardé comme impartial, il faut aussi qu’au regard du public concerné, rien ne puisse faire douter qu’il l’est effectivement. C’est principalement sur ce terrain que vous vous placez. Mais des responsabilités passées dans une association de protection de l’environnement, manifestant d’un intérêt pour les questions d’environnement qui est, d’ailleurs, un critère de sélection des commissaires enquêteurs, ne sauraient disqualifier un commissaire enquêteur pour conduire une enquête publique. De même, un commentaire critique du principe de sécurité juridique, même s’il peut prêter à discussion, ne semble pas susceptible de créer un doute dans l’esprit du public sur l’impartialité du commissaire enquêteur.
Enfin, le questionnaire de 44 pages adressé au maître d’ouvrage, à mettre en relation avec le volumineux dossier de l’opération soumise à l’enquête, est l’exercice d’une prérogative de la commission d’enquête qui peut demander toutes explications utiles ainsi que la production de pièces complémentaires, dont dispose le maître d’ouvrage, destinées à parfaire l’information du public. Ces questions concernant un dossier complexe, élaborées en commun par les membres de la commission d’enquête, et en dépit de leur tournure parfois critique, ne révèlent pas elles-mêmes un quelconque parti pris de la part de M. Ullmann. »
Monsieur Barbier se tournait alors vers le préfet de l’Isère : il revendique explicitement l’avoir fait dans un article publié dans l’édition du 9 février 2019 du Dauphiné Libéré.
« Le tribunal n’ayant pas donné suite, Jean-Pierre Barbier s’est tourné vers le préfet et vers la commission d’aptitude des commissaires enquêteurs. »
Le 27 juillet 2018, la commission d’enquête sur le projet Inspira rendait un avis unanimement défavorable à six des sept décisions soumises à l’enquête publique.
Sans attendre ces conclusions, le préfet de l’Isère demandait à ses services, dès le 1er juin, de constituer un dossier à charge puis saisissait, par un courrier daté du 25 septembre 2018, le Président du Tribunal administratif de Grenoble d’une demande de radiation de M. Gabriel Ullmann de la liste des commissaires-enquêteurs habilités par la commission instituée par l’article R. 123-41 du code de l’environnement.
Aussitôt en octobre 2018, la société Isère Aménagement, maître d’ouvrage concessionnaire et aménageur du projet Inspira, faisait un recours gracieux auprès du Président du Tribunal administratif de Grenoble à l’encontre des vacations de Gabriel Ullmann relatives à l’enquête publique visant ce projet.
Le 5 novembre 2018, un arrêté préfectoral portait modification de la commission départementale chargée d’établir la liste d’aptitude aux fonctions de commissaire enquêteur de l’Isère, chargée notamment d’auditionner Gabriel Ullmann et de décider de sa radiation.
Le 16 novembre 2018, la société Isère Aménagement, insatisfaite de la réponse négative du Président du Tribunal administratif de Grenoble, a déposé un recours contentieux contre l’ordonnance de taxe des dites vacations.
Le 22 novembre 2018, Monsieur Ullmann faisait part, aux membres de la commission, de ses observations, en relevant notamment que les griefs du préfet étaient, pour la plupart, parfaitement étrangers à l’exercice de ses fonctions de commissaire-enquêteur.
A l’issue de sa réunion du 6 décembre 2018, la commission départementale de l’Isère, chargée d’établir la liste d’aptitude aux fonctions de commissaires enquêteurs prenait, à la majorité des suffrages, la décision de radier Monsieur Ullmann de la liste d’aptitude des commissaires-enquêteurs de l’Isère. Cette commission, dont 6 des 9 membres sont désignés par le préfet, comportait 4 représentants du préfet, ainsi que le président d’Isère Aménagement, auxquels s’ajoutait un de ses salariés.
Cette décision a été notifiée dans un courrier signé de son président le 21 décembre 2018, notifié une semaine plus tard.
Le 23 mai 2019, le Tribunal administratif de Lyon, saisi de la requête d’Isère Aménagement dirigé contre l’ordonnance de taxe des vacations de la commission d’enquête, a validé toutes les conclusions de la commission d’enquête présidée par Gabriel Ullmann et le montant de ses prestations : « Cette commission a défini sa mission en distinguant la faisabilité du projet, qui relève de son domaine d’intervention au titre de l’utilité publique du projet, et sa fonctionnalité, pour chacune des sept procédures concernées par l’enquête publique, ce qui n’a pas manqué de créer des difficultés pour l’exercice de cette mission. Eu égard à la complexité du projet ici en cause, à son importante technicité, aux difficultés variées qui en ont résulté pour la conduite de l’enquête, notamment à sa durée, portée à quarante-cinq jours, et à la charge de travail qu’elle a nécessairement occasionnée, à la nature et à la qualité du travail fourni par la commission d’enquête, telle qu’elle résulte en particulier du dossier d’enquête, y compris ses conclusions, le nombre de vacations retenu par les décisions contestées n’apparaît pas excessif » (jugement définitif, en absence d’appel).
Le Tribunal administratif de Lyon examine actuellement le recours formé par Gabriel Ullmann, cette fois, contre la décision de radiation.
A noter : la CNCE (Compagnie nationale des commissaires enquêteurs) organise, le 4 mars 2020, sous le haut patronage d’Elisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire, un colloque national sur le thème : « Enquête publique & Démocratie de proximité » dans l’auditorium de l’Hôtel de Roquelaure (Ministère de la Transition écologique et solidaire – 244 Boulevard Saint-Germain, 75007 Paris).
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