Les tourbières, un monde méconnu à préserver

Les tourbières offrent une variété de paysages et une richesse d’écosystèmes uniques. Pourtant, deux tiers d’entre elles ont disparu au XXe siècle et l’on sait aujourd’hui qu’elles jouent un rôle majeur dans notre capacité d’adaptation au changement climatique. Découverte !

par Myriam Goldminc

Tourbière vivante dans la Réserve Naturelle Régionale des Tourbières de Frasne, en Franche-Comté – photo Myriam Goldminc

A l’échelle de la planète, les tourbières représentent 3 % des terres immergées. Agées pour la plupart de 5 000 à 10 000 ans, elles sont tellement gorgées d’eau qu’elles ne permettent pas à la matière organique de se décomposer normalement. Ces végétaux partiellement désagrégés forment la tourbe. Les plantes et les animaux qui ont réussi à s’implanter dans cet étonnant écosystème vont trouver des stratégies remarquables pour survivre.

Certaines espèces, comme les droséras ou les grassettes, sont devenues carnivores (voir ci-dessous). D’autres, comme l’andromède et la canneberge, ont limité leur pertes d’eau grâce à leurs petites feuilles. Enfin, les sphaignes, ces mousses particulières, sont les composantes essentielles des tourbières (voir ci-dessous). La stratégie de la sphaigne est d’accumuler de la matière organique pour pousser sur elle-même à l’instar des coraux dans les océans. De plus, elle est capable de garder jusqu’à 25 fois son poids en eau. C’est pourquoi les tourbières jouent un rôle essentiel dans le cycle de l’eau en la stockant, et en la restituant progressivement. Elles assurent par là un rôle de filtration et d’épuration des eaux (dénitrification, piégeage et stockage des sédiments, filtration des polluants) ce qui en fait de précieuses ressources naturelles d’eau potable.

Un enjeu environnemental pour la planète

Davantage encore que les forêts, les tourbières constituent des puits de carbone très efficaces pour la planète car elles emprisonnent dans leur sol, depuis des millénaires, de grandes quantités de carbone. « Les tourbières représentent seulement 3 % de la surface terrestre, mais elles stockent à elles seules 30 % du dioxyde de carbone (CO2) piégé dans les sols », explique Daniel Gilbert, professeur en écologie microbienne à l’Université de Franche-Comté. En compagnie d’autres chercheurs, il étudie le fonctionnement de la Tourbière de Frasne, sur le plateau du Jura, où une station de recherche financée par le CNRS a été mise en place dès 2008. « Nous observons les capacités d’assimilation du carbone par les principales variétés de sphaignes qui composent la tourbe et modélisons les flux de carbone qui circulent entre l’atmosphère et le sol. Parallèlement, des mesures prises quotidiennement pendant 10 ans montrent une augmentation de la température de 3 degrés dans cette région du Haut-Doubs. Nous savons que toute perturbation du fonctionnement naturel des tourbières est néfaste pour l’environnement parce qu’ainsi, on libère le CO2 dans l’air, renforçant ainsi l’effet de serre au lieu de l’atténuer ». Parmi ces menaces, la principale est le drainage pour faire des zones cultivables. « Si, comme à Frasne, beaucoup d’associations, de communes, de départements se mobilisent pour préserver ces écosystèmes rares, pour aider à limiter les effets des changements climatiques, il faudrait faire de la conservation des tourbières une priorité ! », insiste le chercheur.

En janvier 2020, un rapport intitulé Terre d’eau, Terre d’avenir a été remis à la ministre de la Transition écologique et solidaire par Frédérique Tuffnell, députée de la Charente Maritime, et Jérôme Bignon, sénateur de la Somme. Il préconise une sensibilisation quant à l’importance des terres d’eau dans la lutte contre le réchauffement climatique et propose de faire des tourbières, des zones prioritaires pour services environnementaux en rétribuant par exemple un agriculteur pour la mise en place d’un élevage extensif ovin et bovin adapté aux milieux humides, avec quelques animaux à l’hectare. La totalité de ces travaux sera remise dans le cadre des Assises de l’eau le 12 février prochain.

