Lors d’une promenade en forêt domaniale située en bordure de la commune alsacienne où il habite, un membre des JNE a eu la surprise de trouver à l’entrée d’un sentier une petite affiche informant les usagers d’une coupe d’arbres.
par Jean-Claude Génot *
La manière dont l’information était libellée m’a interpellé. En grand caractère était écrit « Ici l’ONF entretient la forêt !». Entretenir signifie maintenir en bon état. Est-ce que couper des arbres maintient le bon état de la forêt ? S’il s’agit du bon état économique, couper des arbres rapporte à son propriétaire, mais encore faut-il ne pas trop en couper pour que le revenu soit régulier et qu’il s’agisse d’arbres de qualité vendus pour le bois d’œuvre. En tous les cas couper des arbres, notamment des gros, ne maintient pas la forêt en bon état écologique.
J’entends souvent des forestiers essayer de plaider leur cause ou justifier leur métier en disant que la gestion (mot qui a remplacé l’exploitation mais qui vient de l’entreprise et signifie contrôle et maîtrise) forestière améliore la biodiversité. Ainsi l’interprofession France Bois Forêt, sur son site internet ,nous dit que « la forêt doit être gérée pour garantir le maintien de la biodiversité ». Or il n’en est rien ! La sylviculture diminue la biodiversité comme l’ont montré les chercheurs de l’IRSTEA (à l’époque le CEMAGREF), dans une publication de synthèse (1) de 51 articles scientifiques collectés dans toute l’Europe. Leur article montre clairement que la plus forte biodiversité forestière se trouve concentrée dans les stades âgés et sénescents (insectes, lichens, champignons, mousses), ceux-là mêmes qui sont visés en premier par toute exploitation forestière. Qui plus est, les bois morts et les vieux arbres de grande taille au sol servent de tanière aux grands prédateurs (ours, loup et lynx).
Est-ce que ce qui se cache derrière l’entretien de la forêt ne traduirait pas plutôt le message suivant : sans « entretien », la forêt n’est pas en bon état (l’argument est d’ailleurs asséné avec un point d’exclamation). Cela signifie qu’il ne faut pas laisser les forêts sans « entretien », exit les réserves intégrales et autres forêts en libre évolution. Il y a des gros arbres qui à tout moment peuvent vous balancer une branche sur la tête et du bois mort au sol : dangereux et pas clean comme disait François Terrasson. Cette « haine » des forêts non exploitées est assez récurrente chez certains forestiers. Ainsi dans Le Monde du 3 novembre 2018, la directrice d’AgroParisTech Nancy (l’école qui forme les ingénieurs forestiers, notons au passage que la première année d’étude dans cette école est commune avec les agronomes, de là à dire qu’on veut former des forestiers pour qu’ils « gèrent » les forêts comme des champs d’arbres…) évoquait les forêts non exploitées dans le contexte des changements climatiques de la façon suivante : « Mais des forêts non gérées coûtent cher : les coups de vent entraînent la chute d’arbres qui coupent les routes, les coups de chaud favorisent les incendies. Ces perturbations favorisent à leur tour les invasions d’insectes, la dégradation des sols, et autres problèmes pour les écosystèmes et notre bien-être. Imaginer que les forêts laissées en libre évolution résisteraient mieux est un mythe ».
Nous verrons très bientôt, qui des forêts naturelles ou des plantations d’arbres mono spécifiques des Landes ou du Limousin, seront les mieux adaptées aux futures tempêtes et attaques d’insectes. De qui se moque-t-on ? Ces sottises sur les forêts naturelles rappellent l’article de Bourgenot (paru en 1973 dans Rev. For . Fr. XXV : 339-360 et intitulé Forêt vierge et forêt cultivée) avec les passages suivants : « devenue pour lui inhospitalière », « l’homme civilisé du 20e siècle serait parfaitement mal à l’aise, pour user d’un euphémisme, dans une forêt qui ne serait pas elle-même civilisée » ou encore « la forêt vierge n’est ni utile ni agréable à l’homme ». Force est de constater que les préjugés anti nature sont plus durables que la gestion forestière actuelle…
Mais revenons à notre affiche. L’ONF fait couper des arbres en forêt, mais il semblerait que le terme soit devenu tabou puisqu’il est question de « récolte de bois ». Jadis, les gens allaient ramasser, glaner ou récolter du bois en forêt, mais il ne s’agit plus de cela aujourd’hui. Le mot récolte est utilisé en agriculture et cette analogie avec la sylviculture n’est pas très heureuse en termes de communication. Pourquoi ne pas reconnaître tout simplement que l’on coupe des arbres en forêt parce que la société a besoin de bois ? Il s’agit sans doute de la nouvelle stratégie de communication issue du rapport (2) du ministère de l’Agriculture dont l’objectif est « de prévenir les risques de protestation du public contre l’exploitation des forêts, en cherchant à provoquer une prise de conscience de la nécessité de couper des arbres pour entretenir les forêts et récolter du bois. »
