En 2001, l’Assemblée Générale des Nations Unies adoptait une résolution proclamant le 6 novembre ‘Journée internationale pour la prévention de l’exploitation de l’environnement en temps de guerre et de conflit armé’. Un bon timing pour présenter ce Manifeste, qui est paru jour pour jour 40 ans après l’entrée en vigueur de la Convention ENMOD.
Nous, organisations de la société civile, mouvements populaires, peuples autochtones, organisations paysannes, chercheurs et chercheuses, intellectuels, écrivains, écrivaines, travailleurs, travailleuses, artistes et autres citoyens concernés du monde entier, nous nous opposons à la géo-ingénierie en ce qu’elle est une proposition dangereuse, absolument inutile et injuste pour lutter contre le changement climatique.
Le terme ‘géo-ingénierie’ fait référence aux interventions technologiques destinées à atténuer certains symptômes du changement climatique en agissant à grande échelle sur les océans, les sols et l’atmosphère de la planète Terre. La géo-ingénierie perpétue les fausses croyances selon lesquelles le modèle industriel actuel de production et de consommation, injuste et dévastateur tant écologiquement que socialement, ne peut être transformé et que nous avons par conséquent besoin de solutions technologiques pour maîtriser ses effets. En réalité, les changements et transformations dont nous avons vraiment besoin pour affronter la crise climatique sont surtout d’ordre économique, politique et social.
Notre Terre-Mère est notre maison commune et son intégrité ne doit en aucun cas être violée par les expérimentations de la géo-ingénierie ou par la mise en œuvre de cette dernière.
Nous nous engageons à protéger la Terre Mère et à défendre nos droits, nos territoires et nos peuples contre toute tentative de mainmise sur le thermostat de la planète ou sur les cycles naturels vitaux des fonctions et écosystèmes de la planète.
Les écosystèmes sains, la diversité culturelle et biologique sont essentiels au bien-être de tous les peuples, de toutes les sociétés et de toutes les économies. La géo-ingénierie — qu’elle vise la terre, les océans ou encore l’atmosphère — menace, de par ses effets secondaires et impacts dévastateurs, les écosystèmes, la biodiversité et les communautés humaines.
Nous rejetons toute nouvelle stratégie des économies basées sur les carburants fossiles et rejetons également la géo-ingénierie en tant que tentative visant d’une part à maintenir un statu quo que l’on sait irrecevable et d’autre part à détourner l’attention des réductions d’émissions de gaz à effet de serre et des vraies solutions à la crise climatique
Les effets des projets de géo-ingénierie d’élimination du dioxyde de carbone (y compris les monocultures d’arbres et les plantations de biomasse à grande échelle) sont extrêmement nocifs pour la terre, l’eau, la biodiversité, la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance traditionnels. La capture et stockage du CO2 (CCS) vise à servir l’industrie des combustibles fossiles et à la perpétuer. De plus, la bio-énergie avec captage et stockage du carbone (BECCS) amplifierait énormément les plantations, disputant les terres nécessaires à la production alimentaire, menaçant la sécurité alimentaire et la biodiversité. D’autres techniques d’élimination du dioxyde de carbone, telles que la fertilisation des océans perturberaient la chaîne alimentaire marine et créeraient dans les océans des zones mortes, privées d’oxygène.
Les technologies de la géo-ingénierie risquent de bouleverser les équilibres météorologiques locaux et régionaux et de perturber encore plus le climat.
Leurs effets pourraient être catastrophiques pour certaines régions, en particulier en ce qui concerne la disponibilité des ressources en eau et la production alimentaire.
Des conflits régionaux et internationaux liés aux effets secondaires et aux impacts indésirables de ces technologies auront très probablement lieu.
La géo-ingénierie menace la paix et la sécurité mondiales.
Certaines technologies visant à manipuler le climat et les conditions météorologiques ont des origines militaires et pourraient très probablement être utilisées comme des armes.
Le déploiement des technologies de Gestion du rayonnement solaire (GRS) en particulier pourrait dépendre d’infrastructures militaires et entraîner de nouveaux déséquilibres géopolitiques (en termes de gagnants et de perdants) dans la course à la mainmise sur le thermostat de la Terre.
Nous nous unissons donc pour nous opposer aux expérimentations sur le terrain et au déploiement de ces technologies et appelons les organisations et les citoyens/citoyennes à se joindre à cette campagne.
Etant donné la gravité des risques que la géo-ingénierie fait peser sur la biodiversité, l’environnement et les modes de vie et moyens de subsistance, en particulier dans le cas des communautés autochtones et paysannes, nous exigeons :
– L’interdiction des expérimentations et du déploiement de la géo-ingénierie
– La création d’un système de gouvernance multilatéral des Nations Unies qui soit international, transparent, participatif et qui se charge de faire respecter ces interdictions. Le moratoire sur la géo-ingénierie de la Convention sur la Diversité Biologique et l’interdiction par le Protocole de Londres de la fertilisation des océans en sont des points de départ.
