En Algérie, on peut manifester les vendredis et d’autres jours de la semaine, presque sans discontinuer, pour des motifs politiques et sociaux, et ne pas oublier d’aller reboiser à l’occasion de la Journée de l’arbre.
par M’hamed Rebah
C’est ce qu’ont fait, jeudi 21 mars, des écologistes endurcis, accompagnés de forestiers, à Ghardaïa, et, le même jour, à l’initiative de la Radio algérienne, à Bentalha (une banlieue d’Alger où les habitants avaient subi une attaque terroriste particulièrement meurtrière en septembre 1997). Les Algériens qui sont sortis le 21 mars un peu partout dans le pays pour planter des arbres, ont été, évidemment, de très loin, moins nombreux que les manifestants du lendemain, vendredi 22 mars. Pour trouver une mobilisation exceptionnelle pour le reboisement, il faut remonter au dimanche 21 avril 1963 quand toute la population d’Alger était sortie pour planter des arbres sur les pentes de l’Arbatache, une petite colline à la périphérie de la capitale, et protéger de l’envasement le barrage du Hamiz, situé en aval.
C’est René Dumont, un agronome français, ami de notre pays, pacifiste et anticolonialiste, signataire en septembre 1960 du Manifeste des 121 (Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie, signé par des intellectuels, universitaires et artistes), qui a été à l’origine de cette action écologique d’une ampleur encore jamais égalée chez nous. Arrivé à Alger fin décembre 1962, il fit une tournée d’une quinzaine de jours à l’intérieur du pays, au terme de laquelle, il suggéra au président Ahmed Ben Bella, l’idée du reboisement pour la protection des sols, contre l’érosion, et des barrages, contre l’envasement. René Dumont a ainsi contribué à enraciner le reboisement parmi les traditions des écologistes algériens.
En 2019, cette tradition est conservée, mais c’est la protection de l’environnement qui demeure, globalement, une préoccupation négligeable. Il y a la tentation de sacrifier l’écologie sur l’autel du « climat des affaires » pour faire plaisir aux institutions financières internationales. Elles nous « gratifieront » en retour d’une bonne note qui ne compensera jamais le préjudice irréversible causé à la belle nature algérienne.
Certains « experts » pensent que le salut de l’économie algérienne réside dans la suppression des autorisations pour laisser les « investisseurs » – dans l’industrie, l’agriculture et les services – engranger des profits sans retenue et au détriment de l’environnement. Faire l’impasse sur la protection de l’environnement, sous la pression exercée par les milieux d’affaires et les institutions financières internationales, sous prétexte qu’il faut libérer l’acte d’investir, ne devrait pas être toléré.
Le ministère chargé de l’Environnement a été progressivement dévitalisé et réduit aux actions de sensibilisation et de communication focalisées sur la gestion des déchets ménagers, et ponctuées d’opérations-pilotes qui consistent à répéter indéfiniment les expériences de tri des ordures, parfois dans la même ville, sans jamais commencer réellement à le faire. Les actions de nettoyage des lieux après les manifestations populaires des vendredis dans les grandes villes algériennes sont un magnifique geste éco-citoyen, mais ce civisme ne se répète pas les autres jours de la semaine, d’où la présence continue de tas de déchets quasiment à tous les coins de rue.
Le cadre de vie urbain est également agressé par le bruit lié à la circulation automobile (klaxons abusifs, coups de sifflets, postes radios à fond…) et par celui provoqué par les activités dites de loisirs (concerts bruyants de musique et hauts parleurs posés sur le trottoir), organisées par les autorités locales sur la voie publique et au milieu d’habitations, qui se prolongent tard le soir, dans un vrai tapage nocturne, au mépris de la tranquillité des riverains. Ces activités sont en violation d’un décret datant de 1993 et surtout de la loi sur l’environnement de juillet 2003, qui impose une étude d’impact pour les activités bruyantes sur la voie publique. Les nuisances sonores sont régulièrement évoquées et dénoncées par la presse algérienne qui se fait l’écho du mécontentement qu’elles provoquent dans la population. Mais du côté des autorités, à quelques exceptions près, aucun écho aux plaintes.
Les comportements anti écologiques chez les « décideurs », à quelque niveau qu’ils se trouvent, et chez le citoyen, sont appelés à disparaître inéluctablement, grâce aux changements qui commencent en réponse aux attentes exprimées dans les manifestations populaires de ces dernières semaines. En urgence, il faut bannir la mentalité du « tout équipement » qui était facilité par l’aisance financière et encouragé par la paresse et l’incompétence incompatibles avec la démarche de prévention, exigeante en capacités d’organisation et en ressources humaines qualifiées. La prévention et l’effort déployé en amont, n’ont que des effets positifs, par exemple : l’économie d’énergie, l’économie de l’eau, la réduction des déchets à la source, une meilleure préparation pour faire face aux risques naturels et technologiques et donc moins de dégâts. La politique de prévention permet d’éviter de faire des dépenses publiques inutiles, dans des projets qui sont toujours accompagnés de surcoûts douteux.
Cet article a été publié le lundi 25 mars 2019 par La Nouvelle République (Alger).