Dans le massif vosgien, la gestion fragilise aussi la forêt.
par Jean-Claude Génot
Durant cet été, les médias ont beaucoup relayé l’inquiétude des forestiers face aux effets de la sécheresse actuelle. Mais on entend peu ou pas les défenseurs de la nature s’exprimer sur le sujet. Toujours le même refrain : le réchauffement climatique menace nos forêts, adaptons-les à ce nouveau climat. On souligne la sécheresse, on pointe le fait que les herbivores contrarient la régénération naturelle de la forêt (ce qui n’est pas faux dans de nombreux endroits du massif vosgien par exemple) mais pas un mot sur la gestion sylvicole, comme si la sylviculture était neutre dans cette histoire.
Car enfin, si les épicéas meurent massivement ,c’est bien parce que la nature sanctionne de façon magistrale les erreurs des sylviculteurs qui ont planté l’épicéa en dehors de son aire naturelle en peuplements mono spécifiques, plus fragiles face aux aléas climatiques et biologiques.
Depuis le Grenelle de l’environnement, les forestiers doivent produire plus de bois, ce qui les conduit à pratiquer des fortes éclaircies dans des peuplements qui sont restés longtemps assez denses.
Ces éclaircies menacent les essences qui ont besoin d’ombre comme le sapin et le hêtre et qui ne supportent pas une mise en lumière trop forte. L’idéal pour ces arbres est d’avoir la tête au soleil et les pieds à l’ombre, or ces éclaircies menacent l’ambiance forestière humide, surtout face à des fortes sécheresses.
De plus, les fortes éclaircies réduisent la décomposition de la litière et le recyclage des nutriments en diminuant la diversité des organismes détritivores du sol. Le réchauffement climatique fait peser un risque sur la forêt qui intéresse les industriels, mais ce risque sera d’autant plus important que les forêts seront plus artificielles, c’est-à-dire avec des essences exotiques, des forêts moins denses plus sensibles aux sécheresses, avec moins de bois mort donc moins d’humidité au sol et avec des sols tassés par des engins de travaux forestiers plus lourds.
Qui plus est, le rajeunissement des forêts lié aux prélèvements actuels, réduit les capacités de la forêt à être un puits de carbone efficace. En effet ,quand une forêt fabrique plus de bois qu’elle n’en perd, elle absorbe alors plus de gaz carbonique qu’elle n’en émet. Il vaut donc mieux laisser vieillir les forêts.
Planter pour mieux se planter !
La forêt écosystème, elle, en a vu d’autres. Elle est capable de s’adapter car la diversité génétique des arbres est élevée. Cela est dû à la recolonisation post glaciaire des différentes espèces européennes à partir de leurs refuges dont l’isolement a créé des différences génétiques importantes. Mais alors, pourquoi certains forestiers veulent-ils absolument introduire de nouvelles espèces ?
D’abord, la filière bois a poussé l’Etat à inscrire les plantations comme indispensables dans le Programme national forêt bois adopté en 2016 qui prévoit d’ « adapter les sylvicultures pour mieux répondre aux besoins des marchés ». Pourtant, la forêt sait se régénérer naturellement depuis des millénaires. Ensuite, les forestiers ont peur d’être accusés de laxisme, il faut agir et pour cela rien de mieux que des plantations, cela se voit et fait tourner la machine économique.
Mais comment peut-on être assez naïf pour croire qu’il suffirait d’introduire des essences exotiques résistantes aux sécheresses pour régler tous les problèmes de la forêt face au réchauffement climatique ? Alors que l’introduction d’espèces exotiques est considérée comme la troisième menace pour la biodiversité par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), les forestiers favorables à l’introduction de nouvelles espèces n’émettent aucune réserve sur ce risque potentiel.
Comment croire que des espèces exotiques qui n’ont jamais co-évolué avec la faune, la flore et les champignons locaux vont mieux s’adapter aux profondes modifications climatiques en cours et à venir que celles qui sont là depuis des millénaires ? Le choix des plantations relève d’une volonté de maîtrise de la nature et sur le plan économique, c’est un pari très risqué.
De plus, parmi les essences exotiques préconisées, gageons qu’il y aura des conifères à croissance rapide. C’est un mauvais choix sur le plan du bilan carbone car les résineux stockent moins de carbone que les feuillus pour un même volume de bois.
