Ça y est. Le passage de relais de la pensée de Pierre Fournier (mort en 1973 à 35 ans) vers une autre classe d’âge se confirme.
par Jane Hervé
La réunion du samedi 27 avril 2019 à la librairie La Terrasse de Gutenberg autour de l’ouvrage de Diane Veyrat (avec Danielle Fournier, épouse de Pierre), avec la présence de nombre d’anciens de l’épopée écolo le confirme. Son Face à l’avenir (Editions Les cahiers dessinés) restitue l’itinéraire de Fournier (NDLR : qui était membre de l’AJEPN, devenue aujourd’hui JNE) en l’inscrivant définitivement dans l’histoire de l’écologie (comme René Dumont en 1974).
Fournier, visionnaire écolo soixante-huitard, diffuse encore sa colère sans complaisance un demi-siècle plus tard. Une vraie présence. « Tu pigeras dans 20 ans », clamait-il dans l’une de ses énergiques chroniques. Cinquante ans après, on commence à piger ! Lui qui avait inventé la « révolution écologique » en un temps où il fallait convaincre, avait créé La Gueule Ouverte dès 1972. Cette revue subversive aux chroniques revigorantes, échappée belle d’Hara-Kiri/Charlie Hebdo, luttait déjà en vrac contre la pollution, les vaccinations obligatoires, les radios médicales systématiques et surtout le nucléaire (dans la foulée du rassemblement de juillet 1971 contre la centrale de Bugey, organisé par Fournier). Sur la terre déjà affligée, les océans étaient déjà pollués de déchets radioactifs, l’alimentation des enfants déjà défaillante.
Autrement dit, les prémices du drame planétaire actuel étaient détectés et listés : une terre qui disparaît sous les assauts conjugués et forcenés du libéralisme, de l’industrialisation et du consumérisme tous azimuts. Une accusation lancée détails à l’appui. Au dessin ethnographique (?) de chaque objet de la maison étiqueté par le nombre de mensualités à payer, il faudrait juste ajouter une panoplie d’objets comme le smartphone, la cafetière électrique à dosettes, etc. Lui, dont la moindre de ses colères aurait dû susciter une réflexion sur les paradoxes exacerbés du capitalisme (ainsi à l’heure où la drogue est farouchement interdite, les drogues chimiques sont disponibles dans les pharmacies…).
Dès 1969, Fournier prône « l’harmonie entre l’homme et la nature » (explorée par un autre Pierre, Peter Wohlleben, auteur de La vie secrète des arbres), alors que certains croyaient pouvoir révolutionner le monde par le biais du politique. Aujourd’hui, chacun comprend que pour bavasser politique, il faut être en bonne santé physique et mentale (sans pesticides, herbicides, fongicides, perturbateurs endocriniens, produits cancérigènes, etc.). Ce n’est pas en soins palliatifs qu’on lancera une ligne de produits bio ! En fustigeant « les mœurs de l’époque », Fournier revendique en vrac « l’amour de la terre, des racines de la vie, de la nourriture, des vieilles maisons, l’accord avec le sol et les saisons », tout ce qui peut éviter de « rendre la terre inhabitable, etc. N’avait-il pas la simplicité (et l’audace ?) de venir aux confs de rédaction de Charlie, cabas en main avec poireaux et salades à l’appui ? Façon de dire, mes poireaux valent bien nos idées et nos stylos ????
En outre, les annexes de l’ouvrage clair, concis et bien documenté de Diane Veyrat rappellent que Fournier va au plus loin du plus loin de cette période. En pestant contre la « technologie acéphale et monstrueusement foisonnante », il dénonce un monde « investi par la laideur, une laideur radicale » (lettre à Elise Freinet). Une esthétique en son commencement. La publication simultanée d’un ouvrage graphique de Fournier, Bon Dieu ! Ça fait plaisir de respirer un peu l’air du pays, donne du poids à cette suggestion. Ne sommes-nous pas totalement dans un cul-de-sac d’horreurs! Nous pouvons peut-être nous en extirper. L’œil du dessinateur aurait pu explorer de nouveaux horizons visuels. Bref, ses ressources graphiques méconnues poussent à le croire.
La relance de la néo-Gueule ouverte coordonnée par Patrick Laroche (voir ici l’article de Laurent Samuel sur le site des JNE), ouvre et poursuit de nouveaux chantiers. Un Fournier aurait dénoncé aujourd’hui les banquises fondantes (comme des Haribo !), la mer montante (comme le thermomètre), la pollution accrue (pis, une pollution qui s’auto-pollue de plus en plus), les centrales nucléaires explosant sous les assauts des intempéries (Fukushima), les antennes réseau qui ponctuent l’espace comme un nouveau repère de kilométrage, les ondes (wifi, etc.) qui envahissent la planète et qu’on invite désormais à domicile avec un nouveau compteur, où…..
Fournier aurait sûrement persisté dans l’idée de décroissance rêvée à la Giono, ancré par la volonté d’un retour mesuré vers une nature sans montagnes/plages/terres agricoles bétonnés à outrance, sans bases de loisirs agglutinées au bord des rivières, sans autoroutes ou TGV entaillant et tranchant les paysages, sans sillons posthumes des avions à réaction dans le ciel, sans banlieuisation névrotique des villes et villages, sans …. Qui sait ? Et nous, survivrons-nous à nos déchets ? Ne sommes-nous pas en train de devenir des déchets d’humains ?