Le 7 mai 2019, le président de la République a fait une déclaration faisant suite à la publication d’un rapport d’experts de l’ONU réunis à Paris sur la situation plus que critique de la nature sur notre planète, avertissant qu’un million d’espèces animales et végétales pourrait disparaître dans les prochaines décennies et que la dégradation des écosystèmes allait se poursuivre si la croissance économique continuait d’être notre seul horizon.
par Jean-Claude Génot (1)
Dans cette déclaration sur les mesures en faveur de la biodiversité, jugée peu convaincantes par les ONG, celle concernant l’augmentation des aires protégées m’a interpellé : « La part des aires marines et terrestres protégées devrait passer à 30 % du territoire d’ici 2022 (contre 20 % actuellement tous statuts confondus (2) ) dont un tiers « protégées en pleine naturalité » ». En tant que co-fondateur de l’association Forêts Sauvages qui fait la promotion de la naturalité depuis une quinzaine d’années et édite une lettre intitulée Naturalité, j’ai voulu savoir comment ce mot est arrivé dans cette déclaration au plus haut sommet de l’Etat.
Ce mot peu usité dans l’entourage du chef d’Etat a été glissé par un haut fonctionnaire du ministère de la Nature, toujours contrarié par la pensée unique selon laquelle la nature n’existe que façonnée par l’homme. Cet amoureux de la nature sauvage tenait enfin sa revanche et aucun conseiller du président n’a osé rectifier ce passage, croyant sans doute qu’il venait du président lui-même. Après tout, même si l’expression est étrange (les spécialistes de la conservation de la nature diraient plutôt « protégées de façon intégrale »), elle paraît moins loufoque que s’il avait été question de « sauvagitude ».
Que s’est-il passé ? Lors d’un déplacement en Guyane, le président a rencontré un chamane qui l’a fortement impressionné et disons-le transformé. Jusqu’alors, la nature n’a jamais été sa tasse de thé, mais cette rencontre fut une révélation et l’a conduit à prendre un nombre de décisions incroyables en faveur de la nature, une nature décolonisée, la plus sauvage possible, la nature authentique.
Plus d’élevage ni d’exploitation forestière dans les aires centrales des parcs nationaux, devenant, enfin, des sanctuaires pour la faune sauvage. La réserve intégrale si difficile à obtenir du parc national feuillu de plaine est doublée de sa surface initiale et passe à 6 000 ha pour ressembler aux parcs nationaux allemands. Toujours pour harmoniser sa politique avec nos voisins, il décide de classer 10 % des forêts domaniales en réserve intégrale, se disant qu’il y a plus d’intérêt à miser sur les bienfaits des vieilles forêts en termes de santé psychique et physique, de créativité artistique, de pédagogie, de connaissances scientifiques et de retombées touristiques ; sans compter un bilan carbone bien plus positif que celui des forêts exploitées.
Pour protéger la nature des friches et des forêts spontanées si nombreuses en France, il crée le Conservatoire de la Libre Evolution ou CLE, le pendant continental du Conservatoire du littoral. L’objectif du CLE est de permettre à la nature de constituer par elle-même des forêts « vierges » pour nos arrières petits-enfants. Le CLE est doté d’un fonds alimenté par un prélèvement sur chaque billet de loterie nationale et il bénéficie d’un droit de préemption pour faciliter les acquisitions foncières. Evidemment, le CLE se met en rapport avec Forêts Sauvages qui a acquis une certaine expérience en matière d’acquisition de forêts spontanées et soutient financièrement les initiatives associatives d’acquisitions de milieux naturels pour les laisser en libre évolution comme les réserves de vie sauvage de l’ASPAS.
Enfin, après avoir lu Réensauvageons la France de Gilbert Cochet et Stéphane Durand, le président réunit son ministre de la nature et ses préfets et décide de doubler la population d’ours dans les Pyrénées par des lâchers supplémentaires, pour atteindre rapidement la centaine d’individus, et d’effectuer les premiers lâchers dans les Alpes, de doubler également la population de lynx, bien trop faible dans les Vosges et les Alpes, pour arriver à trois cents individus, et enfin renonce au plan de régulation du loup pour passer rapidement au-dessus des 500 individus, seuil politique de viabilité mais absolument pas scientifique, et obtenir une population de quelques milliers de loups, plus en rapport avec la réelle capacité d’accueil du pays, mais également en mettant des moyens sans précédents et innovants pour la défense des troupeaux.
Vous ne croyez pas un mot de ce que vous venez de lire, n’est-ce pas ? Et vous avez raison, je m’étais assoupi à la lecture de la dépêche de l’AFP faisant état de cette fameuse déclaration dans laquelle figure la « pleine naturalité » et j’ai fait un rêve. Pour l’instant, la réalité m’incite à dire que la France ne fait absolument pas ce qu’il faut pour freiner le recul de la vie sauvage (terme bien plus approprié selon le journal The Guardian que la biodiversité) et que ce gouvernement anti-nature préfère soutenir les lobbys agro-sylvo-cynégétiques.
(1) Ecologue
(2) Note de la rédaction de l’AFP