Les Neiges Catalanes, ce sont sept stations de ski alpin dans le Parc naturel régional (PNR) des Pyrénées catalanes. Entre Andorre et Méditerranée, la question brûlante de leur avenir a été soulevée le 17 mai 2019 au Chalet du Ticou de Bolquère (Pyrénées-Orientales) lors d’une conférence-débat sur le changement climatique en zone de montagne organisée par les JNE et le PNR dans le cadre du Congrès des 50 ans de notre association.
Par Michel Sourrouille
Tous les intervenants – la directrice du parc, le représentant de son comité scientifique, une chercheuse au CNRS… (voir la liste complète des participants en bas de cet article) – ont été unanimes : à l’horizon 2050, il y aura en moyenne 3 à 4 ° C en plus dans la région. Tous ont aussi noté les difficultés de penser l’adaptation à ce choc thermique, d’autant plus que les stations de ski locales pratiquent déjà la « neige cultivée ». Les chutes de neige sont aléatoires d’une année sur l’autre et la saison dure à peu près un mois seulement. La question de l’emploi présent et à venir inquiète donc tous les élus. Le parc naturel régional compte 66 communes où vivent quelque 21 000 habitants, le potentiel agricole est limité dans ce territoire où l’on trouve des sommets de près de 3000 m, tandis que l’industrie est absente. Les familles et les municipalités ne trouvent leur équilibre financier que dans la saison d’hiver avec l’arrivée des skieurs. Un million d’euros investis dans un remonte-pente produit des revenus en cascade et des emplois induits.
Mais quand il ne fera plus assez froid pour faire fonctionner les canons à neige, n’aura-t-on pas gaspillé en pure perte l’argent public ? Tel est le dilemme. Les intervenants parlent de catastrophe, de multiplication des friches touristiques. Déjà une station de ski au moins a mis la clé sous la porte dans la région : le Puigmal. L’hyper-spécialisation dans la neige est une impasse à laquelle on ne voit pas d’issue. Ce ne sont pas les bourdons qui vivent en nombre et en multiplicité d’espèces dans la réserve naturelle de la vallée d’Eyne qui vont produire un nouveau tourisme de masse. Comme l’exprime brutalement un des locaux, « sans la neige, il n’y a plus rien ». On ne peut pas revenir d’un coup de baguette magique à la situation d’autrefois, une région qui vivait quasi en autarcie. Alors la question se pose dorénavant au niveau national, réfléchir à une improbable adaptation ou agir vraiment pour que les émissions de gaz à effet de serre soient drastiquement réduites.
Un rapport rédigé par les sénateurs Ronan Dantec et Jean-Yves Roux sur l’adaptation de notre pays aux dérèglements climatiques au mitan du siècle a été publié le 16 mai dernier. Il nous annonce d’ici à 2050 une France à + 2 ° C par rapport à l’ère préindustrielle, avec un climat méditerranéen sur la moitié de l’Hexagone. Il conclut en substance que la France n’est pas préparée au choc. Après un premier Plan national d’adaptation au changement climatique en 2011 suivi de nul effet, on en envisage un deuxième pour la période 2018-2022, avec 3,5 milliards d’euros voués entre autres à l’accompagnement des territoires les plus vulnérables face au changement climatique (dont le tourisme associé aux sports d’hiver). Mais ces deux textes sont non normatifs, ils appartiennent à la catégorie de la langue de bois, une caractéristique de notre monde politique, qui dit et redit que demain tout ira mieux ! Entre les deux stratégies, « éviter l’ingérable » et « gérer l’inévitable », les sénateurs penchent pour l’idée de privilégier l’adaptation : « Nous nous adapterons, car c’est le propre de l’humanité de s’adapter ». Mais on vient de voir que cette méthode est inapplicable dans certains territoires. N’oublions pas qu’il ne s’agit pas seulement de nos montagnes où l’enneigement continue de diminuer, mais aussi de zones littorales, grignotées par l’érosion et menacées de submersion. Sans parler des effets en chaîne du réchauffement climatique sur l’ensemble de la planète.
Le climatologue Hervé Le Treut, qui dirige le comité scientifique du projet AcclimaTerra en Nouvelle Aquitaine, est bien plus incisif que nos sénateurs. Il pointe le risque qu’en disant qu’il fallait s’adapter, les gens comprennent qu’on peut s’adapter à tout et ne fassent rien pour lutter contre le réchauffement. De fait, il s’agit d’abord de s’attaquer aux causes du changement climatique et non de causer sans fin sur l’adaptation aux conséquences. Mais faute d’une politique (internationale) d’interdiction programmée des combustibles fossiles, on assistera sans doute aux environs de 2050 à l’afflux de réfugiés climatiques qui viendront de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur même de notre pays… entre autres de nos stations de ski.
Pour en savoir plus, vous pouvez lire l’article « Une histoire environnementale des sports d’hiver » de Steve Hagimont et Vincent Vlès (l’un des intervenants de notre conférence-débat) publié sur le site de la revue L’Histoire.
Voici la liste des participants de cette conférence-débat :
● Séverine Casasayas, directrice du Parc naturel régional des Pyrénées catalanes
● Nathalie Fromin, chercheuse au Centre d’Écologie Fonctionnelle et Évolutive du CNRS d’Odeillo.
● Olivier Salvador, Fédération des Réserves Naturelles Catalanes
● Vincent Vles, Président du Comité Scientifique du Parc naturel régional des Pyrénées catalanes.
● Christophe Andreux, chargé de la mise en œuvre du projet transfrontalier d’adaptation au changement climatique « ECTAdapt » et de la création d’outils et d’actions pédagogiques à l’attention du public jeune (7-15 ans).
Le débat était animé par Olivier Nouaillas, vice-président des JNE et auteur des livres Quel climat pour demain ? avec Jean Jouzel, et Le changement climatique pour les Nuls.
Merci aux équipes du Chalet du Ticou et du PNR des Pyrénées Catalanes pour leur accueil et leur aide à l’organisation de cette conférence-débat.