Les manifestations populaires qui se déroulent quasi-quotidiennement depuis le 22 février, particulièrement à Alger, ont permis de révéler l’existence d’un groupe assez important d’amis des animaux.
par M’hamed Rebah
Ce groupe est constitué de vétérinaires et d’étudiants, majoritairement des jeunes filles, qui ont tenu à faire entendre leurs voix, samedi 30 mars, en occupant durant la matinée les escaliers de la Grande Poste, comme l’ont fait avant eux les architectes ou les Patriotes (qui ont participé à la lutte anti-terroriste pendant la décennie 1990) pour ne citer que ces deux catégories socioprofessionnelles.
Les «amis des animaux» qui ont vite attiré du monde par leurs slogans contre «galoufa» (nom donné par les Algérois à la fourrière canine) ont été regardés avec surprise et curiosité au départ, puis leur sit-in a été commenté avec la même formule d’agacement – «ce n’est pas le moment de présenter cette revendication »– que celle qui a été utilisée, la veille, vendredi 29 mars, par les « nouveaux censeurs », contre des militantes féministes qui ont cru profiter de la liberté de manifester pour exprimer sur leurs banderoles et par leurs slogans, leur exigence de respect des droits des femmes.
Les amis des animaux ont eu plus de chances que les militantes féministes qui ont été agressées physiquement Place Audin et ont vu leurs banderoles arrachées. Evidemment, l’enjeu n’est pas le même dans les deux cas. Les quelques dizaines de militants pour la cause animale ont réussi à gagner la sympathie de la petite foule qui s’est amassée en face d’eux et qui a pris sur les smartphones des photos et des vidéos destinées à être partagées pour recueillir les commentaires d’internautes et susciter des débats sur la Toile autour des questions posées par ce regroupement, insolite dans le cadre de manifestations populaires de contestation politique du « système ». Qu’est-ce que cela vient faire dans le mouvement populaire anti-système? L’explication n’est pas évidente, mais on peut penser que les amis des animaux souhaitent que le futur « nouveau système » reconnaisse les groupes sociaux qui apparaissent comme minoritaires ou qu’on qualifie de marginaux, par rapport à une « norme » dominante.
L’illustration comprend des phrases en arabe, en voici la traduction : sous « non à l’électrocution » (en français), « que me reproche-t-on ? » (à côté, la photo du chien); ensuite « contre galoufa » et la dernière phrase, « qui t’a donné le droit de me tuer ? »
Par contre, quand on pose la question du lien avec l’écologie et la protection de l’environnement, la réponse est rapidement donnée par une étudiante qui se dit à la fois amie des animaux et écologiste : les cadavres des animaux abattus, chiens et chats errants, sont jetés avec les déchets ménagers dans les centres d’enfouissement technique (CET) dont on sait qu’ils peuvent être assimilés dans beaucoup de localités, aux anciennes décharges avec une gestion à peine «améliorée» pour leur fonctionnement.
Les « amis des animaux » ont saisi l’opportunité offerte par le mouvement populaire pour se faire connaître dans l’opinion publique et ils ont réussi. Ce n’est pas leur première action, mais ils n’ont jamais eu une pareille audience. En juillet 2017, ils avaient organisé un rassemblement devant le siège d’un organisme, HURBAL (Hygiène urbaine d’Alger), qui gère les « galoufa », pour dénoncer les campagnes d’abattage menées par des agents de la fourrière d’El Harrach (banlieue d’Alger), mais cette action était passée inaperçue. Leur protestation vise en particulier les méthodes d’abattage, notamment l’électrocution qui est pourtant interdite par la loi, car elle entraîne, expliquent-ils, une mort lente et douloureuse pour l’animal. Après les « amis des animaux », verra-t-on sur les escaliers de la Grande Poste, un jour, des jeunes qui manifestent pour le climat comme il y en a de plus en plus régulièrement dans les capitales européennes et qui mobilisent autant de monde que les marches antisystème d’Alger ?
Cet article a été publié dans La Nouvelle République (Alger) du 1er avril 2019.