Le débat national est-il crédible, quand dans le même temps des représentants de l’Etat (tels les préfets) n’hésitent pas à faire radier les commissaires-enquêteurs qui donnent toute la place à la démocratie participative lors des enquêtes publiques ? L’exemple du cas tout récent de Gabriel Ullmann (membre des JNE), après plus de 20 ans d’exercice de commissaire-enquêteur, est démonstratif.
Chaque année, on compte entre 6 000 et 8000 enquêtes publiques, soit en moyenne presque deux enquêtes par semaine et par département. Les enquêtes, qui visent de gros projets de proximité, constituent un facteur essentiel de la démocratie locale. D’ailleurs, les commissaires-enquêteurs chargés de les conduire (désignés de façon indépendante par les Tribunaux administratifs) ont notamment pour tâche et devoir de « conduire l’enquête de manière à permettre au public de disposer d’une information complète sur le projet, plan ou programme, et de participer effectivement au processus de décision » (L. 123-13 du code de l’environnement).
Or, en fait l’administration n’accepte pas que le commissaire-enquêteur exerce pleinement cette fonction car cela remettrait trop en cause ses déficiences d’instruction des dossiers soumis à enquête et pourrait être une entrave à la réalisation des projets, quels que soient leur qualité et leurs impacts.
Ainsi, dans le cadre d’un très gros projet de ZAC (Zone d’aménagement concerté) industrielle de 250 ha dans le nord-Isère, dont de nombreuses activités Seveso, à proximité immédiate de riverains, en partie en zone inondable et dans des zones naturelles patrimoniales (pelouses sèches en bord de Rhône), Gabriel Ullmann a présidé la commission d’enquête (projet Inspira) du 30 avril au 13 juin 2018. Les conclusions défavorables unanimes de la commission ont été rendues le 27 juillet (lire ici).
Dès le début de l’enquête, le 6 mai, le président du département Jean-Pierre Barbier demandait son éviction de la commission. Le président du TA (Tribunal administratif) de Grenoble lui répondait par la négative de façon circonstanciée le 16 mai. Le préfet prenait alors aussitôt le relais, en faisant constituer un dossier en radiation le concernant dès le 1er juin.
La commission d’aptitude des commissaires-enquêteurs, quasi entièrement au main du préfet, décide de sa radiation le 6 décembre. L’atteinte commise à l’indépendance des commissaires-enquêteurs, mais aussi aux Tribunaux administratifs, qu’on bafoue ainsi, paraît gravissime. De même que l’atteinte à la liberté d’expression (radiation pour de simples articles sur la régression du droit de l’environnement parus dans la revue en ligne Actu-Environnement.com).
De surcroît, et c’est tout aussi grave, les conflits d’intérêts dans ce dossier sont majeurs au sein de la commission de radiation. Ainsi, outre le préfet qui dispose de 4 sièges sur 9 (juge, partie et procureur), la commission de radiation, saisie par le préfet, comprend notamment M. Christian Coigné qui est :
a) PDG d’Isère-Aménagement, maître d’ouvrage d’Inspira, filiale d’ELEGIA dont le PDG est M. Barbier (qui avait demandé l’éviction de Gabriel Ullmann de la commission d’enquête)
b) Vice-Président du département 38, dont le président est le même Barbier
c) Président du CAUE 38, dont… un salarié siège aussi à la commission de radiation. De plus, les revenus du CAUE dépendent de la part départementale de la taxe d’aménagement votée chaque année par le département
d) Vice-Président de l’association des maires de l’Isère…dont un des membres (maire) est aussi membre de la commission de radiation.
Mais c’est cette même commission qui exige chaque année des Commissaires enquêteurs de justifier l’absence de conflits d’intérêts, etc.
La boucle est bouclée quand le 18 novembre, Isère Aménagement fait un recours contre les vacations de Gabriel Ullmann en tant que président de l’enquête concernant son projet… suivi de peu par la décision de la commission de radiation qui considère alors, le 6 décembre, que Gabriel Ullmann doit être radié parce que notamment, vu ses investigations pour la complète information du public, cela se traduirait par un coût trop élevé pour les maîtres d’ouvrage. Et cela, alors même que le dossier de saisine du préfet ne comporte aucun grief à ce sujet et que le code de l’environnement impose : « La commission doit, au préalable, informer l’intéressé des griefs qui lui sont faits et le mettre à même de présenter ses observations » (R.123-41 du code de l’environnement).
Il nous semble donc essentiel que de tels faits, surtout dans le contexte actuel, soient connus.