Un adhérent des JNE, épidémiologiste et spécialiste des mammifères, nous fait le point sur l’épidémie causée par le coronavirus 2019-nCoV.
par François Moutou
Certains se souviennent sans doute de l’épidémie de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), peut-être moins de celle de MERS (Middle East respiratory syndrome). Le SRAS, de fin 2002 à mi-2003, parti de Chine, a touché environ 9000 personnes, dont 800 ont malheureusement perdu la vie. Le MERS a débuté en 2012 en péninsule arabique et se poursuit toujours avec environ 2500 cas dont plus de 850 décès fin 2019 dont on parle peu. Ce virus n’a fait qu’une sortie hors de sa région d’origine vers la Corée du Sud où il a été ensuite maîtrisé.
Les premiers cas humains de SRAS sont liés au contact de bouchers ou de cuisiniers avec des civettes palmistes masquées dans des restaurants du sud de la Chine. Ni les éleveurs, ni les consommateurs n’ont été touchés. Ensuite le virus s’est rapidement adapté aux humains et l’essentiel des cas correspond à des transmissions intra-humaines. Quelques malades ont été des diffuseurs extraordinaires du virus avec un schéma épidémiologique très particulier. Un médecin chinois contaminé auprès de malades est venu du Guangdong se reposer dans un hôtel de Hong Kong. A lui seul, il explique l’arrivée du virus dans plusieurs pays. Les équipages de plusieurs compagnies d’aviation internationales y faisaient escale. Ces personnes se sont croisées dans le hall de l’hôtel, dans l’ascenseur, dans les escaliers…
Les premiers cas de MERS semblent liés à un virus présent chez les dromadaires qui est passé aux humains en 2012 et en Arabie sans que l’on sache pourquoi là et à ce moment. Il y a aussi des transmissions entre humains, mais ce virus semble moins « agressif » que le précédent. La notion de contact avec des dromadaires revient dans de nombreux cas.
D’un point de vue viral, il s’agit dans les deux cas de Betacoronavirus dont les ancêtres circulent chez diverses espèces de chiroptères. Cependant, les virus responsables du SRAS comme du MERS ne sont pas des virus de chauves-souris et n’ont pas été identifiés chez elles même s’ils en restent proches. Ils se sont adaptés à un mammifère terrestre dans un premier temps, puis aux humains dans un deuxième temps.
Le nouveau virus est appelé pour l’instant 2019-nCoV. Nommer un nouveau virus est toujours compliqué et prend en compte de nombreux paramètres. Certains noms sont difficiles à porter. A ce jour (30 janvier 2020), on ne sait pas encore quelle espèce a contaminé les premiers humains. Cela semble s’être produit dans la ville de Wuhan au centre de la Chine, dans ou autour d’un marché aux poissons mais qui ne vendait pas que des poissons, loin s’en faut. Ce type de marché accumule des dizaines d’espèces animales vivantes, domestiques et sauvages, dans des conditions de stress élevées. C’est idéal pour tester la sensibilité croisée de diverses espèces animales, et vers les humains, à leurs virus, bactéries et parasites respectifs. Ces conditions ne correspondent pas du tout aux environnements naturels de ces espèces, quelles qu’elles soient. Il est difficile de calculer la probabilité de réussite, mais cet évènement survient 17 ans après l’émergence du SRAS, ce n’est donc pas si fréquent.
Toutes les leçons de 2002-2003 n’ont peut-être pas été retenues. La Chine n’a interdit la vente d’animaux sauvages vivants que tout récemment (janvier 2020). Seule la vente des civettes était officiellement interdite depuis 2003. SRAS et 2019-nCov semblent liés à des marchés ou à des restaurants où des animaux sauvages sont vendus et dépecés, le MERS à l’élevage des dromadaires.
Aujourd’hui, le nouveau virus semble bien adapté à Homo sapiens et l’épidémie qui se développe actuellement ne paraît plus avoir besoin d’une source animale. Ce sont bien des humains qui circulent et prennent l’avion avec le virus « humanisé ». Les transports aériens déplacent entre 3 et 4 milliards de passagers par an à travers la planète. Même si certains prennent l’avion plusieurs fois par an, ce qui arrive maintenant n’a rien de surprenant.
L’incubation d’une maladie infectieuse correspond à la période de temps qui sépare le contact avec l’agent pathogène et le début des signes cliniques de la maladie. Dans le cas du nouveau virus, l’incubation pouvant durer quelques jours, peut-être une dizaine (la « quarantaine » est fixée à 15 jours par mesure de sécurité), elle permet à un nouveau contaminé de rester apparemment sain avant de changer de continent et de tomber malade ensuite. Les maladies infectieuses, les virus, bactéries, les parasites, n’ont pas tellement changé, c’est nous qui leur offrons la planète.
D’autres informations vont certainement combler peu à peu les interrogations encore en suspens. Dans le cas du SRAS, apparu fin 2002, probablement en novembre, l’animal source, la civette, a été découvert en juillet 2003. Dans le cas du nouveau, on ne sait pas si cela ira plus vite mais en fait, le risque est maintenant lié aux activités, déplacements, voyages des humains. L’enjeu est de couper la transmission du virus depuis les malades vers les personnes saines. Dans le cas du SRAS, les malades avaient des symptômes cliniques avant d’être contagieux alors que dans le cas de la grippe, c’est le contraire. Les futurs malades de grippe, en incubation et sans symptôme, sont déjà contagieux. Pour le nouveau, on ne sait pas encore. Si le schéma est celui du SRAS, les prévisions sont plus favorables que dans le schéma grippal. Il faut encore attendre.
A lire
– Des épidémies, des animaux et des hommes, François Moutou, Le Pommier, Paris, écrit et publié en 2018, où le SRAS est présenté avec les données disponibles.
– Le communiqué de la Société Française pour l’Etude et la Protection des Mammifères, dont François Moutou est l’un des responsables.
– L’opinion de Jean-François Silvain, président de la FRB : Ne tirez pas sur les chauves-souris !
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