De plus, les résineux sont moins efficaces que les feuillus sur le plan de la lutte contre le changement climatique. En effet des chercheurs (1) ont montré que les plantations de résineux effectuées massivement en Europe à la place des forêts feuillues naturelles depuis le XVIIIe siècle n’ont pas permis de faire de la forêt européenne un puits de carbone, malgré le gain de surface couverte par des forêts, mais au contraire d’accumuler une dette de carbone.
Pourquoi ce paradoxe ? D’abord parce que l’exploitation de ces plantations de résineux sur des cycles relativement courts relâche le carbone accumulé dans la biomasse, le sol, le bois mort et l’humus. De plus, la conversion des feuillus en résineux modifie le pouvoir réfléchissant des arbres (pourtant plus bas chez les résineux que les feuillus), la rugosité de la canopée (la capacité à plus ou moins laisser passer la lumière) et l’évapotranspiration du sol, plus soumis à la lumière dans les plantations de résineux que dans les forêts de feuillus.
Tous ces paramètres sont plus négatifs en terme d’atténuation de chaleur pour les plantations de résineux que pour les forêts naturelles de feuillus, d’où une contribution au réchauffement plutôt qu’une atténuation !
On voit donc que remplacer des forêts feuillues âgées par des résineux exploités sur des cycles beaucoup plus courts renforce le réchauffement climatique. Les plantations sont subventionnées et si l’épicéa n’a plus la cote, le sapin de Douglas, originaire d’Amérique, vient le remplacer. Pourtant, cette espèce ne supporte pas, elle non plus, les fortes sécheresses. Cela le rend sensible aux attaques de champignons ainsi qu’à celles d’une mouche qui pond dans les aiguilles.
Que les arbres soient autochtones ou allochtones, stressés par une sécheresse ils deviennent beaucoup plus sensibles aux champignons ou aux insectes pathogènes, voire aux deux à la fois. Mais plus la forêt est artificielle en composition et en structure (on parle de futaie régulière où tous les arbres ont le même âge avec souvent une seule espèce), plus elle sera sensible et moins résiliente.
Le retour des coupes rases
L’exploitation des épicéas atteints par les scolytes donne lieu à des coupes rases qui offrent souvent un spectacle de désolation. Le sol est mis à nu et subit les fortes températures. Pourtant, en forêt publique alsacienne, les forestiers ne pratiquaient plus de coupe rase depuis une vingtaine d’années.
On peut légitimement se demander si les plantations, soumises aux futures canicules, vont se développer normalement sans subir de dégâts. En forêt publique en-dessous d’un hectare, les coupes rases ne devraient pas être reboisées, mais laissées à la dynamique naturelle avec du bois mort abandonné au sol et sur pied. Ces zones sont des refuges pour la faune.
Ailleurs, il faut éviter la coupe rase en laissant les autres essences présentes et des bouquets d’épicéas dépérissant car la forêt a besoin de bois mort et de l’ombre que peuvent encore fournir les arbres secs. Si le reboisement artificiel est inévitable, mieux vaut privilégier les essences locales en laissant venir également la régénération naturelle.
Vouloir adapter la forêt au climat relève de l’arrogance humaine et du refus d’accompagner ce changement dont nous sommes responsables ,alors qu’il faut plus que jamais travailler avec la nature et non contre elle. Plus on veut s’éloigner du mode de fonctionnement naturel d’une forêt et plus cela coûte cher en énergie manuelle, mécanique et chimique, donc en argent.
Il faut réduire les facteurs de vulnérabilité qui rendent les forêts encore plus sensibles au réchauffement climatique. Pour cela, il faut miser sur les essences autochtones, des forêts à structure irrégulière avec un mélange d’espèces et des âges différents, des rotations de coupes plus longues, des peuplements matures plus denses et du bois mort au sol. Il faut également développer des forêts en libre en évolution où l’adaptation se fera naturellement et dont nous aurons des leçons à tirer pour les forêts exploitées. Pour cela, il faut de l’humilité, s’adapter à la forêt et pas l’inverse, sinon notre vie sera insoutenable.
* Ecologue
(1) Naudts K., Chen Y., McGrath M.J., Ryder J., Valade A., Otto J. & Luyssaert S. 2016. Europe’s forest management did not mitigate climate warming. Science 351 : 597-600.