Colloque des JNE : Comment améliorer le sort des animaux d’élevage ?

De gauche à droite : S. Dinard, L. Charbonneaux, H. Kempf, C. Pelluchon et B. Gothières © Antoine Bonfils

La deuxième table-ronde du colloque des JNE sur la condition animale a réuni un éleveur, une philosophe et deux responsables associatives.

par Diana Semaska

Animé par Hervé Kempf, rédacteur en chef de Reporterre et membre des JNE, ce débat a réuni :
● Léopoldine Charbonneaux, directrice du CIWF (Compassion in World Farming)
●Stéphane Dinard, éleveur, président de l’association Quand l’abattoir vient à la ferme
● Brigitte Gothière, co-fondatrice, porte-parole et directrice de l’association L214
● Corine Pelluchon, philosophe


Corine Pelluchon : Vers une nouvelle place des animaux dans notre société ? Quelles stratégies adopter pour résoudre les dilemmes liés à l’élevage ?

Corinne Pelluchon © Antoine Bonfils

La cause animale s’impose à notre société parce que les violences infligées tous les jours sur les milliards d’animaux élevés dans le monde sont le miroir d’un modèle de développement non seulement fondé sur une exploitation sans limites, méprisant les besoins de base des animaux, leur sensibilité et leur subjectivité, mais aussi aveugle aux limites environnementales et injuste vis-à-vis des personnes travaillant dans cette industrie. Ce modèle dégrade donc à la fois l’animal, l’environnement et l’humain. La cause animale se trouve donc au point de convergence de quatre volets de la transition écologique et solidaire : justice sociale, environnement, santé et bien-être animal. Elle est un problème civilisationnel, dont l’enjeu est notre âme.

Le défi consiste à réduire le décalage, d’une part entre ce que nous croyons, ce que nous savons et nos comportements. Et d’autre part, entre une société civile convaincue et « des politiques qui ne font rien ». Cette inertie française, on la devrait entre autres à « des oppositions stériles dont nous sommes les champions », par exemple entre welfaristes d’un côté (qui demandent l’amélioration des conditions de vie des animaux), et abolitionnistes de l’autre (qui prônent l’abolition totale de l’exploitation animale et nient le bien-fondé des mesures pouvant améliorer le bien-être animal). Or, les chantiers sont trop nombreux et urgents pour se permettre de tels atermoiements : delphinariums, corridas, foie gras, révision de la Politique agricole commune, des accords transatlantiques, etc. La cause animale gagnerait à ce que ses défenseurs mettent en avant ce qu’ils ont en commun, au lieu de se diviser. Il est par ailleurs possible de travailler à la fois sur le temps long, « où l’on accompagnerait le questionnement moral de l’exploitation des animaux » – et le temps court. Temps court qui doit être consacré à oeuvrer avec les éleveurs, comme avec tous ceux dont le travail implique des animaux, afin de leur proposer des pistes concrètes pour améliorer les conditions de vie de ces derniers.

Ayant elle-même participé à des réunions de travail avec des industriels de la mode, des éleveurs, des abatteurs et des industriels de l’agroalimentaire, elle veut miser sur la coopération et la créativité humaine, « pas uniquement sur la peur ». Informer, oui, mais en y mettant les formes.

Elle appelle par ailleurs à faire preuve de « générosité » et non de « machisme discursif » (qui n’est pas l’apanage des hommes, précise-t-elle), très présent au sein des élites intellectuelles et qui consiste à employer une forme de communication « qui écrase sans se servir de l’argumentation ». Mettre en opposition vegans et non vegans, par exemple, ou caricaturer l’anti-spécisme (« ils vont se marier avec des chats ou des chiens ») crée un climat délétère, qui empêche la coopération pour des questions d’ego.


Brigitte Gothière : Scandales dans les abattoirs : faut-il remettre en question l’alimentation carnivore ?

