Au cours de la dernière décennie, s’est développée l’ingérence dans les médias publics et privés de messages « écologistes » de puissants groupes énergétiques, agrochimiques, pharmaceutiques et entreprises numériques, ainsi que de banques, manipulant l’opinion publique au service de leurs objectifs commerciaux et pour une « croissance verte ».
par Santiago Vilanova, Xavier Garcia et Pilar Sentís *
Une option légitime sur le marché libre des idées, à moins que cela ne cache des erreurs scientifiques sérieuses et que cela ne soit un écran de fumée pour dissimuler leurs activités polluantes.
Les agences de presse traditionnelles, même les plus reconnues par les journalistes, courent le risque d’être submergées par cette OPA quotidienne et constante d’information et de publicité, issue des services de communication de ces sociétés et de ces lobbies, qui, malgré une rigueur scientifique apparente, sont une simple propagande de leurs produits et stratégies d’expansion économique. De cette manière, il devient de plus en plus difficile pour le lecteur de distinguer entre information indépendante et publicité.
Dans la plupart des journaux télévisés et des rubriques économiques des journaux se développent les stratégies commerciales de ces lobbies, en particulier des secteurs de l’automobile, de la navigation, de l’aviation civile et de l’énergie, certaines ayant clairement pour but de blanchir l’impact de leurs activités et produits (« ecowashing »).
Les grands groupes dominent Internet et le marché numérique soumet ses objectifs commerciaux à des sociétés et entités de communication publiques et privées. Leurs investissements sont liés à un monopole spécifique du progrès scientifique et technologique et sont introduits sur le marché sans recul ni réflexion critique. Nous risquons de tomber entre les mains de nouveaux « capitalistes du savoir » qui utilisent la révolution cybernétique pour manipuler l’opinion publique. Les États autoritaires en profitent également pour faciliter le centralisme technocratique et le contrôle de la population.
Les garanties institutionnelles de la liberté d’expression et de la presse contenues dans nos Constitutions, pour lesquelles nous avons tant lutté en tant que journalistes attachés à la démocratie, sont violées tous les jours, ce qui est particulièrement grave en cette période de crise sociale, politique et écologique. La complexité interdisciplinaire pour analyser cette situation et sa gouvernance exigent un engagement urgent des médias et des journalistes libres.
L’information est un droit, pas une marchandise
Les effets libérateurs des débuts d’Internet ont été pervers et sont aujourd’hui minoritaires face à l’invasion de messages aliénants. Nous avons accepté ce grand Léviathan technologique sans aucun principe de précaution ; sans avoir une Déclaration Universelle des Droits Numériques ; sans code éthique qui nous protège de ces abus de pouvoir de ces lobbies et de ces « banquiers du savoir ». L´information, et particulièrement celle qui est liée au changement climatique, n’est pas une marchandise ; c’est un droit universel.
À la suite d’un pacte social, nous avons besoin d’un nouveau paradigme pour que la transition écologique et énergétique soit rapide, efficace et équitable. Logement, transport, tourisme, travail, famille, santé, environnement, sexe, politique ou information sont des concepts en constante transformation en raison de la rapidité avec laquelle la cyber-révolution se développe. Nous sommes déjà à l’ère du « monde heureux » et de « Big Brother », mais nous ne réagissons pas encore.
Les journalistes qui souhaitent exercer leur métier sans ces subordinations et recherchent la vérité alors que se produisent des écocides dus aux activités de ces entreprises industrielles et énergétiques, de plus en plus associés aux entreprises digitales, en subissent les conséquences. Au cours des 15 dernières années, 1035 journalistes ont été assassinés dans le monde (source : Reporters sans frontières). Cette année, 16 d’entre eux ont été tués et 170 ont été emprisonnés. Au Brésil, au cours de la dernière décennie, 300 environnementalistes ont été assassinés pour avoir défendu la forêt amazonienne contre les mafias de la forêt. La déforestation au Brésil a augmenté de 222 % en août 2019 par rapport à la même période en 2018. Selon les chiffres de la FAO, une surface de forêt équivalente à celle d’un stade de football est rasée toutes les 7 secondes en Amazonie.
La surveillance électronique, la violence et les actes d’intimidation contre les journalistes sont déjà très préoccupants et devraient motiver nos dirigeants et les institutions internationales.
Par conséquent, nous demandons une mobilisation de la profession journalistique et un engagement renouvelé pour recouvrer les valeurs et les droits d’une information libre et véridique ; libre de la publicité des lobbies et qui favorise le débat démocratique entre les secteurs scientifiques responsables et la société civile mobilisée.
Le journalisme du XXIe siècle appelle à une éthique écologique au service du contrôle démocratique des ressources naturelles communes qui appartiennent à la fois aux peuples dits développés et à ceux qui vivent dans une pauvreté injuste à cause de dirigeants corrompus et autoritaires. Objectif commun : défendre la liberté d’information pendant l´émergence climatique et surveiller sa juste gouvernance..
L’Europe dispose d’une structure informative et d’un réseau numérique alternatif solide pour mener à bien cet engagement. La maison commune, qui est la Terre nourricière, brûle et les journalistes doivent remplir leur rôle de solidarité avec tous les mouvements tels que Covering Climate Now, Friday for Future ou Extinction Rebellion qui tentent de briser la stagnation et l’inefficacité de nos gouvernements.
* Représentants du Col·lectiu de Periodistes Ecologistes de Catalunya/Covering Climate Now. Barcelona, 1er octobre 2019.