Une adhérente des JNE réagit avec humeur et humour face aux obstacles multiples qui se dressent sur le chemin des piétons en ville.
par Jane Hervé
Non, j’ai encore deux jambes et deux pieds. Ouf ! Je suis un piéton-piétonne. « Pied », sans doute, mais quel « ton » donner désormais à mes marches en ville ? « Pied », sans doute, mais je « tonne » de rage de plus en plus fort lors de mes errances en ville.
Oui, j’aime baguenauder à droite à gauche, façon de sentir le monde dans l’état de délicieux anonymat du piéton, flairer les passants, la lumière sur la rue, capter un regard, une attitude ou une scène vivante de notre cher théâtre humain. Ce nomadisme de bon aloi m’apportait dans les années 1990-2000 un certain plaisir à l’âme et aux mollets.
Valise or not valise à roulettes… Or, je découvre l’art de traîner sa valise à roulettes, laquelle remplace aujourd’hui le balluchon de nos ancêtres bretons et tzigane. Qu’est-ce qu’il y a dedans ? Mystère. Des choses et des choses. Qu’importe. Chacun traîne derrière lui cette foutue valise comme un toutou sur le quai de métros, des gares (surtout, c’est un vrai essaim de valoches) et dans les rues, oubliant que d’autres piétons occupent le même espace public, devant, derrière, à droite à gauche. L’autre jour, j’ai vu un type qui a fait un bond Jean-Claude Vandamme au-dessus de la valise à roues qui fonçait en direction de son bas de pantalon. Il s’est retrouvé de l’autre côté de la valise avec une souplesse exquise. « Tu l’as échappé belle », clamais-je éblouie. Le sportif n’a même pas engueulé le porteur de valises, lequel n’était pas Francis Jeanson, mais plutôt un judoka démocrate. L’autre jour, une valise à roulettes tirée par un autre gars pressé, a voltigé dans les pattes d’une copine, lui brisant le fémur en plein carrefour. Le traîneur de Pigalle s’esquiva, sans même s’être aperçu du choc. Heureusement, les passants ont porté secours à la blessée, mais n’ont pas hurlé pour que le responsable observe les méfaits de sa maudite valoche.
Les trottinettes. . .Quelle merveille de retrouver ses rêves d’enfants, de folâtrer dans le léger petit vent causé par le déplacement. Parfois, une famille entière trottine à la suite – papa-maman-fiston – sur la voie des bus dans un grand bonheur familial. Parfois un couple circule sur le même engin, bien collé dos-ventre. Par sens de l’économie ? Placés l’un derrière l’autre.… Leur amour victorieux, prouvé devant tous, brave les passants, en évitant parfois de les éviter. Aie. Mais que deviennent ensuite ces foutues trottinettes (hormis qu’elles engendrent chutes, fractures de ceci ou de cela) ? Leurs usagers les abandonnent ça et là au hasard du trottoir, au terme de leur emprunt. Arrivés à destination, eux ! Ce qui fait que le papi, lequel regarde la rue à sa hauteur coutumière, se prend les pattes dans la plaque sombre au ras du sol. Appui du pied discret, toujours couleur de bitume of course. De là à se faire une entorse, c’est idéal. Les opérateurs les déposent par triades, çà et là. Les pubs vantent ces sympathiques engins comme « éco-responsables ». Responsables de quoi ? De négligences ? Sans compter que les usagers des huit opérateurs Trotti-trotta les laissent parfois à l’entrée de votre immeuble, vous barricadant à la Trump dans votre domicile. Un coup de pied (-ton) vengeur est votre seule issue. Mais attention, la ferraille résistante est plus dure que la toile de vos « runnings ».
Les vélos alors. L’espoir va venir de là, peut-être ? Les vélos slaloment avec gaieté devant les bus, à leurs risques et périls (par exemple perdre un bras en virant ou rater un tournant invisible). Pas besoin d’avoir des effets spéciaux style cinoche pour frémir à leur vue. Oui, mais quand la piétonne rassurée s’apprête à traverser la rue « au vert » parce qu’elle en a le droit, voici qu’un vélo lui passe sous le nez. Vroum. Ni vu, ni connu. Affaire courante, comme on dit à l’hôtel de police. Tant et si bien que quand si un vélo s’arrête au feu rouge pour nous laisser marcher et donc traverser, la piétonne prend le temps de le féliciter : « Bravo, merci. Vous respectez la circulation. Vous ». Oui, mais l’autre jour, un vélo excité me passe sous le nez au feu rouge du XVe arrondissement. Je gesticule pour éviter le guidon et m’excite : « Non. Non. Vous n’avez pas le droit. C’est un passage piéton ». Le cycliste, déjà à trois mètres, se retourne et hurle sur le vif : « Vous êtes de la police ? ». Son sens aigu de la répartie me glace, mais comme le cycliste se prenait pour Lance Armstrong, il était déjà très loin.
Bon alors le piéton-piétonne – moi – cherche alors à progresser sur le bitume, entre le caniveau et les terrasses de café et les commerces (cf dans les néo-gares). Tables et chaises sur trottoir permettent au consommateur de humer le café, tout en étant environné par une délicieuse odeur de gaz d’échappement. « Anne, Airparif, à mon secours ! Urgent ». L’an passé, un café plein d’attention et attentif à la rentabilité avait même installé quatre chaises longues sur le trottoir. Certes, on était en été ! Mieux vaut regarder ailleurs ou s’asseoir et demander une paille et un apéro. Dans les petits jardinets, certains sont placés en face d’un bistrot. Ils ont l’avantage de faire double usage. Ce sont de gigantesques cendriers à ciel ouvert, où les fumeurs du zinc balancent leur mégot en sortant. C’est d’ailleurs aussi le cas d’un incroyable jardin à mégots voisin, où de vagues buissons poussent avec des engrais à la nicotine.
Ah, me direz-vous, arrête d’anecdoter – peut-être de radoter –, d’être aigri.e. C’est la vie moderne. C’est toi et moi. C’est. Mais comment ne pas considérer que ces multiples incivilités s’inscrivent dans notre liberté de citoyen. Comment gérer les droits de la trottinette et ceux de nos mollets ? Simultanément ? Successivement ? L’art d’abuser s’inscrit en effet dans les délices de la liberté. Quel principe kantien permettrait de marier le conducteur de bus et la piétonne, le trottinette-man et la passant, le… Quelle maxime peut structurer un vécu collectif où chacun passe son temps à déborder à travers ses actions ? Quel logiciel ? Moins de passants (eugénisme), moins de trottinettes (entrave au commerce), moins de…Non, s’il vous plaît, pas moins de piétons. Le piéton est l’avenir de votre dos fatigué et de votre souplesse éreintée. D’ailleurs si vous avez mal aux pieds, la multiplication des cabinets de massage dans certains quartiers peut éventuellement assouplir votre voûte plantaire. Entre autres !