Brigitte Gothière © Danièle Boone

Les scandales dans les abattoirs dénoncés par L214 se basent certes sur seulement quelques minutes de films, mais ces minutes traduisent une réalité bien plus large, qui a lieu en France sur 3 millions d’animaux chaque jour. Dès lors, ces scandales justifient la remise en cause de l’alimentation carnée. Sur la chaîne d’abattage Doux à Chantonnay, 240 poulets sont abattus par minute, soit 4 par seconde. Des conditions dans lesquelles les animaux sont « au mieux inquiets, au pire terrorisés », et où les ouvriers « se voient demander l’impossible, à savoir tuer avec gentillesse ». Brigitte Gothière souligne que si 80 % des chaînes d’abattage en France ont été déclarées non conformes lors d’un audit au printemps 2017 et que ces infractions aggravent bel et bien la souffrance, ce qui choque le public, ce ne sont pas les infractions. C’est l’abattage. Dans la mesure où aujourd’hui, en France, on peut se nourrir autrement, cette violence que l’on retrouve dans l’élevage mais aussi dans la chasse, la pêche ou l’aquaculture, devrait nous poser question.

Néanmoins, les militants des différents courants de la cause animale se rejoignent sur l’élevage intensif : il est nécessaire d’interdire ces pratiques inhérentes à l’industrie telles que le broyage des poussins, la castration à vif des porcelets, la séparation du veau de sa mère, etc.

La difficulté principale réside dans l’intense lobbying réalisé par les industriels auprès des politiques. Et d’évoquer les Etats généraux de l’alimentation, à l’issue desquels aucune des mesures significatives proposées pour les animaux, comme l’interdiction des cages pour les poules pondeuses, le contrôle vidéo dans les abattoirs ou l’amélioration des conditions de transport, n’a été adoptée. Manque de courage et indifférence constituent une brèche au sein de la classe politique, dans laquelle les lobbies s’engouffrent comme des couteaux dans du beurre. Plusieurs rapporteurs de la loi Alimentation ont ainsi déjà travaillé pour des abattoirs, ou l’industrie agroalimentaire, ou étaient liés d’une manière ou d’une autre à la FNSEA.

L214 poursuit donc son travail de dénonciation des infractions, de démarchage des entreprises, de développement de l’alimentation vegan et de maintien de la sensibilité chez les enfants. « Les industriels veulent montrer que les animaux ont été heureux, et si possible qu’ils se sont suicidés. Nous travaillons à montrer le contraire ». Reste la difficulté de se mesurer, en termes de com’, à des Interbev ou Charal qui disposent respectivement de « 29 et 17 millions d’euros de budget pub » et qui font systématiquement appel à l’imagerie champêtre et bucolique des petits élevages d’antan pour faire rêver le chaland. Malgré des plaintes déposées à l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité concernant plusieurs campagnes, dont une sur les produits du Sud-Ouest mettant en avant le foie gras avec mention « Proverbe gersois – canards heureux, canards savoureux », L214 n’est jamais arrivé à faire condamner ou retirer une seule publicité.

Que pense-t-elle d’initiatives comme Quand l’abattoir vient à la ferme ? Difficile de concevoir qu’on puisse tuer avec respect quelqu’un qui avait sa vie à vivre. Mais à choisir, elle « préfère les modèles plus réduits d’élevage comme celui de Stéphane Dinard » (lire ci-dessous) aux autres. La première préoccupation reste l’élevage de masse et l’industrialisation. Mais « il serait bien d’être d’accord sur le fait que tuer quelqu’un sans son accord ne peut être qualifié de respect ». Notre cercle de considération morale ne comprend encore et toujours que l’être humain. Or, la frontière avec les autres êtres est arbitraire : si nous sommes différents, nous avons en commun la sentience, et l’envie de vivre bien.


Stéphane Dinard : Animaux d’élevage, pour une vie et une mort dignes

Stéphane Dinard © Antoine Bonfils

Eleveur de cochons et de vaches en Dordogne, Stéphane Dinard a renoncé à l’abattoir en 2008, en toute illégalité : « j’avais le sentiment d’abandonner mes animaux ». Fondée en 2016 avec la sociologue Jocelyne Porcher, son association Quand l’abattoir vient à la ferme sillonne depuis deux ans la France pour mobiliser d’autres éleveurs autour de la légalisation de l’abattage à la ferme des animaux destinés à la commercialisation. (Aujourd’hui, seuls les lapins et les volailles peuvent être abattus à la ferme en vue d’une vente). L’association a participé aux Etats généraux de l’alimentation en 2017 et y a obtenu l’autorisation d’expérimenter des outils comme la remorque d’abattage ou le camion d’abattoir, utilisés déjà par la Suisse, la Suède, la Hongrie ou le Luxembourg.

