Le brusque retour de manivelle, déclenché en Algérie par les manifestations populaires, chaque vendredi, depuis le 22 février, a levé le voile sur les pratiques de dilapidation des ressources du pays et sur la corruption qui les accompagne, sous le couvert d’encouragement à l’investissement privé, révélant en même temps la mise en veilleuse des dispositions du droit algérien de l’environnement, considérées comme obstacle.
par M’hamed Rebah
L’administration et la justice libérées, les informations tombent en avalanche, confirmant la non-application de la loi sur l’environnement pour laisser la voie libre aux prédateurs-hommes d’affaires, qui cherchaient des opportunités d’enrichissement rapide sans tenir compte des conditions élémentaires de protection de l’environnement et en contradiction avec les exigences du développement durable, un concept juste bon pour garnir des textes, agrémenter des discours et, finalement, «faire semblant».
Ainsi, champion des campagnes de sensibilisation sur la gestion des déchets et toujours empressé de lancer des opérations pilotes de tri sélectif, le ministère chargé de l’Environnement a, par contre, régulièrement brillé par son laxisme jusqu’à la défection, quand il s’agit d’empêcher les activités économiques qui portent atteinte au milieu naturel et à la santé des populations riveraines. Certains hommes d’affaires et les officiels qui les appuient, ont cru que les Algériens étaient «moins regardants» sur la question écologique. Ils ont persisté dans cette idée, alors que les habitants d’In Salah leur ont prouvé le contraire, de façon magistrale, en 2014-2015, en disant non à l’exploration et à l’exploitation du gaz de schiste, près de chez eux, à cause de l’impact sur l’environnement et sur les ressources en eau. Le monde entier l’a su.
On se rappelle de la visite officielle, de rang ministériel, effectuée à In Salah à la fin 2014 par le ministre de l’Energie, Youcef Yousfi, accompagné du ministre des Ressources en eau, Hocine Necib, et de la ministre de l’Environnement, Dalila Boudjemaa, et de journalistes chargés de couvrir l’événement. Ils étaient venus constater le «succès» des premiers forages de puits de gaz de schiste en Algérie, à Dar Lahmar, à 28 km d’In Salah, puis tous avaient repris l’avion pour Alger, sans un regard vers la population riveraine du site, qui connaîtra par les médias les détails de la visite et de la déclaration «triomphale» du ministre de l’Energie. Interprétée comme une marque de mépris, cette «maladresse» avait contribué à mobiliser la population et à radicaliser sa position à l’égard de l’opération d’exploration du gaz de schiste menée dans son voisinage. Quelques mois avant, en juillet 2104, des voix officielles avaient tenté de rassurer, par le mensonge, en affirmant que les zones d’exploitation de gaz de schiste en Algérie sont situées loin des régions peuplées. Mais, comme l’avait révélé, en janvier 2015, une chaîne de télévision algérienne privée, l’étude d’impact du projet d’exploitation du gaz de schiste n’existait pas. Selon la loi algérienne, aucune activité réputée polluante et dangereuse ne peut commencer si ce document n’a pas été signé par l’autorité compétente en la matière, c’est-à-dire le ministre en charge de l’Environnement. C’est une obligation légale incontournable. En février 2015, le gouvernement avait reçu l’appui du Secrétaire adjoint américain au Commerce pour l’Industrie et l’Analyse, Marcus D. Jadotte, arrivé à Alger, pour plaider en faveur de l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste en Algérie et proposer l’expertise et la technologie des entreprises américaines dans ce domaine. En réalité, et cela les observateurs l’avaient compris, l’aide qu’il proposait à l’Algérie, devait profiter aux sociétés américaines Schlumberger, Baker Hughes et Halliburton, c’est-à-dire les acteurs de la fracturation hydraulique pour l’extraction du gaz de schiste, et par extension à toute l’industrie américaine du gaz de schiste. Il nous resterait la pollution. Des experts algériens qui n’ont pas échangé leur patriotisme contre de menus avantages, ont dénoncé cette supercherie et ont rappelé que la meilleure voie qui nous préserve de la dépendance de l’étranger, était celle du développement national assis sur un marché intérieur. Au début de l’automne 2017, le discours officiel alarmiste sur les finances du pays et le prétexte de la recherche urgente de nouvelles sources pour le budget de l’Etat, ajoutés aux pronostics pessimistes sur l’épuisement des ressources d’hydrocarbures fossiles, ont servi de justificatifs pour annoncer la relance du projet d’exploitation du gaz de schiste. En février 2019, l’irruption du hirak a donné un coup d’arrêt à cette démarche en même temps qu’il a remis en cause les opérations de bradage des ressources naturelles déjà engagées.
Cet article a été publié dans La Nouvelle République (Alger) du samedi 29 juin 2019.