Roger Cans est décédé le 27 novembre 2018. Nous l’avions rencontré en 2015 pour faunesauvage.fr
par Jean-Baptiste Dumond
Quelques étapes de votre parcours de vie ?
Je viens d’avoir 70 ans. Depuis mes culottes courtes, je suis amoureux de la nature. J’habite alors à la campagne (Maule, 78), dans un grand jardin où coule la Mauldre et où ma mère élève poules, canards, lapins et même une chèvre pour le lait. Mon père, ingénieur agronome, rapporte de l’orge pour la basse-cour et fait la chasse aux rats. En classe de sixième, je découvre les sciences naturelles, une des rares disciplines scolaires qui me passionne, ainsi que le dessin. Avec les louveteaux, je pratique la pêche en mare. Dans un petit aquarium, j’élève tritons, épinoches, que dévorent un dytique et une sangsue !
Des maîtres à penser ?
Mon premier maître, c’est Jules Verne, que je dévore à 14/15 ans. En même temps, je participe à des sorties naturalistes que conduit un ancien chef éclaireur, qui se trouve être un collègue de mon père. Un mycologue très pointu. Avec mes jumelles et mes petits atlas Payot, illustrés par Robert Hainard, je fais de l’ornithologie de terrain entre Versailles et Chevreuse. J’apprécie beaucoup les séances de Connaissance du monde (Chasse à l’ours en Yougoslavie, Chasse à la baleine aux Açores, etc.).
Pourquoi l’animal sauvage ?
Bien qu’initié très tôt à l’animal domestique, je préfère la faune sauvage. L’été, durant les vacances en Mayenne, je participe à la moisson. Je capture campagnols et mulots réfugiés sous les gerbes en meule, et parfois une couleuvre. J’observe les poules d’eau et les rats musqués à la queue de l’étang. Je pêche ablettes, perches et gardons. Un été en Corse, j’observe une belette qui vient visiter régulièrement notre trou à ordures.
Si vous en étiez un ?
Si je devais choisir une réincarnation en animal sauvage, je choisirais le fou de Bassan. Il vole merveilleusement, nage à la surface de la mer et y plonge jusqu’à plusieurs mètres pour attraper son poisson. Voler, nager, plonger, c’est tout ce que j’aime avec la marche et le vélo.
Quelques belles rencontres à relater ?
Ma première rencontre, décisive, fut un squelette de lapin trouvé dans une haie mayennaise. J’entrepris de le monter à la seccotine, mais la colle de poisson ne tient pas à l’humidité. Je n’ai donc conservé que le crâne. Depuis ce jour, je garde les crânes, qui résument à eux seuls tout l’animal. Un été aux Sables d’Olonne, j’ai découvert un cadavre de tortue luth, exposé sous une tente, formolisé. Mon plus gros animal sauvage à portée de main. Très impressionné.
Des lieux préférés ?
Je n’ai pas de lieu préféré, car j’aime découvrir de nouveaux sites. J’ai inventorié les forêts d’Ile de France quand j’étais jeune. Adulte, j’ai exploré les fonds marins de Méditerranée en allant chaque été en Grèce, où j’ai retrouvé la tortue caouanne en train de pondre sur l’île de Zakynthos. J’ai aussi été passionné par la rencontre des « big five » en Afrique du sud, à deux reprises. Sans oublier les hippopotames et un oryctérope. En Guyane, où j’ai pu aller à plusieurs reprises, j’ai vu les tortues luth pondre sur la plage des Hattes et les ibis rouges dans les marais.
Et un lieu mythique où aller ?
J’ai un trou dans mes visites à travers le monde : les îles Galapagos, pour côtoyer les iguanes marins, les phoques et les tortues terrestres géantes. Mais c’est un site trop couvert par le cinéma, la télévision et la presse. Mon vrai rêve serait de traquer le rhinocéros à dos d’éléphant au Népal ou en Inde. Un animal pour moi mythique, découvert par le dessin de Dürer et la dépouille présentée au Muséum. Avant qu’il ne soit trop tard…
Quelle œuvre illustre le mieux votre parcours ?