La communication consisterait à dire aux usagers qu’on coupe du bois pour les besoins de notre société (encore que c’est plus pour répondre aux intérêts de certaines industries) et la pédagogie permettrait de faire comprendre comment les forestiers s’y prennent pour sélectionner les arbres à couper. La propagande, elle, conduit à dire aux usagers qu’on coupe des arbres pour « entretenir » les forêts (voir plus haut ce que signifie entretenir). Plutôt que de remettre en cause la politique du produire plus qui mène à un rajeunissement des forêts, une montée en puissance de la plantation de résineux et une mécanisation avec des engins toujours plus lourds auxquels la forêt doit s’adapter, on préfère « communiquer» pour faire passer la pilule au grand public qui fréquente la forêt. Ce rapport expose sans aucun complexe la manière dont il faut que l’Etat s’y prenne pour faire adopter par la population le fait d’exploiter plus la forêt française car c’est bien de cela qu’il s’agit, derrière le doux euphémisme d’une économie « décarbonée ». Quel paradoxe que celui d’une société qui, pour éviter d’avoir recours à des énergies fossiles émettant des gaz à effet de serre, est prête à couper plus ses forêts qui sont d’excellents puits de carbone à condition de les laisser vieillir…
Une campagne de communication de l’interprofession France Bois Forêt a montré l’image d’un bûcheron muni de sa tronçonneuse au pied d’un grand et bel arbre avec le slogan suivant : « Mon métier, c’est aussi aider la forêt à respirer ». La métaphore est ridicule car les hêtraies multi-séculaires des Carpates de l’Est classées au patrimoine mondial de l’UNESCO avec près de 1 000 m3 de bois à l’hectare respirent et se régénèrent parfaitement bien sans aucune tronçonneuse. Avec des slogans aussi ridicules, qui veut-on abuser ?
Dans l’argumentaire du ministère de l’Agriculture pour ses opérateurs tels que l’ONF, on trouve des perles de la propagande sylvestre telles que :
« Les surfaces de forêts françaises ont doublé depuis un siècle, le stock de bois est trop important par rapport à la production biologique de la forêt, alors que la France est importatrice ».
Cette rengaine sur le doublement des surfaces de forêts françaises est irritante quand elle n’est pas accompagnée d’une précision de taille : à savoir qu’il s’agit de jeunes forêts et souvent de plantations de résineux sur des terres agricoles que l’on serait bien naïf de nommer des forêts alors qu’il s’agit de champs d’arbres. Cela est confirmé par le fait que le volume moyen de bois à l’hectare en France est un des plus faibles d’Europe (moyenne nationale de 131 m3/ha ; source Inventaire forestier N°27, 2e trimestre 2011). De ce fait, affirmer que le stock de bois est trop important par rapport à la production biologique est un non-sens tant ces forêts sont jeunes et que seuls les vieux arbres produisant nettement plus de bois que les jeunes sont susceptibles de produire un important stock de bois.
« La gestion des forêts françaises est durable, l’exploitation des forêts est une condition de leur santé et de leur fonction de pompe à carbone ». Evidemment, on pourrait débattre des jours sur le terme durable. Tout dépend de la conception de la forêt que l’on a, entre la version minimale des uns pour qui couper à blanc et planter des résineux est durable et la vision plus ambitieuse des autres pour qui seule une gestion irrégulière à couvert permanent avec du bois mort et des vieux arbres vivants mérite d’être qualifiée de durable. Ne revenons pas sur le fait que l’exploitation d’une forêt n’améliore en rien sa santé écologique, mais réduit sa biodiversité comme l’ont montré les chercheurs de l’IRSTEA, c’est-à-dire sa productivité biologique, donc sa santé économique à long terme.
Quant à la métaphore de la « pompe à carbone » pour les forêts jeunes, elle passe sous silence le fait qu’une forêt jeune capte 4 fois moins de carbone dans le sol qu’une forêt mûre, que l’exploitation d’une jeune forêt dépense plus d’énergie fossile que pour une forêt âgée, que le rapport déchets/bois est plus élevé pour une forêt jeune que pour une forêt âgée et enfin que la biodiversité d’une jeune forêt est bien moindre que celle d’une forêt âgée. Qui plus est, cette affirmation passe sous silence le devenir du carbone fixé (source : Philippe Lebreton).
