En Algérie, le débat sur l’exploitation du gaz de schiste est relancé.
par M’hamed Rebah
Au cours de l’entrevue qu’il a accordée à des responsables de médias algériens, publics et privés, mercredi 22 janvier 2020, en réponse à une question sur le gaz de schiste, le président Abdelmadjid Tebboune a donné son avis: « Personnellement, je ne comprends pas pourquoi certains refusent l’exploitation du gaz de schiste et préfèrent recourir à l’endettement extérieur ». Il explique que le pays a besoin des recettes extérieures générées par cette ressource, « nous n’exportons ni produits agricoles ni industriels ». Alors, ajoute-t-il, pourquoi s’en priver alors que « son exploitation est à même d’améliorer le niveau de vie »?
Toutefois, le président Abdelmadjid Tebboune précise que, pour l’immédiat, rien ne presse : « Nous aborderons cette question lorsque nous aurons surmonté la situation actuelle et entrerons dans l’édification et le financement de l’économie ». Le président Tebboune insiste sur le fait que « l’exploitation du gaz de schiste nécessite d’abord un débat national et pas une opinion unilatérale ». Il estime que « le débat est long et complexe, nous le laisserons d’abord aux spécialistes avant la décision politique, qui viendra au moment opportun ». L’expérience d’In Salah (voir plus bas), « une erreur », a-t-il dit, ne sera pas renouvelée.
Le Président Tebboune a en vue « la région de Chenachen, entre Tindouf et Adrar, qui est une zone aride et non peuplée » et où « l’opportunité de l’exploitation du schiste nous est offerte ». A la motivation économique, avancée par le chef de l’Etat, pour justifier l’éventualité du recours à l’exploitation du gaz de schiste en Algérie, des experts algériens ont répondu par des arguments de même nature qui démontrent que, s’il faut abandonner ce projet, du moins dans les court et moyen termes, c’est, justement, parce qu’il manque d’intérêt économique. L’expert Mohamed Saïd Beghoul (Liberté, 28 janvier 2020) résume bien la position des spécialistes algériens en la matière : « Ce n’est, dit-il, rentable ni aujourd’hui, ni demain », et il ajoute : « après-demain, peut-être ». Autrement dit : le gaz de schiste, pourquoi pas, mais à long terme, pas maintenant, ce n’est pas une priorité. La préoccupation écologique est prise en compte, furtivement : il faut rendre la fracturation hydraulique « plus respectueuse de l’environnement par des additifs moins toxiques, traitement d’eau, étanchéité des puits, monitoring post-abandon des puits, etc. ». En conclusion, cela consiste donc à dire « oui au gaz de schiste, mais… », à deux conditions : attendre que l’investissement soit rentable et opérer avec des techniques qui ne portent pas atteinte à l’environnement.
Par contre, pour les écologistes algériens, l’option gaz de schiste doit être abandonnée définitivement, à cause de son impact environnemental avéré de pollution de la nappe phréatique, et ils proposent de se tourner résolument vers les énergies renouvelables. Le débat en est là. Périodiquement, la question du gaz de schiste revient dans l’actualité nationale. L’an dernier, vers la mi-mars, dans un contexte interne très largement dominé par les manifestations populaires de rues – marches et rassemblements – quasiment chaque jour et particulièrement les vendredis (depuis le 22 février 2019, pour protester contre la candidature du président sortant à un cinquième mandat), des informations données par l’APS (Algérie Presse Service) à propos d’un Forum algéro-américain sur l’énergie qui se tenait à Houston (Etats-Unis), laissaient entendre que le gouvernement algérien voulait poursuivre la mise en œuvre de l’option gaz de schiste.
Dans le même moment, le Salon international sur l’industrie pétrolière et gazière en Afrique du Nord (NAPEC 2019, Oran, 10 au 13 mars 2019) avait servi à la promotion médiatique du gaz de schiste, lancée par un haut responsable de l’Agence nationale de valorisation des ressources en hydrocarbures (Al-Naft), qui avait indiqué que les résultats préliminaires de la première étude d’estimation du potentiel national d’hydrocarbures, en cours, montraient qu’« en terme de gaz non conventionnel, nous avons un volume de presque 9 fois Hassi R’mel et pour le pétrole de Roche-mer nous disposons d’un deuxième Hassi Messaoud ». « Ces résultats, avait-il précisé, repositionnent l’Algérie à la troisième place en terme de volume des ressources en gaz de schiste après les USA et la Chine ». En même temps (11 mars 2019), l’APS avait diffusé une dépêche, citant le rapport annuel de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), pour convaincre les Algériens que « grâce à leur industrie de schiste, les Etats-Unis vont devenir dès 2021 des exportateurs nets de pétrole, talonnant ainsi l’Arabie saoudite sur les marchés mondiaux ». Quelques mois avant, Sonatrach avait signé, le 29 octobre 2018, un accord avec les compagnies pétrolières BP (Royaume-Uni) et Equinor (Norvège), pour l’exploration et le développement des ressources non conventionnelles dans les bassins du Sud-Ouest algérien. Il était question, en cette fin 2018, d’aller vite dans l’exploitation du gaz de schiste, mais « dans un cadre réglementé, en considérant les paramètres sanitaires et environnementaux », avait tenu à souligner le ministre de l’Energie en poste à ce moment. Il avait, sans doute, en mémoire, l’échec de la mise en place, fin 2014, près d’In Salah, du premier forage d’exploration de gaz de schiste par Sonatrach, après l’opposition de la population locale. Le bruit avait couru, en mars 2015, à In Salah, que, dans le cadre du projet d’exploration du gaz de schiste sur le site du bassin de l’Ahnet, les opérations de fracturation hydraulique prévues par la compagnie américaine Haliburton avaient été différées. Ce même mois de mars 2015, le secrétaire d’Etat adjoint chargé des Affaires économiques et commerciales, Charles Rivkin, et sa collègue, Anne Petterson, secrétaire d’Etat adjoint aux Affaires du Proche-Orient, puis Marcus D. Jadott, secrétaire adjoint au Commerce pour l’Industrie et l’analyse, ont effectué des visites successives à Alger pour plaider en faveur du gaz de schiste et vanter l’expertise et la technologie dont disposaient les entreprises américaines dans ce domaine et qu’ils proposaient de mettre au service de l’exploitation du gaz de schiste en Algérie. A suivre…
Cet article a été publié dans La Nouvelle République (Alger) du dimanche 2 février 2020.