L’œuvre qui illustre mon parcours est le livre Nature(s) Morte(s), édité par Grandvaux en 2014. On y trouve un grand choix de mes dessins et peintures, réalisés depuis 1959. D’abord des oiseaux, puis des mammifères, reptiles ou batraciens, et enfin des champignons. Un hymne involontaire à la biodiversité.
Quel matériel utilisez-vous dans votre activité ?
Mon matériel est des plus simples : un crayon, une gomme et du papier. En passant à la couleur, j’ai utilisé les boîtes à godets qu’utilisent tous les enfants, avec divers pinceaux, plus des tubes de noir et blanc. Comme je ne peins que des cadavres, je les fais chez moi, sur mon bureau, en lumière artificielle, dans un grenier aveugle. L’éclairage est donc constant. Je peins sur papier blanc, l’animal seul, sans fond. Je peins aussi sur papier noir, notamment les champignons.
Et quelle technique de rencontre avec le sauvage ?
Pour les animaux vivants, j’observe à l’affût ou en marche. Avec mes jumelles toutes neuves, j’ai découvert le grimpereau, jamais vu auparavant à l’œil nu. Puis j’ai observé un couple de mésanges à longue queue en train de construire son nid sur le tronc d’un chêne enveloppé de lierre. Un bon observatoire : une mare en forêt. On y voit les oiseaux venir s’y désaltérer ou y prendre des bains.
Un conseil à un débutant ?
Au débutant, je conseille les jumelles et un petit carnet à spirale pour noter les coches. Je préfère la marche, mais le vélo permet de couvrir plus de terrain et de mettre pied à terre pour ramasser une trouvaille ou contempler un spectacle. Pour ceux qui aiment dessiner, le carnet accueille aussi les croquis. On peut faire des observations à plusieurs, mais le mieux est d’être seul, pour ne pas effaroucher.
Un animal disparu revient, lequel ?
Même un être fantastique. Le pic noir, jamais vu dans ma jeunesse, est maintenant présent. La grande aigrette aussi. La tourterelle turque est tellement abondante que l’épervier s’y attaque imprudemment. Je n’ai pas assez d’imagination pour rêver d’un animal fantastique.
Une initiative envers la faune sauvage ?
Plutôt que de nourrir les oiseaux l’hiver, pour le plaisir de les voir, je préfère aménager le jardin avec des refuges pour les hérissons ou les tritons, que je ne vois pas. Je plante des arbres et laisse le lierre y monter, pour offrir des reposoirs et des abris à la petite faune. Je participe au ramassage des batraciens qui sortent de la forêt pour se reproduire dans le marais.
Une ou des associations qui vous tiennent à cœur ?
Je soutiens les actions de la LPO, de l’ASPAS, des CPN et de mon CPIE de La Flèche. Il a obtenu l’installation (à grands frais) de onze crapauducs sous une route de Cré-sur-le-Loir (72). Il procède à des comptages très précis de batraciens et de chauves-souris, malgré l’indifférence – voire la méfiance – de la population locale.
Quelle urgence pour la vie sauvage ?
L’urgence, pour le respect de la vie sauvage, c’est la mise en réserve d’espaces privilégiés. On ne protège les espèces que si on protège leur territoire. Une priorité : la préservation ou la replantation des haies. Et la conservation des mares.
Vous disparaissez demain, quel message laissez-vous ?
Je souhaiterais que les Français élèvent moins de chiens et de chats de compagnie, qui n’ont plus de rôle utile. Surtout les chats, qui sont de redoutables prédateurs de la petite faune, alors même qu’ils ont des croquettes à volonté. Sans parler des oiseaux en cage, alors que leur vocation est de voler librement.
Cet article a été publié sur le site Faune Sauvage (cliquez ici pour en lire la version intégrale).