Pour en savoir plus : Pôle-relais tourbières

Frasne : une tourbière emblématique
A 800 mètres d’altitude, la Réserve Naturelle Régionale des Tourbières de Frasne est l’ une des plus vastes de Franche-Comté. Elle présente un paysage varié où se côtoient des prai­ries hu­mides, des ro­se­lières, de la végé­ta­tion aqua­tique, des tour­bières bom­bées et des boi­se­ments. Le site s’étend sur plus de 150 hectares on y recense plus de 25 espèces végétales protégées comme la petite orchidée li­pa­ris de Loe­sel. Pour sen­si­bi­li­ser le pu­blic à ses ri­chesses, un sentier sur des pontons en bois à pilotis, jalonné de bornes informatives, permet une découverte pédagogique sur la vie des tourbières. Il existe trois parcours : le Petit circuit de 6,7 km, le Grand circuit de 9 km, enfin un troisième sentier de 5 5 km réservé aux personnes à mobilité réduite. L’accès de la ré­serve est li­mité aux chemins exis­tants et toutes cueillettes ou prélèvements sont interdits.
Le départ se situe sur le parking des Tourbières de Frasne.

La Tourbière de Champgazon
Dans la Nièvre, la Tourbière de Champgazon permet de remonter le temps. Situé à 585 mètres d’altitude, à proximité du lac des Settons, cette tourbière est l’une des plus anciennes du Morvan et fait partie du réseau Natura 2000. Elle présente un grand intérêt écologique. La flore compte de nombreuses plantes rares et protégées comme l’Epipactis des marais (Epipactis palustris), une orchidée très rare. Formée à la fin de la dernière période glaciaire, il y a 15 000 ans, cette tourbière offre une mine d’informations sur cette époque. L’aménagement d’un sentier de bois, dont le départ se fait à proximité du barrage du lac des Settons, offre aux visiteurs une balade de 3,5 km (aller-retour) au dessus de la tourbière, ponctuée de panneaux explicatifs et d’une enquête très ludique pour comprendre ce qu’est la palynologie. Dans la tourbe, des chercheurs ont identifié et daté les grains des pollens de plantes locales, et des restes de végétaux vieux de plusieurs milliers d’années. Le parcours permet de retracer l’évolution du climat dans cette partie du Morvan et d’imaginer la vie de ses habitants à ces époques reculées.
Depuis le centre de Montsauche-les-Settons, prendre la direction du hameau de Palmaroux et aller jusqu’au balisage qui indique la Tourbière de Champgazon.

Tourbière de la Cabane, dans le Parc naturel régional des Pyrénées Catalanes – photo Myriam Goldminc

La tourbière de la Cabane
En pleine forêt, la tourbière de la Cabane cultive son mystère. En 2006, le Parc naturel régional des Pyrénées catalanes a réalisé l’inventaire des zones humides présentes sur son territoire, afin de mieux les connaître et de prendre des mesures en faveur de leur protection : plus de 1600 tourbières ont été recensées. La tourbière de la Cabane, située sur la commune des Angles, en est un bon exemple. Cette tourbière, qui se trouve au niveau d’une station de ski, a subi des pressions dues aux écoulements des retenues pour les canons à neige en été et des glissements de terrain. Fortement chargées en dépôts, les eaux d’écoulement ont participé au comblement de la cuvette tourbeuse. Pour protéger la tourbière et sensibiliser le public, un sentier d’interprétation a été co-réalisé par la commune des Angles et le Parc naturel régional des Pyrénées catalanes. Le sentier grimpe du bas de la station de la station de ski pour arriver dans la forêt de pins à crochets, ces reliques de l’ère glaciaire qui poussent même dans les tourbières. Les panneaux pédagogiques le long du parcours mêlent d’une façon ludique les légendes avec des informations naturalistes sur la flore et la faune.
Les Angles. Départ en bas du télésiège. Dénivelé 150 m. Sentier 4 km. Balade de 2 heures.

Quelques plantes emblématiques des tourbières

Droséra – photo Myriam Goldminc

Les droséras
Elles piègent l’insecte qui se pose sur leurs feuilles grâce à leurs poils recouverts de substance gluante, l’emprisonnent, puis le digèrent lentement.

Les sphaignes
Ce sont des mousses qui participent à la construction des tourbières par leur croissance lente mais régulière sur de larges surfaces. Il existe 35 espèces en France. Elles jouent un rôle clef dans la formation d’une tourbière car elles produisent et libèrent des composés acides. Les anciennes souches meurent mais ne pourrissent pas et servent de substrat à la nouvelle génération qui grandit sur les vestiges des précédentes en formant des tapis de plus en plus profonds. Pendant la Première Guerre mondiale, ces mousses étaient utilisées comme pansement antiseptique.

La linaigrette vaginée
Cette plante gracieuse se reconnaît avec son aspect cotonneux. Pourtant, il ne s’agit pas de la fleur, mais du fruit, car la fleur plus précoce peut émerger dans la neige

 

Cet article est paru en janvier 2020 dans le magazine Plantes et Santé.