Aquarela, l’odyssée de l’eau, film de Victor Kossakovsky, est d’une stupéfiante beauté. Il est fait de sensations et d’émotions qui captent l’histoire de l’eau à travers ses différents états, solide ou liquide. Cette eau toujours infiniment changeante, insaisissable et incertaine, mais présente.
par Jane Hervé
Ce film propose un voyage d’Ulysse dont le héros/héroïne est l’Eau elle-même, presque en personne. Captatrice, elle nous fait pénétrer dans ses entrailles paradoxales, sans consistance, en une sorte de coulée ou parfois de noyade délicieuse presque immatérielle. Cette odyssée de cinéma montre la force, mieux la Toute Puissance de l’eau, dans son écume frémissante et ses bouillonnements nerveux, dans ses mini-maelströms et ses vagues énormes, ses cascades graciles et ses ouragans furieux.
Une telle avancée du spectateur, le cœur et le regard dans l’eau du film, invite à relire les fascinations d’Empédocle (1) en une version écolo. Les couleurs progressent du blanc-bleu immaculé du Groenland – plutôt White-Blue Land – du début, conduisent à la fin vers le roux des falaises vénézuéliennes du Salto de Angel, tout en s’arrêtant pour nous happer quelques secondes sur une mer noire, huileuse, probablement nocturne !
Ce film est tourné au plus près de cette Nature dominatrice, au point même de nous laisser croire que nous sommes à l’intérieur, et plus encore que nous sommes nous-mêmes l’Eau (2), cette eau-là. Il nous parle de l’eau vue par l’eau entendue. Entendue avec les sons de l’eau sous toutes ses nuances : des bruits souterrains parfois sourds sous la glace, des glouglous, des gargouillis, des ploufs, des rages et des crispations presque utérines. Les sons de ces abysses aquatiques accompagnent d’abord le lac Baïkal gelé en dégel, puis la débâcle des glaces, puis les icebergs et des falaises de glace qui s’érodent, s’effritent, s’effondrent et s’émiettent en mer, puis les pluies cycloniques de l’ouragan. Des sons de nulle part et de partout. Des hymnes au caprice des eaux.
La part vécue de l’homme est ici réduite. Il y a l’homme présent agenouillé sur la glace, la chute et sauvetage de voitures dans l’eau gelée de ce lac qui a fondu trois semaines à l’avance, quelques mots murmurés pour celui qui n’en sortira pas (« Kolyan s’est noyé »). Puis il y a cette femme à la barre, skipper prométhéen.ne, qui se rapproche du vent et le titille, maitrise les dérives du courant à l’aide d’un assistant. Elle fixe la bonne gîte, alors qu’autour d’elle les neiges glacées s’effondrent de toute part, tout près, si près que nous sommes à la fois dans le spectacle (la neige en avalanche, les bruits des miettes de glace barbotant dans la mer) et dans les efforts des barreurs. Trois lieux distincts en une même image alors magnifiée.
Allons plus loin dans la réflexion sur ce film, au-delà de son immense poésie, au-delà même de cette mise au jour de la Toute Puissance d’une Nature libre et sans obstacles à laquelle rien ne saurait résister. Une telle puissance des Eaux (donc de la Nature) nous fait comprendre et même admettre que l’Homme – nous – est de trop. Aquarela est sans paroles. Même si c’est l’homme qui filme !
Car un tel film est tourné au plus près de l’eau de façon presque invraisemblable, en tout cas hallucinante, même incompréhensible. Impossible de ne pas se demander il a été techniquement possible de le réaliser, comment le cinéaste Victor Kossakovsky a pu immerger le spectateur dans le tourment de ses vagues et les fissures de ses icebergs. Reste une énigme, le titre. Est-ce parce que l’aquarelle (de acqua, eau en latin) emploie de l’eau ? Est-ce parce qu’elle laisse apercevoir le papier qu’elle recouvre?
Pour en savoir plus, cliquez ici sur le site de Damned Productions.
(1) Empédocle, philosophe, auteur de De la Nature, qui pense l’Eau et les autres éléments constitutifs du microcosme corporel et du macrocosme planétaire.
(2) Ce qui n’est pas totalement faux, le corps étant composé à 65 % environ d’eau !