Comme c’est le cas pour beaucoup de précurseurs, le travail de Dominique Allan Michaud, décédé le 1er janvier 2019, n’aura pas été considéré à sa pleine valeur de son vivant.
par Laurent Samuel
Chercheur en sociologie politique dans des UMR (unités mixtes de recherche) du CNRS (Université de Paris X puis Ecole Normale Supérieure), Président-fondateur du Réseau Mémoire de l’Environnement (RME), Dominique Allan Michaud était né en 1948 à Limoges, dans la Haute-Vienne. C’est dans sa ville natale, où il était allé rendre visite à sa mère pour les fêtes de fin d’année, qu’il a été terrassé par un infarctus. Mort un quart d’heure après être arrivé aux urgences, il a été enterré le 5 janvier à Limoges.
Dès le milieu des années 1970, Dominique Allan Michaud est le tout premier chercheur en sciences politiques à se pencher sur le mouvement écologiste naissant et son engagement sur le terrain électoral. Sa démarche se fonde à la fois sur l’étude des textes issus du mouvement et sur des entretiens avec ses acteurs. C’est ainsi que l’auteur de ces lignes, alors journaliste à La Gueule Ouverte et militant aux Amis de la Terre, le rencontre pour la première fois en 1975. Avec une passion qui se marie avec la rigueur scientifique, Dominique Allan Michaud débusque sans relâche les raccourcis, réécritures et approximations qui foisonnent dans les ouvrages et articles consacrés à l’écologisme. Dominique Allan-Michaud est ainsi l’un des rares à établir contre une certaine vulgate du Parti Vert, que René Dumont (premier candidat écologiste à une élection présidentielle en 1974), n’est nullement le « père » de l’écologie politique en France, et que celle-ci a été impulsée dès la fin des années 60 par des personnalités comme le journaliste et dessinateur Pierre Fournier (collaborateur de Charlie Hebdo, fondateur de La Gueule Ouverte et membre de l’AJEPN, aujourd’hui JNE) et le mathématicien Alexandre Grothendieck, fondateur du mouvement Survivre.
Sur la lancée de ses recherches, ce passionné de l’histoire de l’écologisme impulse en 2001 – au sein de l’Association pour la création de la Fondation René Dumont – le Projet Mémoire de l’Environnement. Celui-ci débouche en 2003 sur un Manifeste pour une culture de l’environnement (lire ici), puis sur la création du Réseau Mémoire de l’Environnement (RME). Le RME inclut aujourd’hui vingt-trois centres de documentation et d’archives, réunissant plus d’un million de documents sur l’environnement.
Au-delà de ce travail de coordination, de recherche des sources documentaires et d’archivage, Dominique Allan Michaud tient à ce que ce Réseau remplisse une mission de recherche, d’information et d’éducation sur l’environnement et son histoire. « Le RME s’efforce, modestement et de façon non exhaustive, d’aider à décrypter les représentations fautives, de résister aux simplifications exagérées comme aux croyances abusives. Une tâche difficile tant la société du spectacle avec sa « guerre d’ego » domine plus que jamais. Pour cette tâche, il donnera le plus possible la parole à différents acteurs, à des chercheurs, journalistes, militants de diverses spécialités, sensibilités ou obédiences », souligne-t-il dans le texte de présentation du Réseau.
Dans cette perspective, Dominique réalise plusieurs entretiens vidéos avec des personnalités de l’écologie, dont les JNE Jean Carlier (décédé en 2011) et Philippe Saint-Marc, ainsi que Charlotte Paquet-Dumont (décédée en 2013) ou Gisèle Chaleyat (décédée en 2018), qui sont mis en ligne sur le site du RME ou de l’AgroParisTech.
Membre du bureau de la Fondation René Dumont, donateur du Musée du Vivant, longtemps pilier du Felipe (Festival du livre et de la presse d’écologie), Dominique Allan Michaud prend en 2009 la présidence du Collectif Coopérations, Natures et Sociétés (CNS), pour lequel il organise – en partenariat avec le RME et d’autres associations – des projections-débats sur des thèmes relatifs à l’écologie à Brétigny (Essonne) et dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Ce passionné de cinéma fait ainsi découvrir à un nouveau public des classiques comme Soleil Vert, mais propose aussi des documentaires sur l’agriculture en ville ou la manifestation antinucléaire de Bugey du 10 juillet 1971, avec des interviews rarissimes de Fournier et Grothendieck.
Homme d’écrit et d’image, d’une rare rigueur intellectuelle (ce qui lui a valu d’être boudé, voire boycotté par quelques « bons esprits »), Dominique Allan Michaud était une personnalité attachante et chaleureuse, qui avait le don de transformer chaque AGO (Assemblée générale ordinaire) du RME en une soirée conviviale magnifiée par une ou deux bonnes bouteilles de vin (bio comme il se doit). Pour l’auteur de ces lignes (secrétaire général du RME), l’annonce si inattendue de son décès a endeuillé ce début d’année, qui est celle du 50e anniversaire des JNE. A nous maintenant d’honorer sa mémoire en faisant connaître celle de l’écologie.
Les JNE adressent leurs condoléances à la famille et aux proches de Dominique Allan Michaud.
Les travaux de Dominique Allan-Michaud sont synthétisés dans un ouvrage de référence (hélas trop peu lu et cité) : L’Avenir de la société alternative : Les idées 1968-1990…, paru en 1990 aux Editions de l’Harmattan et réédité sous forme d’e-book en 2010.