« La gestion forestière contribue à la lutte contre le changement climatique ». La gestion forestière influence le cycle du carbone en forêt, donc elle agit sur le changement climatique, notamment dans sa capacité à stocker le carbone dans le sol. Mais cette affirmation n’est en rien une évidence si on ne précise pas de quelle gestion il s’agit. Ainsi des chercheurs (3) ont montré que les plantations de résineux effectuées massivement en Europe à la place des forêts feuillues naturelles depuis le XVIIIe siècle n’ont pas permis de faire de la forêt européenne un puits de carbone malgré le gain de surface couverte par des forêts mais au contraire d’accumuler une dette de carbone. Pourquoi ce paradoxe ? D’abord parce que l’exploitation de ces plantations de résineux sur des cycles relativement courts relâche le carbone accumulé dans la biomasse, le sol, le bois mort et l’humus. De plus, la conversion des feuillus en résineux modifie l’albedo ou pouvoir réfléchissant des arbres, pourtant plus bas chez les résineux que les feuillus, la rugosité de la canopée (la capacité à plus ou moins laisser passer la lumière) et l’évapotranspiration du sol, plus soumis à la lumière dans les plantations de résineux que dans les forêts de feuillus. Tous ces paramètres sont plus négatifs en termes d’atténuation de chaleur pour les plantations de résineux que pour les forêts naturelles de feuillus, d’où une contribution au réchauffement plutôt qu’une atténuation ! On voit donc que remplacer des forêts feuillues âgées par des résineux exploités sur des cycles beaucoup plus courts renforce le réchauffement climatique.
Le seul argument liant positivement l’exploitation forestière et le changement climatique est celui de l’usage du bois, matériau renouvelable, à la place des énergies fossiles qui génèrent des gaz à effet de serre. Encore faut-il ne pas trop exploiter et rajeunir les forêts ou remplacer les feuillus par des résineux comme il est dit précédemment au risque de baisser leur capacité à stocker le carbone et ne pas utiliser le bois pour le brûler ou en faire des produits à courte durée de vie comme les palettes. Là encore, tout le cycle du produit doit être envisagé avant d’affirmer que la gestion forestière permet de lutter contre le changement climatique.
« La certification forestière PEFC confirme l’engagement des forestiers dans une gestion durable de qualité de la forêt ». Même si les normes de certification PEFC ont été renforcées (4), sur le plan écologique elles ne sont pas à la hauteur des enjeux avec des coupes rases de deux hectares autorisées en zones de forte pente, avec la conservation d’un arbre mort ou un arbre âgé à l’hectare ou encore la non-utilisation de pesticides à moins de six mètres des cours d’eau. Il ne peut y avoir de gestion forestière durable avec l’usage de pesticides ou le recours aux coupes rases qui sont des pratiques économiquement et écologiquement non soutenables. Quant à l’unique arbre à conserver par hectare, c’est justement l’arbre « label » qui cache la forêt pas forcément bien gérée si par exemple on ne prend pas en compte le bois mort, élément essentiel du fonctionnement biologique des forêts. Exploiter des champs d’arbres ne demande aucune précaution, exploiter un écosystème nécessite une éthique spécifique de la forêt.
Alors que tout le monde se focalise (fort justement) sur les « infox », on oublie un peu vite les arguments tronqués ou les contre-vérités scientifiques distillées par des établissements publics ou des lobbys de l’industrie du bois pour servir la politique du produire plus. N’oublions pas que toute cette politique de mobilisation du bois en France est fondée sur une surestimation de 20 % de la production biologique des forêts françaises par l’Inventaire Forestier National (IFN), sans qu’à aucun moment après la reconnaissance de cette erreur par l’IFN, les objectifs de cette exploitation aient été revus à la baisse.
Ce qui se joue aujourd’hui n’est pas seulement une question d’approche de la forêt : forêt production de bois pour les uns et forêt multi-usages pour les autres. C’est la conception même des arbres vus comme un gisement de matière première que des ingénieurs ont imaginé d’exploiter par une industrie extractive pour produire toujours plus d’énergie (5). Suprême forme de la propagande, on ose nommer cela la transition écologique alors qu’il s’agit d’empiler toutes les formes d’énergie possible. Fini l’arbre source d’émotion, d’émerveillement et d’imaginaire, dont le bûcheron peut prendre la mesure de la puissance. Désormais, les arbres sont fauchés comme les blés par des abatteuses, posés tels quels en tas sans laisser au sol l’indispensable matière organique apportée par les petites branches, prêts à être déchiquetés par une autre machine pour nos sociétés avides de toujours plus d’énergie.
* Ecologue
1 Paillet Y. et Bergès L. 2010. Naturalité des forêts et biodiversité : une comparaison par méta-analyse de la richesse spécifique des forêts exploitées et des forêts non exploitées en Europe. In Vallauri D., André J., Génot J-C., De Palma J-P. et Eynard-Machet R. 2010. Biodiversité, naturalité, humanité. Pour inspirer la gestion des forêts. Pp 41-49.
2 Bardon E et Dereix C. 2017. Plan de communication pour le secteur de la forêt et du bois. Rapport n°17050. Ministère de l’agriculture et de l’alimentation. 27 p.
3 Naudts K., Chen Y., McGrath M.J., Ryder J., Valade A., Otto J. & Luyssaert S. 2016. Europe’s forest management did not mitigate climate warming. Science 351 : 597-600.
4 Boughriet R. 2012. Gestion durable des forêts : les normes de certification PEFC durcies. http://www.actu-environnement.com/ae/news/PEFC-label-FSC-schema-national-certification-foret-bois-reglement-europe-tracabilite-14770.php4
5 Vidalou J-B. 2017. Etre forêts. Habiter des territoires en lutte. Zones. 196 p.