– La cessation immédiate de toutes les expériences prévues en plein air, y compris :
Le projet SCoPEx, une expérience visant à injecter des aérosols dans la stratosphère dans le cadre du programme de géo-ingénierie solaire de Harvard, prévu en 2018 en Arizona, tout près de la frontière mexicaine ;
L’expérience d’éclaircissement de nuages marins (The Marine Cloud Brightening Project prévue dans la baie de Monterey, en Californie ;
Le projet Ice911, qui vise à épandre des microbilles de verre sur la glace et la mer en Alaska ;
Les projets Oceaneos de fertilisation des océans au Chili et au Pérou ;
– La suspension de tous les projets de grande envergure et des financements de projets qui visent à capturer le CO2 avec des moyens technologiques et à le séquestrer dans des formations géologiques et/ou dans les océans, et/ou à l’utiliser pour la récupération assistée du pétrole et/ou d’autres applications industrielles telles que la capture et stockage du CO2 (CCS), les technologies de bioénergie avec capture et stockage du CO2 (Bio-Energy with Carbon Capture and Storage ou BECCS et de capture directe de CO2 dans l’air (Direct Air Capture). La suspension de toutes les monocultures à grande échelle ;
– Le refus de tout financement public pour ce type de projet ;
– La reconnaissance des modes de vie et cosmovisions des peuples autochtones, y compris le droit de libre détermination à défendre leurs communautés, les écosystèmes et la vie dans son ensemble contre les techniques et pratiques de la géo-ingénierie qui violent les lois naturelles, les principes créatifs et l’intégrité territoriale de la Terre Mère et du Père Ciel.
– La mise en place et le respect du droit du droit des peuples autochtones et des communautés locales à un consentement libre, préalable et en connaissance de cause pour toute expérience ou projet de géo-ingénierie.
– Le respect des droits des paysans, des terres et des territoires, qui passe par le fait de reconnaître que leurs moyens de subsistance — y compris ceux des peuples autochtones, des communautés habitant les forêts, des bergers et pêcheurs artisanaux — constituent une source vitale d’alimentation pour la majorité de la population mondiale, qu’ils ouvrent la voie à la souveraineté alimentaire et contribuent à atténuer les émissions de gaz à effet de serre et à récupérer les sols et les écosystèmes. Leurs terres sont particulièrement susceptibles d’être accaparées et exploitées pour le déploiement de la géo-ingénierie, et leur agriculture menacée par ses effets secondaires.
– Le soutien et le renforcement de recherches significatives pour définir des moyens justes, durables et transformateurs de limiter le réchauffement planétaire à 1,5° C, en envisageant sérieusement des modèles et des scénarios différents à ceux utilisés actuellement dans les négociations sur le climat et en incluant aux débats et à la prise de décisions d’autres types de savoirs et d’expériences — y compris les savoirs des peuples autochtones et les propositions des mouvements paysans.
– Les communautés, les activistes et les chercheurs du monde entier construisent et développent actuellement les éléments constitutifs de chemins transformateurs et fondés sur la justice qui nous mèneraient vers un monde où le réchauffement global ne dépasserait pas les 1,5° C. Les solutions seront multiples, diverses et soucieuses des contextes locaux et régionaux. Elles incluent l’élimination des infrastructures de combustibles fossiles — non seulement du charbon, mais aussi du pétrole et du gaz — ; l’expansion d’une démocratie énergétique alimentée par les énergies renouvelables éolienne et solaire ; la réduction de la consommation globale d’énergie et de matériaux ; une transition juste pour les travailleurs et vers une économie féministe et régénératrice ; le soutien à l’agro-écologie paysanne et à la souveraineté alimentaire pour la justice climatique au sein du système alimentaire ; la restauration ample mais soignée des écosystèmes vitaux de la planète, et des forêts avant tout.
Tout cela en intégrant et en respectant les droits des peuples autochtones et des communautés locales. La justice climatique ne sera possible que si nous nous basons sur des solutions respectueuses de l’environnement et justes socialement, plutôt que sur des rafistolages technologiques très risqués qui font le jeu des pollueurs, des industries extractives et du complexe militaro-sécuritaire.
Notre maison, nos terres et territoires ne sont pas un laboratoire de technologies de modification de l’environnement à échelle planétaire.
Nous disons donc à la géo-ingénierie : Bas les pattes !
Ne touchez pas à notre Mère la Terre !
Parmi les 23 Organisations internationales signataires
Alianza por la Biodiversidad en America Latina
Amigos de la Tierra de America Latina y el Caribe (ATALC)
Asian Peoples Movement on Debt and Development (APMDD)
Biofuelwatch
Climate Justice Alliance
Corporate Accountability International
Corporate Europe Observatory
ETC Group
Focus on Global South
Global Forest Coalition Grain
Parmi les ONG françaises :
ATTAC France
Sciences Citoyennes
Parmi les individus signataires (6 Prix Nobel alternatifs)
Vandana Shiva, Right Livelihood Award,
Ricardo Navarro, El Salvador, Goldman Environmental Prize
Pat Mooney, Canada, Right Livelihood Award,
Nnimmo Bassey, Nigeria, Right Livelihood Award,
João Pedro Stedile, MST, Brésil, Right Livelihood Award,
Fernando Funes, Cuba, Right Livelihood Award.
Ce manifeste a été d’abord publié sur le blog Athena 21, animé par Ben Cramer (JNE).
.
.