Survenu le 23 octobre dernier, le décès de Serge Karsenty, sociologue de la santé dont les travaux avaient été inspirés par la grande figure d’Ivan Illich, est passé tristement inaperçu.
par Laurent Samuel
Chargé de recherche honoraire au CNRS, Serge Karsenty était âgé de 74 ans. Le Monde a publié un faire-part de sa famille (ci-dessous), mais n’a pas jugé utile à ce jour de lui consacrer une « nécro ».
Pourtant, Serge Karsenty avait publié en 1974 avec Jean-Pierre Dupuy un livre qui avait fait date : L’invasion pharmaceutique (éditions Seuil).
Cet ouvrage avait été inspiré par les théories sur la médecine d’Ivan Illich (1926-2002), penseur de l’écologie politique, exprimées dans de nombreux textes au début des années 1970, puis résumées dans Nemesis médicale (éditions Seuil), paru en 1975.
Résumé de ce livre par l’auteur : « L’entreprise médicale menace la santé. La colonisation médicale de la vie quotidienne aliène les moyens de soins. Le monopole professionnel sur le savoir scientifique empêche son partage. Une structure sociale et politique destructrice trouve son alibi dans le pouvoir de combler ses victimes par des thérapies qu’elles ont appris à désirer. Le consommateur de soins devient impuissant à se guérir ou à guérir ses proches. Les partis de droite et de gauche rivalisent de zèle dans cette médicalisation de la vie, et bien des mouvements de libération avec eux. L’invasion médicale ne connaît pas de bornes. »
Dans la foulée de cette réflexion de fond, Jean-Pïerre Dupuy et Serge Karsenty décortiquent les pratiques de l’industrie pharmaceutique. Résumé par les auteurs : « Pourquoi donc les médicaments sont-ils devenus les meilleurs alibis de notre médecine ? Parce que les malades demandent ce que les techniques médicales ne peuvent donner ; parce que les médecins ne savent plus comment démontrer leur désir d’efficacité ; parce que les laboratoires pharmaceutiques préfèrent se concurrencer dans la pseudo-innovation plutôt que de se risquer dans la vraie recherche. Dans ce système à trois acteurs, chacun est prisonnier de la solution que lui imposent tout à la fois les deux autres et des institutions sociales conservatrices. »
Au cours des années 1970, Serge Karsenty milite aux Amis de la Terre, avant d’être l’un des animateurs de la campagne présidentielle de Brice Lalonde en 1981.
Après avoir travaillé au CEREBE (Centre de recherche sur le bonheur), il entre au CNRS en 1978 comme chargé de recherche. Dès les années 1980, il se spécialise dans l’évaluation des politiques publiques sur les drogues et toxicomanies, publiant notamment en 1992 avec Albert Hirsch le Prix de la fumée (éditions Odile Jacob). Serge Karsenty avait reçu la Médaille d’honneur du CNRS le 22 janvier 2010. Depuis de nombreuses années, il exerçait ses activités à Nantes au sein de la Faculté de droit.
L’auteur de ces lignes l’avait revu pour la dernière fois en avril dernier, lors de la soirée organisée en mémoire de la défenseure des océans Nicole Aussedat (membre des JNE), avec laquelle Serge Karsenty avait travaillé lors de la campagne Lalonde en 1981. « A simple twist of fate » (un simple coup du destin), comme le chantait Bob Dylan.
On souhaitait par ce texte rendre hommage à un homme modeste, dévoué et chaleureux, et à un sociologue dont la réserve naturelle l’a empêché sans doute d’occuper un premier rôle que la qualité de ses travaux aurait mérité.
Toutes nos condoléances à sa famille, ses amis et ses collègues.
En conclusion, on vous présente l’un de ses derniers retweets.
— DNF (@DNF_asso) 16 octobre 2018
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