Avec ces outils et des personnes compétentes, l’abattage à la ferme peut contribuer à moins de stress chez l’animal. En effet celui-ci ne subit ni le transport, ni le confinement avec des congénères épouvantés. Stéphane Dinard tue donc ses veaux en plein air, au milieu du troupeau, lorsqu’ils ne sont plus attachés à la mère. « Aucun animal n’est stressé ». Sa volonté s’inscrit dans une démarche globale de retour à un type d’élevage « comme avant la révolution industrielle », c’est-à-dire plus petit, adapté à l’environnement et créateur d’emploi – « c’est comme pour le loup, il faut plus de bergers ». Un élevage à taille humaine qui permette de consommer moins de viande, mais de meilleure qualité.

Mais pour que ce type d’élevage se développe, le consommateur doit se réapproprier son alimentation en lui consacrant un prix juste. Pas évident : malgré le succès du bio et du local, l’alimentation pèse de moins en moins lourd dans le budget des Français, qui lui dédient 1/5e de leurs dépenses de consommation.

Stéphane Dinard envisage-t-il de renoncer un jour à la viande ? « Mes animaux d’élevage ont vocation à être consommés. C’est mon choix. Dans notre environnement, il y a les mangeurs et les mangés, de la bactérie au plus gros, c’est ainsi ».


Léopoldine Charbonneaux : Des solutions pour un mode d’élevage respectueux des animaux, des êtres humains et de la nature

Léopoldine Charbonneaux © Antoine Bonfils

Compassion In World Farming (CIWF) a été fondée il y a cinq ans par un éleveur laitier extensif à qui l’on a un jour proposé de diversifier son élevage avec des poules en cage, ce qu’il a trouvé aberrant. Il crée donc l’association CIWF dans le but de mettre fin à l’élevage industriel à long terme, et d’y améliorer les conditions de vie des animaux à court terme. Le défi est de taille puisqu’environ 80 % des animaux élevés en France le sont en intensif. Et malgré les promesses des politiques quant à un changement de modèle, les élevages sont encore fortement incités à s’industrialiser.

Aussi l’association promeut-elle, du moins à court terme, la politique des petits pas, en travaillant à l’engagement des entreprises de l’agroalimentaire. L’espoir, à long terme, étant de faire avancer la réglementation. Par exemple, elle promeut l’étiquetage du mode d’élevage pour tous les produits animaux, à l’instar de ce qui existe pour les oeufs. Une collaboration avec le groupe Casino, aux côtés d’OABA (Oeuvre d’assistance aux bêtes d’abattoir) et de LFDA (La Fondation droit animal, éthique et sciences), permettra dès octobre prochain de voir étiquetés les poulets en fonction de leur niveau de bien-être.

L’ONG mise également sur la mobilisation citoyenne, via des pétitions et des enquêtes diffusées dans les médias. Elle lancera ainsi prochainement une Initiative citoyenne européenne (ICE), dans le but de mettre fin à toutes les cages d’animaux (poulets, poules, lapins, cailles, truies, etc.). Elle fait également connaître certains aspects de l’élevage encore largement ignorés du grand public et (donc ?) des politiques. C’est le cas des conditions de transport longue distance. Le transport d’animaux peut actuellement durer 60 heures par voie terrestre, 15 jours par voie maritime dans les navires bétaillers qui mènent les animaux vers l’Afrique et le Moyen-Orient. Or, au-delà de 8 heures, les bêtes sont déshydratées, épuisées et risquent la mort. Entre 2013 et 2016, 24 000 animaux seraient morts à cause des mauvaises conditions lors de transports maritimes, sur 10 millions de moutons et de vaches ayant traversé la Méditerranée. L’ONG milite donc pour l’arrêt des transports longue distance hors de l’Union européenne et exige une limite à huit heures maximum au sein de l’UE. Mais malgré ses demandes et celles d’autres ONG, et alors que 89% des Français seraient favorables à cette limitation de huit heures, la loi Agriculture et Alimentation ne contient aucune mesure allant dans ce sens.


Conclusion : comment améliorer le sort des animaux d’élevage ?

● Informer et mobiliser les personnels politiques, même s’il ne faut pas trop en attendre,
● Poursuivre la mobilisation des acteurs économiques liés à l’élevage (éleveurs, agroindustriels, mode, etc.)
● Continuer d’informer et de sensibiliser le grand public et les enfants sur les animaux et les alternatives à l’utilisation des produits animaux,
● Informer et mobiliser le consommateur (étiquetage, labels, etc.).

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